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Kim Kiyeong, importateur de films étrangers, père de famille sans histoire, voit sa vie basculer à la lecture d'un haïku de Bashô. Les vers du poète délivrent un message codé qui le replonge dans son lointain passé. Vingt ans plus tôt, Kiyeong quittait la Corée du Nord clandestinement pour infiltrer Séoul où il est devenu un « agent dormant ». Son brusque réveil le place au moment du choix : va-t-il obéir à l'ordre de rentrer en Corée du Nord, ce qui peutêtre signe son arrêt de mort ? Il a vingt-quatre heures pour se décider.
Un roman riche et fascinant qui propose une lecture critique et très éclairante des vingt dernières années de la Corée du Sud et du Nord, et nous attache passionnément au destin d'un homme qui voulait changer le monde et découvre que c'est le contraire qui est arrivé.
Lorsque l'on regarde le tableau de René Magritte "l'Empire des lumières" ; éponyme du roman de Kim Young-ha ; au premier coup d'oeil tout semble parfaitement normal.
Il y a un ciel et il y a une maison. Oui mais, le ciel est bleu comme en plein après-midi, et la maison est plongée dans une nuit profonde.
C'est une rencontre entre deux réalités paradoxales.
Et rapidement on a une impression d'étrangeté devant ce mélange de choses existantes mais qui associées entre elles relèvent du rêve et de l'illusion.
On va vivre une expérience similaire tout au long du roman de Kim Young-ha qui se déroule le temps d'une journée particulière.
Kiyeong, le personnage central, est un petit patron de Séoul importateur de films étrangers sans grand succès, un père de famille et un mari quelconque voire insipide .
Un jour il reçoit un message, un haïku de Basho qui va le sortir de son quotidien à la fois confortable et terne : "Au fond de la jarre/sous la lune d'été/une pieuvre rêve".
C'est un ordre de retour en Corée du Nord.
Là, changement de perspective et l'on découvre un agent infiltré nord-coréen, tellement bien intégré à la société sud coréenne , qu'il avait quasiment oublié ce fait ou bien imaginé que la Corée du nord l'avait oublié.
Kiyeong a été un jeune espion surentraîné, capable de tuer sur commande. Il est maintenant un homme entre deux âges au corps mou totalement indécis et affolé quant à la décision à prendre.
Mais le principal protagoniste de ce roman est en fait la Corée, pays scindé en deux par des accidents de l'histoire: le sud brillant de mille feux la nuit à Gangnam, le rêve coréen de félicité par la consommation. Et vivant de ce fait les affres de la ville moderne, le désenchantement, les difficultés de communication, la fin d’un modèle communautaire.
Le nord fermé et isolé mais qui inspire à Kiyeong une certaine nostalgie de sa jeunesse et de ses certitudes, d'un monde perdu.
Kim Young-ha entrelace les fils de son intrigue, et se fait passeur entre l'ancien et le nouveau.
La dimension politique est également traitée, de façon indirecte mais néanmoins présente.
Il rend compte sans démonstration et laisse le lecteur tirer les conclusions qu'il souhaite.
Il reproduit dans l'intention Magritte dont la peinture n’est pas là pour peindre le réel, mais pour permettre de s’interroger sur lui.
''Au fond de la jarre
sous la lune d'été
une pieuvre rêve.''
Un haïku de Bashô, simple en apparence, et pourtant, il va bouleverser la vie de Kim Kiyeong. Ce quadra, marié et père de famille, mène à Séoul une vie sans histoires, occupé à gérer sa petite entreprise d'importation de films étrangers. Mais pour lui, ce haïku, reçu dans sa boîte mail, est un choc car il recèle un sens caché. Oui, pour Kim Kiyeong, espion nord-coréen installé au Sud depuis plus de 20 ans, ce haïku correspond à l'ordre n°4 : ''Abandonne tout et rentre immédiatement. Cet ordre est irrévocable.'' Après 10 ans sans nouvelles, le coup est rude. Il a 24 heures pour faire un choix : rentrer au Nord sans savoir pourquoi on le rappelle, rester à Séoul au risque d'être éliminé par Pyongyang, s'enfuir à l'étranger et essayer de se faire oublier. Les questions tournent dans sa tête et, avec elles, l'angoisse du faux pas, de la mauvaise décision et le retour de ses réflexes d'espion.
En plus d'être un roman d'espionnage avec sa dose de filatures, de messages codés, d'angoisse, de paranoïa, L'empire des lumières est surtout une réflexion sur la vie, celle qu'on mène et celle dont on rêvait, les idéaux pour lesquels on se bat et, bien sûr, un portrait des deux Corée, la complexité de ce qui les unit, leurs différences et leurs ressemblances. Au travers de cette journée particulière dans la vie d'un homme à cheval sur le 38è parallèle, Young-ha Kim raconte la dureté du régime des Kim au Nord mais aussi les profondes mutations du Sud qui ont conduit le pays de la misère et la dictature à la modernité et au capitalisme le plus débridé. Infiltré dans les milieux contestataires étudiants des années 80, l'espion découvre l'adhésion d'une partie de la jeunesse à l'idéologie du Juche d'une société sans classes et auto-suffisante en vigueur au Nord. Une raison de plus de penser qu'il est dans le vrai et qu'il agit pour le bien du Nord et du Sud. Le sentiment patriotique qui l'anime et qu'il retrouve d'ailleurs à Séoul s'en trouve renforcé. Mais au fil des ans, oublié de Pyongyang, il a évolué e même temps que la société coréenne. Il s'est implanté dans son nouveau pays, a profité du confort, de l'opulence, de la liberté. Tout n'est pas rose évidemment, l'argent a pris le pas sur d'autres valeurs plus essentielles. Dans son couple, il n'y a plus d'amour. Sa femme le trompe et oublie dans le sexe qu'elle n'aime pas sa vie. Sa fille, adolescente, vit ses propres expériences et prend son autonomie. Dans ces conditions, rentrer au pays pourrait être le bon choix s'il n'y avait le doute sur ce que lui réserve les services secrets. A-t-il commis une faute sans le savoir ? Va-t-il être exécuté ? Où est son devoir ? Au Nord pour le bien de la patrie comme il a été conditionné à le croire ? Au Sud en se préoccupant de son seul bien-être comme le Sud le lui a enseigné ?
Une journée racontée heure par heure sur un rythme haletant, un homme pris entre deux feux, une histoire passionnante qui va bien au-delà du simple roman d'espionnage. L'auteur se garde bien de porter un jugement sur les deux pays ennemis, préférant axer sa réflexion sur la méconnaissance mutuelle de ces deux états qui se côtoient sans communiquer. Une lecture captivante.
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