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À Tripoli, les destins entrecroisés d'Abdel-Karim, enfant d'une grande famille de notables, et d'Ismaïl, né dans le quartier le plus pauvre de la ville, surnommé «le quartier américain».
À travers ces deux personnages, c'est l'histoire récente de toute une ville qui nous est admirablement contée, en même temps que sont restitués les antagonismes de classe, de génération et de culture, la décomposition de l'élite traditionnelle, les élans brisés de la jeunesse et l'irrésistible ascension de l'islamisme radical.
Le Quartier américain, comme son nom l’indique était autrefois habité par des Américains mais, après leur départ, il a été abandonné aux populations pauvres. « Le Quartier américain ressemblait désormais à une exposition permanente et bariolée. » (p. 80). Jolie phrase pour dire qu’il est maintenant décrépit et que les maisons tombent en ruines. Les politiques et les journalistes peuvent d’ailleurs surenchérir « sur la misère croissante des vieux quartiers de la ville, et sur le lien que l’on peut établir entre cette misère, la violence et le développement des mouvements fondamentalistes. » (p. 29). C’est sûr que le lecteur ressent immédiatement l’omniprésence de dieu dans la vie des Libanais : « en implorant le bon Dieu de leur venir en aide » (p. 10), « Dieu veuille que la journée nous apporte de bonnes nouvelles… » (p. 11), « Remets-t’en au bon Dieu, femme… » (p. 14), « Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu ! » (p. 52), etc.
Mon chapitre préféré est le 4e : à Paris, Abdel-Karim Azzâm rencontre Valeria Dombrovska, une ballerine serbe. Ils vivent une belle histoire mais le chagrin d’amour le fera rentrer au Liban. À son retour, il se rend compte que la vie a vraiment changé : déjà ses parents sont morts et la maison est vide, ensuite les écoles des missionnaires sont fermées et il n’y a plus de chrétiens, de nombreux prédicateurs appellent au jihad, les femmes portent un niqab noir, les choses hérétiques comme l’alcool et la musique occidentale sont interdites (Abdel-Karim écoute frénétiquement de l’opéra), le jeûne est obligatoire et les jeunes embrigadés sont envoyés au combat, à la mort… Les gens disent d’ailleurs des jeunes qui partent au jihad qu’ils se sont « fondus dans la nature » (p. 133). Ainsi, les personnages, la ville et le passé de certaines personnes sont extrêmement bien décrits, c’est d’ailleurs très beau, poétique et d’un grand intérêt, mais tout le reste est dit en allégories, en non-dits. J’ai été déçue par le 6e et dernier chapitre, je l’ai trouvé confus, pas au niveau de l’histoire mais au niveau du récit : l’auteur avait besoin d’une pirouette soit pour rester politiquement correct soit pour délivrer une happy end… Mais je suis d’accord avec l’éditeur, Le Quartier américain est un roman « riche et concis où rien n’est superflu », je l’ai dévoré en deux fois tellement il est passionnant et enrichissant, et je lirai assurément d’autres livres de Jabbour Douaihy §
(*) L’Orient littéraire [lien] est le supplément littéraire mensuel du journal libanais L’Orient – Le Jour [lien], ces deux journaux étant disponibles en ligne en français. Je consulte régulièrement L’Orient littéraire car sa lecture permet de découvrir des auteurs du monde arabe et leurs écrits ainsi que des avis différents sur les écrivains français et francophones.
https://pativore.wordpress.com/2016/01/13/le-quartier-americain-de-jabbour-douaihy/
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