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Rares furent les écrivains du XXe siècle à avoir, comme Michel Leiris, pratiqué l'écriture autobiographique avec aussi peu de complaisance pour soi-même. Comme s'il s'était agi pour lui d'exercer un véritable jeu de massacre contre ce qu'il fut, avec une remise en cause radicale de ses propres agissements et attitudes. De fait, l'ensemble de ses écrits semble être organisé en fonction du passage à l'acte suicidaire qui eut lieu dans la nuit du 29 au 30 mai 1957.
Avec un avant, qui paraît en être comme le long protocole, et un après, où il tire toutes les conséquences de ce moment mémorable qui aurait pu être celui de sa mort. Il s'est employé assez vite à doubler d'une frange d'écriture une vie qui ne lui offrait pas un coefficient de présence satisfaisant, faute d'être suffisamment exposée. Il a dit et redit, avec nombre d'exemples à l'appui, comment il s'était toujours tenu à l'écart des vrais dangers, " aimant à jouer les toreros mais sans qu'il y ait jamais en face de [lui] un vrai taureau. " Peut-être faut-il voir dans cette attitude les effets de représentations liées à une naissance regardée comme manquant de légitimité, et vouant l'être qui en est le résultat à une existence improbable, et particulièrement vulnérable aux atteintes de tous ordres ? Longtemps Leiris s'est regardé comme celui qui n'aurait pas dû naître, qui n'avait pas lieu d'être. Il a interprété sa venue au monde comme le signe patent d'une trahison. Commise, au premier chef, par celle qui ne l'attendait pas, qui espérait qu'à sa place quelqu'un d'autre advienne : une fille, par exemple, venant remplacer celle qui fut perdue dans la douleur, quelques années plus tôt. Dès lors, toutes les figures que l'intéressé put interposer entre lui et celle pour qui il fut cet indésirable, se révélèrent particulièrement tentantes. Pour être valides, il fallait que ces représentations puissent, de près ou de loin, manifester une vraie capacité à lui tenir lieu de mères d'adoption, à se transmuer en terres d'accueil fiables.
Il a constitué un volumineux dossier, dans lequel il a accumulé les signes lui prouvant à quel point il était peu souhaitable. Pour lui-même et pour les autres. Du XXe siècle, qu'il a parcouru presque de bout en bout, il a dressé, en se concentrant sur lui-même, un portrait accablant. Dans cette instruction contre lui-même, plus les éléments à charge devenaient nombreux et patents, plus l'écriture mise en oeuvre pour les développer se raffinait. Professeur des universités, Gérard Cogez enseigne la littérature des XIXe et XXe siècles à l'Université de Lille. Il a beaucoup travaillé sur Proust - thèse avec Barthes - et écrit quelques ouvrages d'abord publié aux PUF : Sur À La Recherche du temps perdu, en 1990, collection " Études littéraires ", Sur Le Rivage des Syrtes, en 1993, collection " Études littéraires ", Sur Michel Leiris : Leiris sur le lit d'Olympia, en 1995, (collection " Le texte rêve ", dirigée par Jean Bellemin-Noël). Plus récemment, il a publié Les Écrivains voyageurs au XXe siècle (Seuil, 2004) : sur Segalen, Gide, Michaux, Lévi-Strauss, Leiris et Nicolas Bouvier. Marcel Proust, " Le Temps retrouvé ", Gallimard, Foliothèque, 2005. Gérard de Nerval, " Voyage en Orient ", Gallimard, Foliothèque, 2008. Il est aussi l'auteur de nombreux articles publiés au fil des années (nombreux sur Proust et Leiris), qui ont porté, outre les auteurs déjà cités, sur Simenon et quelques autres.
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