Nouveaux talents, nouveaux horizons littéraires !
Jean est appelé en Algérie en 1962. De retour en France, c'est à l'âge de trente ans qu'il meurt lors d'un dernier séjour à l'asile. Soixante ans plus tard, il suffit de presque rien, d'une confusion de prénom, pour que le passé surgisse comme une déflagration. Guillaume Viry narre le temps fracassé, et la folle histoire de la guerre d'Algérie et ses échos contemporains. Dans ce premier roman, l'auteur bouleverse et cristallise l'ampleur d'une tragédie. Tout de blancs, de non-dits et de silences, L'Appelé révèle un écrivain.
Nouveaux talents, nouveaux horizons littéraires !
https://zazymut.over-blog.com/2024/10/guillaume-viry-l-appele.html
« je suis allongé
moi Jean
je ne suis que l’allongement immobile de mon long corps maigre déposé sur un petit lit en ferraille
l’allongé du deuxième étage de l’asile de Saint-Dizier
moi Jean
suis l’allongé de l’avant-dernière porte à gauche de l’étroit couloir aux murs jaunis écaillés moisis tristes
tristes murs »
Ainsi débute ce court roman, poésie, sorte de chanson de geste, sans rimes, ni majuscule, ni ponctuation qui raconte la guerre d’Algérie à travers Jean le fils, parti là-bas, revenu trois mois après traumatisé par la séance à laquelle il a dû assister, la torture à mort d’un suspect. Hospitalisé à l’asile comme l’on disait à l’époque, il y meurt.
Son père, un an après, décide de brûler tous les papiers de Jean
« brûler l’ensemble de la boîte
l’ensemble des papiers des histoires de Jean ceux empilés dans la boîte à bottes de pêche
parce que ça suffit les histoires
toutes celles qui tournaient dans la tête de Jean
les histoires à nous faire devenir chèvres tous autant qu’on est les et les autres
c’est aujourd’hui bien suffisant comme ça »
« aujourd’hui cinquante années ont passé
aujourd’hui Joseph me demande se je me souviens
si moi Jean je me souviens
à moi qui ne suis pas Jean »
Julien, le fils de Joseph et l’oncle de jean dit lors de ses trois jours
« ça ne s’est pas bien passé le service militaire de mon oncle en Algérie
le médecin militaire me regarde
me dit
je vous réforme
me dit à moi Julien
vous êtes réformé psychiatrique
P4
une lettre un chiffre »
Comme si P4 pouvait pardonner ou faire pardonner les horreurs
Un court récit poignant dans l’entrelacement des paroles de Jean, Louis le père, Joseph le petit frère, Julien, le neveu. Elles disent la torture en Algérie, la peur, la folie, les meurtres, les viols… Tout cela, Jean l’a vécu en trois mois qui ont définitivement scellé sa vie.
Les répétitions de phrases scandent le récit comme un refrain, comme pour mieux marteler l’antienne nous faire entrer dans la tête de Jean, le faire revivre, déchirer le voile de l’oubli où le père l’a mis en brûlant ses papiers.
Pour les gens de ma génération, ce petit livre ouvre les vannes des souvenirs, rappelle qu’untel est revenu défoncé, broyé, que l’autre n’a jamais pu se remettre de ce qu’il a vécu, que tous ont laissé une partie de leur âme dans cette guerre qui ne disait pas son nom, de ces « évènements d’Algérie ».
Guillaume Viry par la forme de son récit, en peu de mots, amplifie les silences, les secrets, la tragédie vécue un peu comme l’unique livre de Joseph Pontus.
Dans ce court texte en vers libre, la folie est dite en peu de mots. Une folie induite, par l’horreur ressentie, dans une guerre aussi absurde que peuvent l’être les guerres. L’appelé n’a pas eu le choix. Il a subi de plein fouet des scènes dont on sait qu’elles ont été vécues. Certains ont pu les affronter, au risque de devenir des silencieux éternels, d’autres n’ont pas pu. Mais qui sont les fous dans l’histoire ?
Ce texte dit aussi le mal sournois du secret, des on-dits, des fantômes dans le placard. C’est un fantôme en particulier, celui de son oncle, qui ressuscite dans ces lignes douloureuses.
Beaucoup d’émotions émanent de ces lignes qui disent autant l’indignation que le soulagement de découvrir un pan de l’histoire familiale soigneusement éludée.
Pas de nouveauté ni dans le thème ni dans la forme, mais une belle alliance et un choix réussi de mise en mots d’un épisode intime qui rejoint l’universel.
160 pages Canoë 6 septembre 2024
60 ans séparent Julien de Jean. Une mémoire défaillante et les voilà liés l’un à l’autre.
« moi Julien je pense à ce que je sais de toi
toi jean
ce que je sais seulement de toi
ce qui est seulement su
seulement su de toi jean
appelé en Algérie
à ton retour
tu te tues
à ton retour de la guerre d’Algérie tu te tues
je répète
tu te tues à ton retour de la guerre d’Algérie »
Jean est L’Appelé. Julien est le fils de Joseph, le petit-fils de Louis, le neveu de Jean. Aujourd’hui, la petite histoire rattrape la grande, celle de la guerre d’Algérie et il est temps de la raconter.
« voici venu le temps
d’ouvrir grand les bras
d’accueillir
le mystère
voici venu le temps de dire le mystère
inaltérable
voici venu le temps de dire l’unique
dire le singulier
de ton existence Jean »
D’une façon peu commune, quelque peu poétique, l’auteur déroule une histoire familiale touchante faite de non-dits et de blessures ouvertes.
« aujourd’hui le père parle de celui dont il ne parle pas
dont jamais il ne parle
dont jamais personne ne parle
aujourd’hui le père n’en parle pas
le père dit que je suis celui dont on ne parle pas
aujourd’hui le père confond mélange fait rompre la digue »
http://www.mesecritsdunjour.com/2024/09/l-appele-guillaume-viry.html
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