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Tout simplement, je voudrais écrire ces longues années de 1965 à 2005, ces quarante ans de vie parisienne, studieuse et approximative. Dire le déroulement, sans heurts ? Impossible. Les souvenirs sont comme des icebergs disloqués, ils flottent au gré des courants, puis disparaissent.
Même si le propos de ce récit est bien de revenir sur ses quarante années de vie parisienne, ce n'est pas un livre de mémoires qu'écrit " tout simplement " André Rollin, pourtant témoin privilégié du milieu littéraire, auteur de plusieurs romans parus chez différents éditeurs, aujourd'hui critique littéraire au Canard enchaîné. Ici, pas d'anecdotes brillantes, pas de mise en scène avantageuse, pas de révélations croustillantes, bien plutôt l'aveu d'un désarroi : ce livre parle avant tout de son propre processus d'élaboration, il tente de briser la mer glacée, selon la formule de Kafka, mais pour toute hache le narrateur ne dispose que d'une pointe Pilot qu'il tente de faire courir sur des cahiers Clairefontaine... Dès lors, on comprend que ce texte intègre et douloureux invite le lecteur non dans les coulisses de l'édition, mais dans celles de l'écriture même, de ses procédures, de ses impasses et de ses pièges.
Plutôt que " d'écrire des pages fausses pour raconter des histoires justes ", André Rollin déambule dans le paysage brouillé de ses souvenirs : des jésuites - il devint à son arrivée à Paris secrétaire de rédaction de la revue Études - au Canard enchaîné, aucun événement saillant ne paraît émerger... alors que dans ses pages on croise Lacan, Sartre, mai 1968 bien sûr, les années 1970, ses femmes - deux -, ses enfants - deux également -, des livres, nombreux, des silhouettes anonymes... Promeneur désabusé, " Rollin seul " à Paris l'année où Satisfaction des Rolling Stones fait fureur, l'écrivain, dans sa quête, dans son piétinement, dit le monde qui se défait au fil de ces quarante années-là : de ce pays aphone, de ces politiciens fantoches, de cette société qui entre émeutes et conflits sociaux se délite, le mode épique ne peut rendre compte. Le narrateur essaie pourtant de raconter, mais c'est le réel qui sans cesse se dérobe dans une comédie dépourvue de sens...
Et c'est finalement comme à l'insu du lecteur - et à son propre insu, spectateur modeste et désespéré apparaissant au fil des pages - que l'écrivain dessine un portrait en creux de ces années-là. Alors qu'il reste dans l'ombre, son humour narquois et son élégance désabusée font merveille pour restituer le parfum d'une époque, la nôtre. L'autobiographie se fait ici conscience du monde, et réflexion sur la manière d'en rendre compte : La Mémoire de l'iceberg est avant tout un témoignage très contemporain sur la littérature en train de se faire, par un de ses témoins les plus privilégiés.
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