"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Jake Adelstein en a bien conscience : il ne s'en sortira pas vivant sans aide. Après avoir écrit un article sur Tadamasa Goto, il a tout le Yamaguhi-gumi à ses trousses. Partant du vieux principe selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », Jake Adelstein engage un ancien yakuza, Saigo Kato, qui appartenait à la branche ennemie de Goto. En échange ? Jake doit écrire la biographie de son protecteur. À partir de la vie de cet homme qui a connu l'âge d'or des yakuzas, il dresse une fresque épique de la mafia japonaise, des années 1960 à nos jours. C'est Le Parrain au pays du soleil levant, cela commence sur fond de tatouages sophistiqués et se termine dans les milieux de la finance. Entretemps, les yakuzas ont perdu leur sens de l'honneur.
Ce livre n’est pas une fiction mais un reportage de 400 pages écrit par un journaliste américain spécialisé dans les révélations du crime organisé. Jake Adelstein, suite à son livre précédent ‘Tokyo vice’ s’est mis à dos un chef yakuza du Yamaguchi-gumi, l’un des plus grand groupe criminel du Japon fondé en 1915. Enquête à la suite de laquelle sa famille est placée sous la protection du FBI. Pourtant Jake Adelstein va remettre le couvert en s’octroyant la protection d’un membre de la troisième mais néanmoins très puissante organisation yakuza, l’Inagawa-kai, fondée en 1948. En échange de quoi, il va écrire la biographie du Yakuza qui va l’accompagner, répondant au nom de Saigo et surnommé Tsunami. Grandeur et décadence d’un chef mafieux.
Au-delà du côté fascinant que peuvent avoir les histoires de mafias, ce que j’ai aimé dans ce livre c’est le grand coup de projecteur que l’auteur fait balayer sur l’Histoire et la société du Japon. Depuis 1915 à nos jours, les Yakuzas, comme tout autre mafia dans le monde et tout à chacun, doivent évoluer avec leur temps.
« Ce livre raconte les vies de chefs yakuzas et, à travers elles, l’histoire au Japon ces 100 dernières années : leur arrivée au pouvoir, pourquoi ils ont été tolérés, la création des premières organisations criminelles et leur évolution au fil du temps. »
L’auteur immerge le lecteur dans la réalité d’un Japon toutefois assez méconnu. Certes le style d’écriture est celui d’un reporter et non d’un romancier mais on apprend énormément de choses sur le Japon, ce, souligné par l’explication détaillée de certains mots ou expressions du langage.
De paragraphe en paragraphe nous plongeons dans l’histoire du tatouage, de la méthamphétamine, du jeu, de l’amputation de phalanges, des tributs à payer, de leur nationalisme tendant à sympathiser avec les partis d’extrême droite, de l’organisation pyramidale des différentes organisations yakuzas souvent en conflit, des guerres de gangs, des origines des membres (dont les Coréens sous les affres d’un racisme récurrent de la part des Japonais mais qui seront bien accueillis par les Yakuzas au fonctionnement méritocratique), des rituels du deuil, des croyances, des business, de la prison, de la discipline et des châtiments, du rôle de la police, des répressions policières dont les premières importantes en 1964 année des jeux olympiques, des lois de plus en plus strictes et qui vont finir dans les années 2000, par faire chuter les organisations bien que les Yakuzas ont toujours leur mot à dire de nos jours et particulièrement dans le monde politique, immobilier et du spectacle où ils restent très actifs mais de plus en plus discrets…
Fini ce qui les faisait repérer tels les tatouages et les petits doigts coupés (Yubizume) justifiant une forme d’excuse à une organisation. Les lois sont devenues strictes. Yakuza affiché signifie paria et total rejet par la société. Pas de boulot ni de logement. Dénonciation obligée par les civils si l’un d’entre eux est repéré dans le voisinage…
Mais, comme dans toute histoire de mafieux, on y trouve un cœur aussi… Jake Adelstein, malgré la violence criminelle notoire des Yakuzas, va rendre Saigo attachant, voire sympathique. Sinon même, l’ensemble des organisations habitées par un code et une discipline.
