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En exergue de cet étonnant récit, une histoire juive : «Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Étoile ? Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine.» Voici, annoncé en quelques lignes, ce qui anime le roman : l'inguérissable blessure raciale. À travers le narrateur, Raphaël Schlemilovitch, en trajets délirants, mille existences qui pourraient être les siennes passent et repassent dans une émouvante fantasmagorie. Mille identités contradictoires le soumettent au mouvement de la folie verbale où la tragédie la plus douloureuse se dissimule sous la bouffonnerie. Ainsi voyons-nous défiler des personnages réels ou fictifs : Maurice Sachs et Otto Abetz, Lévy-Vendôme et le docteur Louis-Ferdinand Bardamu, Marcel Proust et les tueurs de la Gestapo française, le capitaine Dreyfus et les amiraux pétainistes, Freud, Rebecca, Hitler, Eva Braun et tant d'autres, comparables à des figures de carrousels tournant follement dans l'espace et le temps.
C'est un livre paru depuis assez longtemps, d'un auteur français, Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014, pour qui je possède de nombreux ouvrages, et parmi eux, pour commencer « La Place de l'étoile », récompensé par le prix Roger Nimier et le prix Fénéon.
Une quatrième de couverture bien courte que je peux donc citer : « Au mois de juin 1942, un officier allemand s'avance vers un jeune homme et lui dit : "Pardon, monsieur, où se trouve la place de l'Etoile ?" le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. » C'est également l'épigraphe de mon ouvrage dans la collection Folio. Il comporte, en plus, après cette citation, que c'est une « Histoire juive. »
Quelques lignes qui en disent long.
Un auteur, Patrick Modiano, dont je vais rassembler tous les ouvrages que j'ai afin de pouvoir publier des critiques.
Le titre dit tout : « Place de l’étoile »… Côté cœur… Côté émotions…
Avec un style particulier, P. Modiano tisse un voile opaque pour raconter sous forme de parodie, les conséquences séquellaires de l’antisémitisme principalement sous l’occupation nazi en France, que subit un homme juif né après la guerre.
Répondant au nom de Raphaël Shlemilovitch, un nom évoquant le Schlemiel, un personnage de culture yiddish, Modiano symbolise ainsi l’ensemble d’un destin juif.
C’est un long monologue halluciné que nous livre cet homme hanté par la Shoah, les pogroms, le génocide, les camps et les tortures vécus par les siens.
En plein délire il nous plonge dans une perte d’identité étant successivement un juif antisémite, un défenseur du pétainisme, un homme de main pour la traite des Blanches, proxénète, amant d’Eva Braun, ami des gestapistes de la rue Lauriston, puis prisonnier d’un camp de rééducation en Israël similaire à un camps nazi où les juifs européens apprennent à devenir des Juifs délivrés de leur complexe de persécution et enfin, il finit sur un divan à Vienne où il est en train de se faire psychanalyser par un médecin qu’il assimile à Freud.
L’auteur reprend tous les stigmates attribués à la personne juive et les tords en tous sens dans un texte fracassant.
De pastiche en pastiche, c’est un monologue étonnant et mordant qui rend compte de l’identité juive et l’antisémitisme.
Le voyage kaléidoscopique du narrateur tourmenté n’oublie pas de mentionner les notoriétés aux origines juives honorant les nations, tels : Montaigne, Proust, Kafka, Chaplin, Groucho Marx, Modigliani, Soutine et bien d’autres et les écrivains collaborationnistes ou ‘juste’ antisémites Lucien Rebat, Céline, Drieu la Rochelle, Brasillach ou Maurice Sachs. Il les cite, il les rencontre, il est eux, il les rêve. Tout se bouscule dans sa tête pour livrer son histoire torturée.
Entre fiction et semblant d’autobiographie, on sent en ce premier roman la recherche identitaire qui ne cesse de traverser l’œuvre de Patrick Modiano qui signe ce livre à l’âge de 21 ans.
Un texte alerte, déroutant, parfois drôle ou cynique, surprenant. Fiévreux…
Un nouvel écrivain pose une bombe, c'est une mine à fragmentation
Le jeune Modiano 23 ans jette sa rage sur le papier : « J’étais un vrai jeune homme, avec des colères et des passions. » Il sort à peine d’une longue adolescence troublée par son identité juive et la Collaboration qui lui inspirent un récit halluciné dont le narrateur Raphaël Schlemilovitch rapporte les épisodes délirants selon une écriture possédée.
Sa vie est littéralement sens dessus dessous :
- victime : « Il nous menaçait, il hurlait Sechs Millionen Juden ! Sechs Millionen Juden ! »
- ou bourreau : « […] je suis le seul juif, le bon juif de la Collabo […] Mon but : créer une Waffen SS juive […] »,
- étudiant ambitieux : « Dans l’immédiat je prépare l’École normale supérieure comme Blum, Fleg et Henry Franck »
- ou petite frappe: « Le lac d’Annecy est romantique mais un jeune homme qui travaille dans la traite des blanches évitera de pareilles pensées »
- ou proxénète : « Des deux femmes de [son] harem, de ces deux gentilles putains, Yasmine fut bientôt la favorite »,
- riche forcément : « C’était le temps où je dissipais mon héritage vénézuelien. »
Passe une ronde névrotique d’écrivains collabos, vrais (Drieu, Brasillach…) ou presque (Louis Ferdinand Bardamu, Léon Rabatête…), de juifs célèbres (Dreyfus, Chaplin, Freud…), de bons Français (la marquise de Fougeire-Jusquiames, Darnand…), de goys, de juifs... on ne sait plus (Des Essarts, Lévy-Vendôme…).
Tourne un kaléidoscope de places luxuriantes : Paris, les bars des palaces, les villes d’eau, le cap d’Antibes mais aussi Bordeaux, Annecy, Thônes…
Débaroule une suite frénétique d’aventures baroques…
Entrée fracassante en littérature d’un jeune inconnu dont on va apprendre au fil de son œuvre et jusqu’à "Un Pedigree" (2005) qu’il nous a livré avec "La Place de l’Étoile" l’essentiel de ses tourments, de ses obsessions, de ses névroses. Ce premier roman, d’entrée un chef d’œuvre, ce roman initiatique, il est décisif de le lire si l’on veut pénétrer l’univers Modiano. Pour ma part, à ma énième lecture, le plaisir esthétique et le choc émotionnel sont intacts.
le premier et mon préferé
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