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Lié indissolublement à l'idée de deuil, de nuit (au propre comme au figuré), de désespoir, de folie, le noir se présente dans notre culture comme une couleur néfaste. Le combat titanesque du bien et du mal, de Dieu et de Satan, de la lumière et des ténèbres fait qu'on attribue au noir une valeur généralement négative. C'est vrai autant dans la théologie que dans la philosophie (ne parle-t-on pas de philosophie des Lumières oe). Et dans les croyances populaires, le noir n'est jamais bon signe (il faut éviter de croiser un chat noir, etc.)
Toutefois, dans ses innombrables acceptions, l'histoire du noir en Occident est beaucoup plus complexe et contrastée. Et c'est cette histoire que ce livre entend raconter dans ses grandes lignes.
La dimension symbolique du noir est plus complexe qu'il n'y paraît. Si l'on observe les Écritures à la lettre, il est associé à la Passion du Christ et à sa mort. Mais si l'on se réfère aux textes des grands mystiques, l'expérience de la nuit introduit à celle de la clarté éblouissante du divin. Et souvent la nuit est le lieu, le moment de l'initiation, par exemple dans les rites des francs-maçons comme le noir une référence récurrente pour l'ésotérisme, la cabale, etc.
Depuis l'antiquité, la mélancolie est assimilée à la couleur noire : les traités médicaux parlent de « bile noire » pour l'évoquer. Et cette conception perdure, en dépit des progrès de cette science, jusqu'au XIXe siècle.
Quoi qu'il en soit, le noir peut avoir d'autres significations. En astronomie, la notion de trou noir, qui continue à intriguer le monde scientifique, part d'une observation concrète pour aboutir à d'hasardeuses spéculations.
Dans le langage, en particulier dans les expressions idiomatiques, le noir prend les sens les plus divers et présente une richesse aussi considérable que celle du rouge, du vert ou du bleu.
En politique, il servira de drapeaux a bien des idéologies, anarchisme, fascisme, etc.
La question du noir dans la sphère de l'art se pose en des termes symboliques, mais aussi « physiques » quand le peintre s'emploie à utiliser le contraste des ombres et des lumières. De simple fond pour le portrait à la fin du Moyen Age (et cet usage subsistera jusqu'au XXe siècle), le noir prend une toute autre dimension quand l'ombre et les ténèbres servent à traduire plastiquement la pensée du peintre, chez le Caravage et les caravagesques, chez les ténèbristes du XVIIe siècle, chez Rembrandt bien sûr, mais aussi chez Crespi. S'interroger alors sur le noir, c'est s'interroger sur les fondements du dessin, sur les techniques picturales mais aussi sur la construction métaphorique de l'oeuvre. L'histoire de l'art moderne montre que des peintres ont considéré le noir comme une fin ultime ou comme le « dernier tableau ».Le suprématisme de Malévitch, le constructivisme de Rodchenko ont eu besoin du noir pour explorer les confins de la peinture. Plus tard, le noir réapparaît comme élément fondamental d'une enquête sur l'espace spécifique de la peinture chez Reinhardt ou comme dernière frontière sémantique de l'art chez Kossuth. Le noir prend une importance crucial chez Mark Rothko, bien que ce dernier en fasse rarement usage ou chez Jean Degottex., chez Pierre Soulages pour qui le noir serait l'expression suprême de la lumière.
En littérature, le noir renvoie à des genres bien particuliers : le romantisme noir en Angleterre et en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, puis le roman noir, qui désigne surtout des intrigues policières
Depuis la banalisation de la couleur, il s'est créé une esthétique du noir et blanc dans la photographie, le cinéma comme dans la mode vestimentaire ou la publicité.
Au total, cet ouvrage propose une histoire culturelle et anthropologique du noir à ce jour inédite.
Je n’en fais pas un secret : je m’habille de pied en cap, et cela depuis mon adolescence, en noir. A l’époque, la mode était au noir, pour montrer à la face du monde, que nous n’étions pas dupes, que le futur était de cette teinte. Sombre. En art, le noir est fortement chargé de symboles. Expression même de la nuit et du nocturne, il est tout à la fois synonyme de deuil, de mélancolie et de satanisme (excusez du peu !) Même en médecine, il est la couleur d’une des humeurs chères à Hippocrate : la rate génère de la bile noire (d’où l’adjectif atrabilaire). Rien de bien positif dans tout cela, me direz-vous ! Mais alors pourquoi Gérard-Georges Lemaire, écrivain, éditeur, historien et critique d'art, consacre-t-il autant de pages à la symbolique du noir ? Pour y apporter tout un ensemble de nuances. Politique, littérature, théâtre et peinture sont envisagées. Et au fil des pages, nous rencontrons des œuvres de Léonard de Vinci ou Dürer, du Caravage, de Monsu Desiderio, Goya, Ingres, Renoir, Bonnard, et même Man Ray ou Cy Twombly… Et que dire des fabuleuses encres de Victor Hugo, trop souvent ignorées du grand public ? Par ailleurs, dans « les Misérables », n’écrit-il pas à propos de Cosette dans la forêt : « Quand l'œil voit noir, l'esprit voit trouble » ? Pourtant, de la grotte de Lascaux aux immenses tableaux de Pierre Soulages, les valeurs et les emplois du noir, en Occident, ont bien varié au fil des millénaires, du contour au noir de fumée jusqu’aux monochromes du musée de Rodez. Oui, cette couleur chargée de vices, de maléfices, de saletés, s’est métamorphosée en valeur de savoir (même Harry Potter s’habille en noir). Elle triomphe au XXe siècle sous le pinceau de Pablo Picasso (« Guernica », en 1937), devient l’absolu métaphysique, colle à l’existentialisme, tue à jamais l’image pour devenir à proprement parler le sujet du tableau.
Aujourd’hui, le noir de la mode est associé à l’élégance sobre d’un costume Armani. Et les « Hommes en noir » (Men in Black) restent ceux qui savent … et qui ont l’humilité de se taire.
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