Ces codes de rigueur sont la loyauté, l’honneur et la méritocratie. Les organisations yakuzas revendiquent ‘la voie chevaleresque’ nommée Ninkyodo (dont Nin serait à l’origine de Nintendo, des cartes frauduleuses fabriquées dans les années 60 servant à jouer dans les tripots d’alors…). Mais, Nin veut aussi dire se dominer soi-même et penser au bien-être des autres. Kyo est la volonté de venir en aide aux faibles et de combattre les dominants.
Les anciens Yakuzas étaient des rebelles avec un cœur à la Robin des Bois. Ils revendiquaient la bravoure, le courage, l’intrépidité, le respect de l’adversaire, la force et le savoir. Ils ne s’attaquaient jamais ni aux civils, ni aux enfants, ni aux vieillards et ont aidé financièrement bon nombre de gens malades ou dans le besoin. Ils ne s’attaquaient qu’aux grosses fortunes. Le rôle principal de toutes mafias étant le chantage et l’extorsion de fond. Les arnaques en tout genre. Directeurs de banque, PDG, médecins et politiciens corrompus ne manquent pas…
Les jeunes d’aujourd’hui semblent ne plus avoir ces codes et ces valeurs, n’hésitant plus à tuer et dépouiller de vieilles gens, ce qui ne grandit pas l’idéologie des anciens et vient à la ternir de plus en plus. Avant les années 2000, ces jeunes indignes auraient été exclus, battus rossés, expulsés comme des malpropres. Les temps changent et l’organisation, dû aux nombreux conflits internes, connaît une déliquescence morale bien que toutefois l’Inagawa-kai et ses ramifications, restent un gouvernement de l’ombre.
Les symboles yakuza sont nombreux et on trouvera souvent parmi les tatouages, celui de la carpe, un poisson qui nage à contre-courant et qui peut même remonter torrents et cascades. Outre son symbole de fortune, chance et persévérance, courage et stoïcisme, son nom ‘koi’ est aussi synonyme d’’amour’.
Les fleurs de cerisiers représentent la nation à laquelle ils sont fortement attachés, la beauté, le sacré et surtout l’éphémère, ce qui est souvent le cas de la vie d’un yakuza connaissant gloire mais brève existence. Sans compter un bon nombre de Dieux protecteurs…
L’auteur consacre un large paragraphe très instructif sur l’histoire même du tatouage.
Le paragraphe sur les prisons donne froid dans le dos… Contrairement aux centres pénitentiaires occidentaux, il n’y a aucun viol et le silence est tel qu’on pourrait entendre voler une mouche. Un mot et c’est le cachot, attaché dans ces mini cellules capitonnées et où vous devez laper votre écuelle servie à ras du sol... L’humiliation des gardiens est à son paroxysme. Ils sont payés pour ça…
On entre dans la vie de Saigo depuis son plus jeune âge jusqu’à nos jours, ce qui nous fait entrer dans l’univers de ces organisations très particulières qui sont part intégrante de la société japonaise, son Histoire et sa culture.
Je vous laisse découvrir ce qu’est un gaijin, ce que veut dire San, burakumin, kaiten, kamikaze hanafuda, chohan, ikiyubi, shiniyubi, jikkobukken, oyabun, daimon, sakura-mon, kyodai, hamonjo et beaucoup d’autres termes expliquant une société qui est loin d’être la nôtre, bashodai, jounoukin et shinogi, étant les nerfs de la guerre des yakuzas…
Les paragraphes sont courts mais fourmillent d’informations. Le style journalistique donne un rythme de lecture fluide et enlevé. Passionnant pour ceux qui s’intéressent au Japon. Un travail d’enquête à saluer.
Dans les années 80, j'ai vécu trois ans à Tokyo loin de m'imaginer ce monde parallèle...
"L'endroit le plus sombre est au pied du phare" (dicton japonais)...
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