"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1938. À Marseille, Vladimír, tout juste nommé consul de la nouvelle Tchécoslovaquie, s'installe dans ses murs, ébloui par la vitalité du grand port. Pendant ce temps à Strasbourg, Bojena - jeune Praguoise en route pour l'Amérique - vole le bébé d'une autre émigrante, une Juive morte en couche. Ou le sauve ? En tout cas, elle poursuit son chemin avec l'enfant et sa poupée de chiffon. Mais à Munich, ce même an 1938, le sort de la Tchécoslovaquie est scellé. Celui de l'Europe aussi. Ce sera la guerre. Et plus que jamais la quête d'un Nouveau Monde.
La tourmente européenne réunit tous ces destins en Provence. Séparations, retrouvailles, résistance, clandestinité... Jusqu'au retour à Prague et aux espérances trahies.
La poupée a tout vu de ses yeux de nacre émerveillés. Elle a tout entendu. Dans ce tumulte terrible et merveilleux elle fait entendre sa petite voix où l'on retrouve l'humour, la poésie, la tendresse et la gravité de Lenka Hornakova-Civade.
Tout d'abord je tiens à remercier Lecteurs.com qui me fait découvrir cet auteur et son troisième roman.
Certes, on est un peu déconcerté, au début, par les changements d'époques, de lieux, de personnages.
Certes, cela demande un peu de travail au lecteur, quelques retours en arrière pour se resituer dans le temps, l'endroit, reconnaître le personnage et suivre la pensée de l'auteur.
C'est un fil qui se déroule ; il est plein de nœuds parce que la mémoire ne suit pas une ligne droite, elle virevolte, revient en arrière, loin, puis se projette ici, juste hier. C'est ainsi.
Et moi je me suis prêtée à ce jeu et j'ai aimé.
J'ai aimé la tendresse, la poésie de l'écriture.
J'ai aimé voir par les yeux innocents de la petite poupée.
J'ai aimé ces personnages malmenés par la guerre, ballotés par l'exil, mais qui résistent et gardent l'espoir.
Et je ne me suis pas ennuyée bien au contraire !
D’emblée deux scènes fortes, à Prague séparées par un demi-siècle.
1953 Vladimir Vochoc fait face à un tribunal populaire .
2002 Josefa fait face à sa fille et son gendre, l’inondation de la ville devrait l’inciter à partir mais elle ne veut pas sortir de chez elle.
« Elle ne possède pas de valise, pas de grand sac. Elle est toujours assez bien parvenue à dissimuler une sorte de folie obsessionnelle : ne pas bouger de Prague, ne pas s’éloigner de son quartier et perdre de vue, le moins possible, sa rue, son immeuble. »
Un lien entre les deux : l’année 1938.
Certaines choses ne peuvent se dire que par un artifice, ici une poupée de chiffon. Cette poupée a tout vu, tout entendu mais dira-t-elle tout ?
C’est le symbole de la transmission.
Ce qui peut paraître comme une structure déroutante, au contraire renforce la narration.
Vladimir Vochoc est consul de Tchécoslovaquie à Marseille, dès 1938 il est lucide sur la situation mondiale.
L’auteur nous trace le portrait d’un Juste. Diplomate reconnu « Juste parmi les Nations », un de ceux qui ont pu sauver de la Shoah des milliers de personnes.
Ceux qui ont eu l’audace, le grain de folie d’enrayer la machine à exterminer. C’est un portrait haut en couleurs, parmi ces milliers de gens qui essayent de fuir, de se faire oublier.
Un homme qui a su s’extraire de « l’ordinaire » pour être au croisement de ceux qui doivent s’exiler.
Une femme parmi ces milliers de visages, Bojena et son bébé Josefa.
C’est de ce duo, dont la poupée de chiffon, va nous révéler le destin.
Un éclairage sur ce lien très particulier entre cette mère et l’enfant, car entre elles, les mots sont un fil à dérouler : « Je ne comprends pas, j’ai menti pour la première fois. Pourtant, on est en paix, non ? Est-ce que le mensonge pendant la guerre avait été plus acceptable ? Plus léger ou justifié qu’en temps de paix ? Pour survivre, on a tous les droits ? Puis, dans le mensonge il y a « songe ». C’est comme si les rêves étaient faux. Comment un rêve peut-il être faux ? Et un rêve, peut-il être vrai ? »
Cette poupée comme mémoire, d’elle surgit l’origine de Josefa.
Une voix comme celle de l’auteur qui fait resurgir pour mieux conserver.
Comme son héros Vladimir Vochoc, Lenka Horňáková-Civade nous démontre que chaque destin est extraordinaire, tissé par des liens souvent insoupçonnables.
