"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En 1971, Harley Mann revisite son enfance et raconte l'installation de sa famille dans les marécages de Floride, à quelques encâblures de ce qui allait devenir Disney World, pour rejoindre une communauté de shakers - utopiste, pieuse, abstinente. Au coeur de son récit, l'amour interdit du garçon qu'il était et d'une jeune femme nommée Sadie, qui conduira la communauté à la perte et à la destruction. Une éblouissante tapisserie entremêlant amour et foi, mémoire et imagination, qui interroge ce que signifie regarder en arrière et accepter sa place dans l'histoire.
Un Magic Kingdom (titre de l’oeuvre originale) construit comme un parc à thèmes. Un Disney World façon Banks.
Russel Banks nous a quitté en janvier 2023 en nous laissant avec cet ultime livre paru aux Etats-Unis peu avant sa mort et en France en janvier 2024. Pour ce livre il est pleinement dans le frictionnel. Il a un plan pour le lecteur, un plan pour l’hameçonner. Pour ceci il part d’une archive audio du début des années 1970. Il va l’utiliser pour dérouler ensuite sa fiction. Il agence son histoire de façon anachronique, tout est rangé, organisé, ordonné comme à l’époque du document audio dont il est question.
Il m’a un peu rappelé ‘’Pourfendeur de nuages’’ paru en 1998, mais en moins pénitent puisqu’il parlait des abolitionnistes de l’esclavage et davantage la tête dans les souvenirs. On sent qu’il ne peut, ne veut pas laisser s’en aller le passé. Ses récits s’y accrochent avec toute la ferveur d’un écrivain du siècle passé mais qui parle aux lecteurs du siècle présent. On a l’impression d’être dans les années 1970, tant les détails sont chiadés.
Les thèmes sont ceux annoncés en 4eme de couv., l’amour, la foi, la mémoire et l’imagination. Rien de moins dans ce livre de près de 400 pages, et pourtant aucun excès de zèle, aucun essai d’emprise sur notre cerveau ; juste une fiction, juste un rappel de ce qui a existé et dont on a peu ou pas assez parlé. Un récit tout en équilibre et modestie mais une histoire puissante de son pays. Des histoires qui permettent de mesurer le chemin parcouru depuis.
L’histoire se base sur des enregistrement d’un certain Harley Mann qui enregistre sa propre histoire. Il en entend parler en 1999 lors de l’ouragan Irène qui a fait des ravages te causé un grand nombre de morts. Un demi-siècle plus tard, à 81 ans, le narrateur est emporté vers ses souvenirs à lui. Il évoquera sa vie, ses origines de son enfance dans le Sud à Orlando à ses transferts de Géorgie vers la Floride, de la vie des quakers à celle des shakers, du dur labeur des uns à celle des croyants que la foi transcende. « Des puits de sagesse et de pitié ».
On chemine ainsi à ses côtés en abordants de grands sujets sociétaux dont cette histoire d’esclavage qu’il n’a toujours ni rangé, ni digéré, ni ôté à sa honte d’homme. Poignantes évocations.
Pierre Furlan, le traducteur, a rendu ce texte fluide, juste quelques tournures de phrases qui m’ont laissées quelque peu perplexe. On finit par s’y habituer en se disant que le traducteur à très certainement voulu se coller au style choisi par Russell Banks. Je crois me souvenir que c’est lui qui a traduit la majorité des Banks en français.
Honte à moi, je n’ai toujours pas lu ‘’American Darling’’. Faut quand même que je pousse mamie dans les orties et que je le note dans ma PAL.
Citations :
« Je suis le genre de Républicain ou de Démocrate qui s’inscrit en tant qu’Indépendant, le protestant ou le catholique qui ne pratique plus et coche la case ‘’chrétien’’, l’Anglo-Américain qui se voit comme simplement Américain, l’être humain de sexe mâle qui se croit juste humain, le Blanc qui ne pense pas avoir de couleur. Telle est la personne que j’ai été pendant la plus grande partie de ma vie d’adulte et dont, au fil des ans, j’ai pris la voix.»
« J’ai appris que ceux qu’on fait travailler presque littéralement à mort ne désirent que très peu la compagnie des autres. Tels des animaux blessés, ils veulent surtout qu’on les laisse tranquilles, qu’ils puissent se blottir dans un coin pour tenter de récupérer assez d’énergie pour continuer à vivre un jour de plus. »
« Harper’s Greek où rugit la lumière,
Là, ma chérie, pour toujours on vivra.
Et puis dans la nation des Indiens on ira.
Tout c’que je veux dans c’te création
C’est jolie femme et grande plantation. »
Russell Banks nous livre ici une autobiographie romanesque, une fresque d'un vieux puritain repentie, dans un tourbillons narratif, l'auteur s'adresse au lecteur en expliquant que vous ne croirez pas à cette histoire d'une communauté de Shakers en Floride dont le but était utopique.
L'intrigue mêle l'utopie, la croyance, la fois, l'abstinence, les amours interdits, la mémoire et le recul sans compter l'imagination.
Une fresque intense et poétique sur la nature humaine, un combat intérieur, le capitalisme et bien sur une critique de la société américaine. Un récit bouleversant entre les remords et les regrets du protagoniste.
Dans son ultime roman, publié juste avant sa mort en janvier 2023, Russell Banks poursuit son questionnement du rêve américain au travers d’un paradis perdu, domaine d’une modeste communauté shaker en Floride, devenu aujourd’hui miroir aux alouettes de l’industrie du loisir.
