"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Voici, extraites de sa préface, les très érudites remarques qu'Édith Silve, la spécialiste incontestée de Léautaud, a écrites pour l'édition de poche du Petit Ouvrage inachevé.
À quoi tient le charme discret de ce petit récit, dont Marie Dormoy acheva d'établir le texte en 1944 et qu'elle ne livra à la publication que vingt ans après ? Au style ? Il est de facture classique. Au mouvement alerte et sec des phrases ? Aux bons mots, bien frappés, vulgaires pour certains, délicieuses polissonneries pour d'autres ? Aux propos prélevés par une langue de vipère sur la masse des souvenirs de l'auteur ? Aux anecdotes d'une rare méchanceté qu'on penserait découpées à vif dans le quotidien de la vie d'un couple, le tout cyniquement spirituel et qui pimente ce petit récit où les sentiments n'ont pas cours. Et il est vrai que les phrases trottinent joliment lorsqu'il s'agit d'évoquer Mme C., à genoux, de six à sept, dans le bureau de Léautaud et le chapeau sur la tête.
Ceux qui, en 1964, lurent, et ils furent peu nombreux, Le Petit Ouvrage inachevé, qui connut un faible tirage aux éditions du Bélier, durent se demander qui étaient, entre toutes, cette maîtresse dont Léautaud disait avoir été l'amant. Mais le Journal particulier que l'écrivain réserva en 1933 à Marie Dormoy permet de l'identifier sous les multiples initiales qui la masquent. Elle est Fanny, CN, XXX, Charlotte, N., Irène, et même une simple parenthèse (.).
L'année 1935 est probablement une année charnière pour les deux amants. Tandis que Marie découvre avec ravissement le manuscrit de ce Journal tant désiré, et qu'elle commence, émerveillée, à le déchiffrer et à le dactylographier, Léautaud tombe amoureux de cette femme qui sait le séduire, répondre à son attente et l'accepter jusque dans sa jalousie, sa misanthropie, son attachement aux animaux dont il s'entourait, et que le nombre contraignait aux tâches ménagères les plus absorbantes. Il se lance donc dans le récit de ses dernières amours, et compose ce livre comme une mosaïque de notes et d'observations que lui ont inspirées les états amoureux qu'il a traversés au cours de ses deux dernières liaisons avec Anne Cayssac puis avec Marie Dormoy. C'est seulement à partir de 1938 que ce récit prend le titre de Petit Ouvrage. Le terme d'inachevé apparaît sans explication dans le Journal littéraire le 30 novembre 1945. Est-ce parce que l'auteur a définitivement renoncé à l'achever ?
L'inachevé ne correspond-il pas, finalement, dans cet ouvrage, à la rêverie, cette part mystérieuse de la création en laquelle les mots n'ont plus cours et que représentent symboliquement les pointillés dans le texte ?
Tandis qu'Anne Cayssac, la rivale, est renvoyée aux ténèbres des sens, et qu'elle n'est plus qu'une femme ayant eu une relation charnelle avec Léautaud, l'hommage que rend l'écrivain à cette inconnue éclaire de mille nuances le portrait qu'il fait de Marie Dormoy, la femme qu'il a passionnément aimée.
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