"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Midori Yamada, une Japonaise de 28 ans, a été condamnée à mort ce jour par une cour d'assise de Tokyo pour le meurtre de ses trois enfants, un verdict exceptionnel dans une affaire de maltraitance infantile qui a terrifié la population japonaise ces derniers mois.
C'est l'histoire de Midori, tous ses gestes en même temps que ses désirs de vie, et aussi ses peurs et ses malheurs de mère ; c'est la reconstruction d'une déchéance pour laquelle Karyn Nishimura se fait écrivaine dans les marges d'une « affaire de famille » ; c'est encore un reportage indigné sur la société japonaise, ses procédures et ses silences face à la pauvreté et la détresse des parents ; c'est surtout un réquisitoire émouvant contre la peine de mort au Japon qui laisse le lecteur français étourdi.
Avec l’affaire Midori, Karyn Nishimura dresse une analyse très fine de la société japonaise contemporaine et nous adresse un pamphlet contre la peine de mort.
Midori Yamada est jugée à 27 ans pour trois infanticides prémédités. Elle risque la peine de mort.
Pourtant Midori n’avait pas le profil ni l’âme d’une tueuse. A-t-elle des circonstances atténuantes ou aggravantes. Pauvre et seule, elle est en plus victime de discrimination de radioactivité pour avoir habitée sur la zone de la centrale de Fukushima
Sa vie a pris un tour tragique le jour du tsunami. Ce qui intéresse les médias japonais c’est le drame et pas la cause Personne ne se pose la question de savoir ce que Midori serait devenue sans cet accident nucléaire.
Par la voie de la narratrice, journaliste, Nishimura pose des questions essentielles autour de la peine de mort en France et au Japon et s’interroge sur l’évolution de son métier .L’immédiateté ne tue-t-elle pas le temps de la réflexion et de l’enquête ?,
Nishimura s’adresse directement aux lecteurs et cherche à briser l’indifférence quasi généralisée au Japon sur ce qui a conduit Midori à tuer. Elle lève le voile sur les apparences de la vie japonaise, du désenchantement à l’admission de la fatalité aux catastrophes naturelles ou la tentation de se conformer à un modèle pour passer inaperçu.
Ce livre est une réussite sur les nombreux sujets qu’il aborde. A titre d’exemple, la place de la femme et les coulisses de la justice au japon sont évoqués de manière percutante.
Par des réflexions personnelles, Karyn Nishimura invite à penser. Porté par des mots simples qui touchent et une plume érudite et captivante, l’affaire Midori est un livre palpitant.
« Tout est presque vrai dans cette fiction. »
Karyn Nishimura a mixé l’histoire réelle de plusieurs prévenues pour donner vie à Midori : une jeune femme coupable d’un triple infanticide.
Récit qui sert d’arrière-plan à l’analyse d’une face plus sombre du Japon. Tout autre que celle connue habituellement « la plus visible, la plus agréable, celle du Japon de la politesse, de la fidélité, de la serviabilité, de la gentillesse, du civisme, de la propreté, de la ponctualité, de la qualité et même de la perfection. »
L’histoire : Une famille simple, une petite fille sans histoire, Midori. A 21 ans, son histoire bascule avec le tsunami de 2011 et la catastrophe de Fukushima. Son père se suicide, comme des centaines de japonais.
L’autrice se situe dans le roman, à la première personne du singulier, « comme une journaliste française au Japon », ce qu’elle est réellement. Elle relate le procès (Midori a tué sa petite fille et deux jumeaux, encore nourrissons), et tente de mieux comprendre la personnalité et l’environnement social de Midori qui risque la peine de mort…
Percevoir à travers le personnage, la génération des 20 / 30 ans japonais. Une génération désenchantée, malléable, qui souhaite une vie tranquille et ne s’intéresse pas à la politique :
« Elle avait les faiblesses de sa génération, celle qui ne bat pas, celle qui baisse les bras. Elle aussi, au départ, voulait les trois AN : ANZEN, ANSHIN, ANTEI, sécurité, tranquillité, stabilité, cette quête des jeunes de vingt-trente ans, cette quête qui les paralyse, leur fait craindre et fuir le risque. »
« Les trois AN étaient presque devenus une réalité. Ils avaient tous au moins une promesse d’embauche des semaines ou des mois avant d’avoir fini leur cursus : plus ils étaient mous et malléables, plus ils avaient de chances d’avoir une vie professionnelle stable, la sécurité de l’emploi. »
Une personnalité que Fukushima a renversée, a mise à terre, complètement détruite par son acte. « Midori se sentit alors prise dans un engrenage. Toute la haine qu’elle avait pour elle-même se projetait sur sa fille. Et elle devint alors ce qu’elle n’aurait jamais imaginé : un monstre pour son enfant qu’elle se mit à négliger sans le vouloir pourtant. Si bien que le jour de son arrestation fut pour elle un soulagement. »
En arrière-plan de ce procès à fort retentissement, se profile également une vision politique et sociale du Japon :
- Fukushima dont l’importance a été minorée par le gouvernement.
« L’accident de Fukushima n’a donc pour ainsi dire tué personne directement. Le bilan est pourtant bien différent : plus de 2500 habitants du département sont morts d’avoir été transbahutés dans des conditions ignobles lors des opérations d’évacuation, d’avoir vécu des jours interminables dans des refuges mal équipés. »
La négligence et la responsabilité de l’exploitant de la centrale. Les 3 dirigeants de Tepco, (Tokyo Electric Power) ont été innocentés par les tribunaux
- L’absence de perspectives écologiques
« Le Japon est un des pays qui pâtissent le plus des effets des catastrophes naturelles d’origine météorologiques, un de ceux où les politiques parlent le moins d’écologie, de changements climatiques. »
- L’interdiction de l’avortement même si la Le Japon autorise un accès à la pilule abortive, mais très encadré, depuis avril 2023.
Il existe même à 900 km à l’ouest de Tokyo, à Kumamoto, une « boîte à bébés » où les femmes peuvent déposer leur nourrisson. « Ici, se trouve un grand hôpital catholique où est installée la seule « boîte à bébés » du japon, une couveuse où on peut dignement abandonner son nourrisson, faute de pouvoir l’élever. »
- La justice. Elle est qualifiée d’expéditive : « Au japon, 99,4 % des personnes envoyées devant le tribunal sont jugées coupables. »
Et surtout, la peine de mort est toujours effective au Japon. On parle souvent des délais à rallonges des prisonniers américains dans le couloir de la mort, il en est de même au Japon. L’autrice cite le cas d’un « condamné à mort en 1968, peine confirmée en 1980, jamais exécuté, libéré en 2014 pour être rejugé. »
L’autrice cite le cas d’un « condamné à mort en 1968, peine confirmée en 1980, jamais exécuté, libéré en 2014 pour être rejugé. »
C’est aussi, et c’est passionnant, une propre remise en cause de son métier de journaliste. Prendre le temps de l’information, le temps de l’analyse…
« Quel est le temps de l’information ? C’est ça, la question qu’il faut se poser aujourd’hui, je crois, à l’heure de l’accélération, de l’urgence, de la communication à outrance, de la défiance envers ceux qui la font, la sélectionnent et la diffusent. »
Un challenge particulièrement réussi sur les deux éléments de ce roman : la fiction (histoire et personnalité de Midori) et le documentaire.
Lu dans le cadre du prix Orange 2024.
Je remercie la Fondation Orange et les Editions Picquier pour cette belle découverte.
https://commelaplume.blogspot.com/
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