L’auteur qui, dans ses livres, a si souvent adopté le point de vue des laissés pour compte en Amérique s’attaque cette fois au mythe du self-made-man au travers d’un récit désespérément nostalgique. Au soir de son existence depuis longtemps solitaire, un homme décide de se confier à des bandes magnétiques. L’on découvre son histoire depuis l’enfance, en une narration sans faux-semblants révélant une âme déchirée et sans plus d’illusions face à son combat d’une vie avec le Bien et le Mal.
Né au tournant du XXe siècle, Harley Mann a connu la misère la plus noire avant de faire fortune dans la spéculation immobilière. Son dernier coup fut la vente à l’empire Disney des terres qui devaient servir à l’implantation du grand parc d’Orlando. Des terres sur lesquelles il avait fait main basse après avoir contribué à la déroute de leurs propriétaires, une communauté utopiste de shakers, proches des quakers, qui l’avait charitablement recueilli avec les siens quand ils étaient littéralement au fond du trou.
Ce n’est qu’après les avoir trahis parce qu'irrésistiblement attiré par l’amour et l’argent, que Harley devait réaliser la bonté des shakers et son bonheur perdu, lui qui par avidité et vanité s’était exclu tout seul de leur « royaume enchanté », ce jardin d’Eden certes régi par des règles austères, entre chasteté, dévotion et communisme, mais pourvoyant simplement aux besoins de chacun.
Une infinie tristesse imprègne le récit de cet homme, enferré par de mauvais choix dans une voie sans retour dont il a pu, depuis, longuement mesurer tout ce qu’elle lui a fait perdre, à lui mais aussi, par sa faute, à d’autres qui ne demandaient rien. A travers cette utopie humaniste détruite au profit d’un matérialisme bassement individualiste, c’est ni plus ni moins ce que nous avons appelé le progrès de la civilisation et qui a abouti à la société de consommation et à ses nouveaux modes d’asservissement, à la disparition de la nature sauvage et à la mise en péril de la planète, que questionne Russell Banks dans ce chant du cygne parabolique.
Écrivain connu pour ses engagements humanistes, Russell Banks nous livre une dernière histoire crépusculaire, à la fois fresque intense et envoûtante traversée par un puissant souffle narratif, et réflexion mélancolique sur ce que nous coûte l’avidité matérielle de notre civilisation. A nous prendre pour des dieux, égoïstes et souverains, nous ne nous contentons pas de nous exclure nous-même du paradis terrestre, nous faisons tout pour le détruire. Coup de coeur.
Dans « Oh, Canada » (2022) un homme moribond revenait sur son passé peu glorieux devant une caméra.
Dans son dernier roman Russell Banks (1940-2023) emprunte un dispositif similaire pour capter les confessions d'Harley Mann, 81 ans au moment de leur enregistrement en1971.
Selon le prologue l'écrivain américain ne serait pas l'auteur du récit mais un simple copiste qui se serait contenté de retranscrire ce qu'il a entendu.
Il aurait en effet découvert les précieuses bandes magnétiques en 1999 à la bibliothèque Veterans Memorial de St. Cloud en Floride.
Sur la boîte qui les contient est écrit « The Magic Kingdom ».
Cette révélation est-elle vraie ou fausse ? Peu importe.
Nous voilà embarqués pour quatre cents pages au souffle romanesque manifeste.
Né à la toute fin du 19e siècle Harley Mann n'a pas eu la possibilité de penser par lui-même pendant son enfance et son adolescence.
Ses premières années il les passe dans des colonies utopistes rassemblant des adeptes de Ruskin.
À la mort du père la famille est embauchée dans une plantation du Sud « où la Proclamation d'émancipation et le XIIIe amendement de la Constitution n'avaient pas été mis en œuvre ».
Elle y est exploitée, brutalisée et dépossédée de ses maigres économies.
Un certain John Bennett, Aîné des Shakers, va la « sauver » de cette condition d'esclavage.
La mère, flanquée de ses cinq enfants, va rejoindre la communauté de Floride dont le « libérateur » est le chef spirituel.
Cette branche du protestantisme est fondée sur la croyance en Ann Lee, « deuxième apparition de Jésus sur terre ». Sa loi fondamentale repose sur « la pureté virginale et la régénération, la renaissance par la grâce ». Ses trois doctrines élémentaires sont la pureté, à savoir l'abstinence, la communauté avec la mise en commun des biens et la séparation entre les sexes et les membres d'une même famille. Un programme peu alléchant pour l'adolescent qu'Harley est devenu !
Il a douze ans quand il arrive dans la secte. C'est là qu'il ressent ses premiers émois amoureux en tombant sous le charme de Sadie Pratt, une jeune femme de dix-neuf ans souffrant de tuberculose.
Ce coup de foudre va se transformer en obsession...
Avec « Le Royaume enchanté » Russell Banks a composé un grand roman américain à l'écriture envoûtante traversé par des questions morales qui explore le grand dilemme de son pays : un idéalisme teinté de religion et d'hypocrisie versus un matérialisme s'exprimant dans un culte de l'argent.
Il n'est pas innocent que, sur la colonie de Shakers, se soit édifié un parc d'attractions Walt Disney baptisé « Le Royaume enchanté » !
https://papivore.net/litterature-anglophone/critique-le-royaume-enchante-russell-banks-actes-sud/
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