"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est un pays qui veut et qui ne veut pas se souvenir. Ce sont les fantômes de la dictature et les noyés d'un fleuve mensonger. C'est la recherche d'une forme de vérité et d'une mémoire fuyante dans les rues de Buenos Aires et dans les villes argentines où trente mille personnes ont disparu lors de la dernière dictature (1976-1983), et où des centaines d'enfants furent volés par les militaires pour éradiquer le «gène rouge».
Quarante ans après le retour de la démocratie, dans un pays qui vient de voter contre lui-même, il manque encore des gens en Argentine. Les disparus le sont toujours. Les familles attendent. Certaines personnes ignorent qui elles sont réellement. Dans ce flou permanent, une femme, la narratrice, cherche à percevoir des fragments de cette mémoire voilée et volée sur une terre où, peut-être, s'est jouée une partie de sa propre histoire familiale.
L'absence est une femme aux cheveux noirs est fait d'images de flou et d'ombres, des photographies comme des éclairs de songes, et un texte fragmenté, comme des trous de mémoire, comme un monologue qui parfois s'emballe et devient fou. Et où, pourtant, tout est vrai.
Une déambulation littéraire et visuelle puissante, où les stigmates du passé se réveillent au contact d'un présent terrible.
Il est des expressions qui sont des euphémismes insupportables. Les dictatures sont friandes de ces manipulations du langage.
C’est ainsi que les dictatures utilisent le mot de « disparition » pour qualifier le destin des opposants victimes des répressions. Un euphémisme pour désigner la torture et la mort.
Mais surtout une façon de faire souffrir les familles indéfiniment. Ignorer le sort d’un enfant, d’un conjoint, d’un parent. Se douter de sa mort mais ne pas savoir si celle-ci fut rapide ou non, si l’être aimé a souffert, où son corps a été dissimulé.
La dictature argentine a causé, selon un chiffre estimé, 30 000 disparitions.
Et puis il y a les enfants, ceux des femmes enceintes au moment de leurs arrestations, ou qui l’ont été à cause des viols répétés.
Ces enfants ont été volés et donnés aux bourreaux ou à d’autres familles en mal de progéniture.
Et le sort de la plupart d’entre-eux restent encore méconnus. Ils sont recherchés inlassablement, encore maintenant, par leurs proches survivants et notamment leurs grands-mères.
Voilà le cœur de ce nouveau livre d’Emilienne Malfatto. Un récit en vers libre, entrecoupé de photographies qui accompagnent le texte, transmettant une émotion supplémentaire à ce livre qui prend aux tripes.
Ce texte est comme une litanie qui hante, qui montre bien que les victimes ne sont pas que quelques chiffres, que ce sont des gens, des histoires et des traumatismes qui se perpétuent.
L’autrice insiste aussi sur le fait que le passé peut être effacé, réécrit et qu’il faut continuer à lutter pour qu’ici et ailleurs, les bourreaux ne soient pas réhabilités mais jugés. Que les victimes, même des années après les crimes, méritent la justice.
Un livre indispensable.
« C’est une ville étrange où il faut savoir où on va.
J’ai posé la question l’autre soir au chauffeur du bus 29 ce bus que j’attends en face du grand parc où on torturait en technique. »
« C’est un pays qui ment qui ne veut pas se souvenir
Une ville de mensonges
Buenos Aires aux longues avenues aux relents
humides…
C’est un pays étrange où il manque des gens
c’est comme ça
comment le dire autrement
il en manque quelques milliers
on les a emmenés et ils ne sont jamais revenus
Et quelque part
une femme teint ses cheveux de noir
pour garder le même visage
pour que le frère disparu puisse la reconnaître
dans la foule
si un jour il revient. »
Un livre beau et terrible ; Emilienne Malfatto revient sur les années où Videla, le dictateur, règne sur l’Argentine.
Ce geste de teindre ses cheveux est à la fois un signe d’espoir et de désespoir, pourvu qu’il me reconnaisse lorsqu’il reviendra, Mais...
