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Que faire des cadavres, des restes du passé ? Voilà une question que pose la madrivore, et à laquelle le roman répond se donnant pour titre le nom de cette effroyable plante imaginaire.
La sève de la madrivore produit des larves animales microscopiques qui dévorent leur mère de l'intérieur en l'asséchant complètement. Lorsqu'elles sont injectées dans un corps (vivant, ou mort), elles le consument entièrement, jusqu'à le faire disparaître. Les restes se dispersent et fécondent la terre, où le processus renaît.
Le roman se divise en deux récits qui se déroulent chacun à une période différente. Le premier a lieu au début du XXe siècle, plus exactement en 1907, dans la clinique de Temperley, dans la banlieue de Buenos Aires. Plusieurs personnages interviennent, des médecins et des infirmières. Toute cette équipe évolue sous les ordres d'un directeur de clinique plutôt barré, Mr Allomby. Ce dernier souhaite mener à terme une expérience exceptionnelle et absolument poétique à ses yeux, mais qui nous semble plutôt folle et cruelle. Le docteur Quintana nous fait le récit des événements (par la même occasion, il confesse sa folle attirance pour l'infirmière en chef, Menéndez) et l'escalade de ce que l'on pourrait qualifier d'horreur, l'expérience : une série de décapitations à la guillotine avec pour but de relever par écrit les dernières paroles prononcées par les têtes coupées au cours des neuf secondes de conscience qui suivent la décapitation. Mais pour cela, il faut trouver des cobayes humains. Ils vont donc se lancer dans une entreprise macabre à souhait : attirer des malades de cancer en phase terminale avec un nouveau traitement miraculeux, traitement qui bien entendu n'a aucun effet thérapeutique puisqu'il est totalement inactif. Chaque malade ayant préalablement donné son accord pour donner son corps, sa tête à la science.
Cette première partie se concentre essentiellement sur cette entreprise infernale dont le but est d'obtenir des témoignages de l'au-delà.
La deuxième partie prend la forme d'un récit qui se déroule en 2009. Il donne la parole à un artiste prodige de la bonne société de Buenos Aires. Il corrige la thèse d'une doctorante, Linda Carter, dont le sujet est sa vie et son oeuvre. On découvre la biographie commentée de ce personnage extrême qui dénonce l'esthétique sociale via une créativité macabre, organisant l'exposition de corps démembrés, mal formés, monstrueux. Il va même jusqu'à faire de son propre corps un objet d'expérimentation.
Ce livre insolite mérite d'être connu. Il peut paraître inégal mais la première partie épatera tout lecteur, qui regrettera qu'elle soit si courte (ce qui est bon signe comme regret). On voudrait que les horreurs qui se trament dans cet hôpital soit plus développées, il y avait matière (on peut penser à la série TV l'hôpital et ses fantômes). Les plus curieux feront des recherches après la lecture, pour savoir si oui ou non les têtes parlent juste après avoir été décapitées...
Deux récits dans ce roman de Roque Larraquy qui finiront par se parler. A priori pas vraiment de points communs entre eux, quoique l'artiste du second n'hésite pas à user de son corps pour ses œuvres. Imaginons qu'en 1907, les scientifiques recueillent des propos intéressants et qu'en les combinant ils en fassent des textes forts, poétiques, ... certains avant de crier au scandale crieraient au génie et à l'œuvre d'art... Mais revenons à la clinique de Temperley au début du siècle dernier. Les docteurs sont tous plus barrés les uns que les autres, on se croirait dans une aile psychiatrique, mais côtés patients. Ce qu'écrit Roque Larraquy est terrible, horrible, puisqu'ils choisissent des patients très malades pour abréger leur souffrance mais surtout pour parvenir à leurs fins d'expérimentateurs. Malgré cela, on sourit beaucoup, voire même on rit, parce que le texte est bourré d'humour. Noir évidemment, morbide. Notamment dans les tentatives des médecins de conquérir Menendez, l'infirmière-chef. Malgré la lourdeur du contexte, l'ambiance reste potache, bon enfant, légère, ou alors c'est moi qui ai décidé de le prendre comme tel pour éviter de sombrer, mais je ne crois pas m'être trompé, jugez plutôt avec cet extrait issu de la procédure officielle pour recruter et tester les patients :
"Le jour de l'entretien, le professionnel se présentera le front dégagé, sans excès de gomina. Il fera entrer le patient et lui proposera du thé ou du café. Le caractère inattendu d'une telle proposition, si éloignée des conventions habituelles d'une consultation médicale, le préparera à recevoir la terrible nouvelle : le sérum de Beard n'a pas fonctionné et le décès est imminent. Une fois la nouvelle mise sur le tapis, vous observerez un silence respectueux durant lequel le patient fera ce qu'il veut avec sa douleur. Le silence ne devra pas dépasser les deux minutes, moment où le médecin se lèvera de sa chaise, franchira la barrière du bureau pour venir taper sur l'épaule du patient avec une ou deux mains. Si le patient se montre réticent au contact physique, le médecin lui fera comprendre que ce geste de compassion n'est pas en option." (p.62/63)
Le second texte sur la création artistique est moins drôle, sans doute parce que le sujet est lui-même plus léger. Il pose des questions sur l'art en général. Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Jusqu'où peut aller l'artiste ? La mutilation ou la transformation du corps mises en scène sont-elles de l'art ? Le premier à avoir une idée parfois bête, comme Duchamp avec son urinoir, peut se prévaloir du titre de découvreur, mais les suivants ne sont-ils que des imitateurs, des profiteurs d'un système qui glorifie les performances ? Voilà pour certaines questions qui me sont venues en lisant ce court texte sur cet artiste provocateur qui ne cherche qu'à faire parler de lui en bien ou en mal, surtout en mal d'ailleurs, histoire d'exister aux yeux de tous.
Un récit très différent du premier qui le rejoint néanmoins d'une manière fine. Il y est question de corps également, de l'intégrité d'icelui, de ce que l'on peut faire avec... enfin plein de réflexions qui méritent qu'on s'y arrête un instant. De manière générale, les livres parus chez Christophe Lucquin méritent d'être lus. Ils sont souvent décalés, barrés, fous, toujours bien écrits et vraiment originaux. Celui-ci, comme les autres, n'échappe pas aux yeux acérés de l'éditeur qui malgré de grosses difficultés financières (voir sa demande de participation sur Ulule) fait preuve d'un discernement rare et d'audace quant à ses choix littéraires.
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