Alors que sa grand-mère adorée, Manelle, vient de mourir, Lina trouve un carnet qu'elle avait déjà vu, enfant, mais pas ouvert, que Manelle a écrit lors de son séjour de quelques mois à Tanger, en 1953, alors qu'elle avait 20 ans. Elle avait aussi découvert une carte postale de Tanger et sa...
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Alors que sa grand-mère adorée, Manelle, vient de mourir, Lina trouve un carnet qu'elle avait déjà vu, enfant, mais pas ouvert, que Manelle a écrit lors de son séjour de quelques mois à Tanger, en 1953, alors qu'elle avait 20 ans. Elle avait aussi découvert une carte postale de Tanger et sa grand-mère avait éludé ses questions. Des lettres d'un certain Tahir, écrites entre 1954 et 1981, lui sont également remises par sa grand-tante. Une soixantaine d'années après Manelle, Lina décide de partir à Tanger, pour mettre ses pas dans ceux de sa grand-mère et découvrir la jeune fille qu'elle a été avant d'être la grand-mère qu'elle a aimée.
Ce premier roman magnifique, construit sur l'alternance des voix de Manelle et de Lina, à la double temporalité, c'est celui de la perte d'un être cher mais aussi celui de l'adieu à l'enfance avec la disparition de la grand-mère qui en était la clef de voûte, qui lui a appris la nature, les odeurs, la peinture. le départ à Tanger, c'est chercher sa grand-mère mais c'est aussi se chercher soi-même. C'est également le regret de ne pas avoir posé les questions et avoir réclamé les réponses avant qu'il soit trop tard.
Tanger, avec ses odeurs, ses couleurs, ses bruits, ses légendes et surtout sa lumière est un personnage à part entière qui permet aux deux femmes de se trouver, de savoir ce qui est important pour elles au-delà des apparences et de la superficialité. Elles rentrent toutes deux en France définitivement changées par cette ville, en laissant une part d'elle-même à Tanger. le titre du roman est d'ailleurs à double sens : L'autre Part, c'est l'ailleurs mais c'est aussi la part de soi-même qu'on laisse derrière soi.
L'auteure fait montre d'une très grande délicatesse dans la narration; elle suggère plus qu'elle ne décrit; sa plume est pleine de poésie, de sensualité, de douce nostalgie et d'une grand force évocatrice : on croirait avoir le goût des abricots murs dans la bouche, on croit être caressé par les rayons du soleil.
L'arrière-plan historique est particulièrement intéressant; nous sommes en 1953, trois ans avant l'indépendance du Maroc qui était sous protectorat français depuis 1912; bien que Tanger eût un statut autonome sous contrôle international, les troubles qui touchaient le reste du Maroc, concernaient aussi Tanger. Dans ce contexte, sont nés les premiers mouvements féministes marocains; les femmes ont combattu auprès des hommes pour la libération de leur pays et pensaient un peu naïvement que cela leur confèrerait un statut égal aux hommes à l'indépendance. Ce roman est un hommage à ce combat féministe pour que la femme puisse accéder à l'éducation, puisse se protéger des violences, puisse choisir sa vie...
Un nombre non négligeable de romans de cette rentrée littéraire ont l'Afrique comme point commun que ce soit "Casablanca Circus" qui a de nombreux thèmes communs avec "L'Autre Part" comme le combat des femmes pour leur liberté, l'opprobre jetée sur les femmes qui ont des relations hors mariage, la violence conjugale..., ou "Une façon d'aimer" qui traite du combat contre le protectorat français et la vie des expatriés qui n'avait pas ou peu de contact avec les autochtones, ou "Les femmes de Bidibidi" sur les violences subies par les femmes ou encore "Ce que je sais de toi" sans parler de ceux que je n'ai pas lus comme "Adieu Tanger". Ils nous donnent à voir un ailleurs et c'est ce que j'aime dans la littérature. A cet égard, cette rentrée littéraire a été riche en plaisir de lecture.
Je remercie lecteurs.com et les éditions Plon pour m'avoir offert l'occasion de faire connaissance avec une auteure qui semble très prometteuse.
Merci BERNARD DOMINIQUE et je suis heureuse que ma chronique vous ait plongée dans une douce nostalgie.