Tous ces gens qui ne veulent pas se souvenir, je ne dis pas qu’ils ont oublié, non, mais ils ne veulent pas se souvenir « Monsieur que faisiez-vous en 76 le 24 mars ». Tous ces gens qui vivaient en face ou à côté des lieux de torture, n’entendaient-ils rien ? Comment oublier, comment de ne pas parler ?
Les femmes enceintes gauchistes ou supposées étaient enfermées jusqu’à l’accouchement et le nouveau-né donné à des familles n’ayant pas le « gène rouge », leur propre famille ou des éléments « purs ». Les enfants de cette tragique période se posent-ils la question de savoir si ils vivent avec leurs parents biologiques ou pas ? Ils sont environ 500 enlevés à l’amour de leurs parents « Après il fallait laver le sol, peut-être leur laissait-on leur nourrisson quelques heures, quelques jours, et puis pour elles rapidement le transfert, les jeunes mères aux chairs déchirées lancées dans le ciel, le grand saut comme les autres, faites-moi disparaître tout ça, les mères au fond du fleuve, comme des Moïse à l'envers, et les enfants sauvés des eaux du péril rouge, et les bourreaux contents. Et pour l'enfant, une nouvelle vie, vie de mensonge et d'éducation comme il faut, loin de la subversion ».Les mères et grand mères qu’ils appellent les folles de la place de Mai tournent pour que l’on n’oublie pas leurs disparus, certaines disparaîtront à leur
N’importe qui pouvait disparaître du jour au lendemain, à tout jamais, peut-être balancés d’un avion dans les profondeurs de l’Océan « Los desaparecian »
En 1983, le retour de la démocratie, les procès retentissants n’y font rien. Tant d’années de dictature a mouillé politiques, armée, police et autres. Alors, oui, ils ne veulent pas se souvenir, se veulent blanchis par l’oubli et le non-dévoilé, comme souvent après des exactions commises et ceci est valable pour tous les pays.
« Que faisait-il celui-là pendant la dictatures
De quel côté était-il. Sait-il quelque chose
A-t-il vu quelque chose. »
Emilienne Malfatto alterne poésie en vers libres et prose. Son écriture poétique rend plus horrible les sévices, morts, tortures commises du temps de la dictature. Les photos de Rafael Roa ; sépia foncé, floues, quelques fois très contrastées ajoutent à l’horreur.
Un livre que j’ai été obligée de lâcher quelques fois. Pourtant un coup de cœur, un coup de poing au cœur. Un livre à mettre dans les mains de certain(e)s.
Merci à mes libraires préférées pour cette proposition superbement déchirante.
Emilienne Malfatto m’a déjà conquise avec le terrible Que sur toi se lamente le tigre
"...disparaître encore, toujours ce verbe comme un grand
cercle de silence
un grand couvercle de l'oubli
le silence comme
un poison lent
dans la société Argentine
un pays malade de ses disparus " (p.45)
Emilienne Malfatto donne une voix au silence, aux silencieux, aux absents, aux disparus de la dictature Argentine de Videla fin des années 70.
Il y aurait tant à dire sur ce livre qui porte sur le silence et l'absence.
Que tous vos sens sont aux aguets: les bruits, les odeurs, les couleurs, le toucher. Ça pue, ça hurle, ça crie dans tous les pores du récit. Dans les mots, dans sa construction, dans l'alternance de typologie.
Tout concourt à ce que vous ressentiez les tortures, les humiliations, la peur, la séparation, la mort mais pas l'oubli.
" ça sonne mieux en espagnol
dictadura
tu entends mieux le bruit des bottes"
Témoigner, chercher, bousculer, tout sauf oublier!
De l'émotion à forte dose dans un écrin parfois poétique qui est la "marque de fabrique " de l'écrivaine et que j'aime tant.
Mention spéciale pour les photos de Rafael Roa qui apportent des visages et un peu de douceur à ce livre hors-norme.
Un livre que je verrai bien adapté au théâtre !
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