L’auteur peint de très beaux portraits d’hommes et de femmes sur la toile de l’Histoire. Non, pas des ombres, des êtres humains qui restent en mémoire.
Une écriture forte, comme l’eau-forte ce procédé de gravure en taille douce pour baigner notre mémoire collective.
En 2016, l’auteur déclarait que la langue française lui permettait de dire ce qui était indicible dans sa langue maternelle. Une fois de plus dans ce troisième roman, tout fait sens et elle sait avoir la bonne distance.
En conclusion, vivre n’est-ce pas répondre à ceci : « Il faut savoir si l’on se bat pour son passé ou pour son avenir. Il faut savoir si l’on veut se battre. Notre passé, les interprétations et les légendes qu’il nous propose. »
Livre lu dans le cadre de Masse Critique Babelio, merci à eux et à Alma éditions.
© Chantal Lafon-Littérature Amor 15 octobre 2019.
Déjà le troisième roman de Lenka Hornakova-Civade après le bouleversant Giboulées de soleil et l'ambitieux Une verrière sous le ciel, révélant le regard d'une artiste mêlant avec talent ses deux passions, la peinture et la littérature. A chaque fois, des voix fortes et surtout un thème central, la quête de la liberté, révélant de bouleversants parcours de femmes. Avec ce nouveau roman, il est encore question de liberté mais cette fois, c'est une figure masculine qui domine. Un personnage bien réel, ancien consul de Tchécoslovaquie à Marseille pendant la dernière guerre mondiale, que l'auteure fait ici revivre et que j'ai adoré rencontrer.
Il y en a eu tant, des individus comme lui qui ont œuvré à leur niveau, sans bruit, simplement parce qu'ils avaient un idéal de liberté chevillé au corps, une certaine façon de concevoir leur devoir. Vladimir Vochoc était un fonctionnaire de la toute jeune Tchécoslovaquie (créé en 1918) dont l'encre de la constitution était à peine sèche lorsque, en 1938, il est nommé Consul pour le sud de la France et Monaco, basé à Marseille. A ce moment, son pays fait face à la convoitise du voisin allemand qui se montre de plus en plus pressant, on connait la suite à commencer par les désastreux accords de Munich et l'inertie du reste du monde. Vladimir est au service d'un idéal de liberté et de démocratie auquel son tout jeune pays sert de laboratoire : melting-pot d'origines et de confessions appelées à cohabiter harmonieusement et sans restriction. La guerre et l'occupation nazie dont on connait les thèses viennent rompre cette harmonie, l'après-guerre et la mainmise soviétique n'arrangeront pas les choses...
Lenka Hornakova-Civade nous plonge dans ces années charnières et dramatiques à travers le destin croisé de jeunes tchécoslovaques qui se retrouvent sur le territoire français pour différentes raisons. Parmi eux, Bojena, en route pour l'Amérique avec son mari, en escale à Strasbourg le temps de mettre au monde son enfant. Piégés par l'embrasement mondial, ils se retrouvent à Marseille où Vladimir maintient coûte que coûte l'activité de son consulat afin de fournir des papiers à ceux qui tentent d'échapper aux rafles nazies. Il s'agit de sauver des vies, malgré le cynisme et le désintérêt des hiérarchies de l'administration française après la signature de l'armistice. Secrets, fuites, séparations, emprisonnement, résistance... L'auteure nous emporte dans un tourbillon où le noir côtoie la lumière et où les destins sont irrémédiablement transformés.
Il souffle dans ces pages, toute la détresse d'un pays à l'Histoire déjà très chahutée (cf l'Empire austro-hongrois), le désespoir des idéaux broyés par la convoitise, la barbarie ou l'indifférence. La musique, déjà présente dans ce beau titre, les traverse, par les chants yiddish qui se transmettent de mères en filles et bercent les veillées des fugitifs. L'auteure donne à Vladimir l'élégance des êtres d'exception que l'on ne peut qu'admirer. Et elle trouve, en faisant raconter une bonne partie de l'histoire de Bojena par la poupée de chiffon qui traversera les années aux côtés de son enfant puis de sa petite-fille, un formidable ressort à la fois dramatique et poétique.
J'ai trouvé ce roman superbement émouvant et je souhaite à de nombreux lecteurs de faire un bout de chemin avec Vladimir Vochoc qui trouve ici un bien bel écrin. Merci beaucoup, Lenka, pour ce récit lumineux.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
J'ai un souci avec ce livre.
Le sujet et les personnages sont intéressants, l'histoire est intéressante, l'idée même de faire parler à certains moments la poupée est très intéressante … mais, je me suis un peu ennuyée.
C'est vraiment dommage, car j'aurai adoré aimer cet ouvrage.
D'ailleurs, je suis sûre que d'autres lecteurs l'apprécieront plus que moi.
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