"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Quant à notre sens le plus central - notre sens de l'intervalle entre le désir et la possession de son objet, qui n'est autre que le sens de la durée - et qui se satisfaisait jadis de la vitesse des chevaux ou de la brise, il trouve que les rapides sont bien lents, que les messages électriques le font mourir de langueur. Les événements eux-mêmes sont demandés comme une nourriture. S'il n'y a point ce matin quelque grand malheur dans ce monde, nous nous sentons un certain vide. Il n'y a rien aujourd'hui dans les journaux, disent-ils. Nous voilà pris sur le fait. Nous sommes tous empoisonnés. » Préface d'Eric Chevillard.
Une bonne occasion de saluer Regain, la petite librairie de Reillanne (dans le 04), où j’ai pu trouver ce petit opus de Paul Valéry (et je ne peux résister dès que je vois un écrit du grand penseur avec sa capacité à projeter le futur, le maintenant toujours aussi affuté, moderne et d’actualité …).
Avec une mention spéciale aussi pour l’éditeur « Les Lapidaires » et cette collection « La Glyptothèque » qui « ambitionne de raviver l’esprit d’une maison d’édition éphémère ». Et qui réédite un texte de 1925, publié à 650 exemplaires numérotés) l’année suivante et qui ne fut jamais réédité.
Valéry donnait beaucoup de conférence et / ou des contributions à des études (ne serait-ce pour des questions alimentaires) sur de multiples sujets. Comme le précise Eric Chevillard dans sa préface à cette édition, il s’agissait d’ « Une enquête sur la Crise des Professions Libérales » (sic) … mais enquête menée par Jean Laporte qui concernait plus précisément « les gens de lettres ».
Eric Chevillard rappelle que Valéry avait déjà entamé trente ans plus tôt, avec Monsieur Teste, une quête « visant à saisir le mouvement de la pensée, son principe, son régime, les fins qu’elle se donne ou se découvre ». p 12 et de certains enjeux relatifs à ces moyens et machines « qui déchargent de plus en plus l’esprit de ses efforts les plus pénibles : les modes de fixation qui soulagent la mémoire, les merveilleuses machines qui économisent le travail calculateur de la tête … et « si tant de puissants auxiliaires ne viennent pas réduire peu à peu la force de notre attention et la capacité de travail mental continu de durée ordonnée dans l’humanité moyenne » pp 16-17 et de ces vies désormais « assujetties aux volontés terriblement exactes des mécanismes » p 18 citations de Paul Valéry
EC précise encore : « Il nous encourage tout au moins à ralentir, à nous guérir de ce qu'il appelle « l'intoxication par la hâte », à nous garder de la tyrannie de la nouveauté. On nous exhorte en somme à la patience. » p 19
Valéry développe sa pensée sur « la machine gouverne » affirmation renvoyant aux effets sur l’esprit et l’intelligence.au travers de l’enquête sur la « crise des professions libérales ».
Comme de bien entendu Valéry commence par le début en définissant ce qu’est une crise :
« Une crise est le passage d'un certain régime de fonctionnement à quelque autre ; passage que des signes ou des symptômes rendent sensibles. Pendant une crise le temps semble changer de nature, la durée n'est plus perçue comme dans l'état ordinaire des choses : au lieu de mesurer la permanence, elle mesure la variation. Toute crise implique l'intervention de « causes » nouvelles qui troublent un équilibre mobile ou immobile qui existait. » p 26
Et alors : « Crise de l'intelligence peut donc être entendue comme altération d'une certaine faculté dans tous les hommes ; ou bien seulement chez ceux d'entre eux qui en seraient le plus doué ou devraient l'être ; bien comme crise de l'ensemble des facultés de l'esprit moyen ; ou encore, crise de la valeur et du prix de cette vertu dans la société actuelle ou prochaine … pp 33-34
À cette pluralité d'intelligence, Valéry décline les errances de point de vue en point de vue, de crise en crise, et notamment : crise d'une faculté, crise d'une valeur, crise d'une classe p 35
Il développe donc autour de ces trois axes de crises Et plusieurs réflexions nous percutent d'autant plus aujourd'hui, pouvant trouver de multiples échos (Hartmut Rosa, Alain Damasio, …).
« on assiste à la disparition de l'homme qui pouvait être complet comme de l'homme qui pouvait matériellement se suffire. Diminution considérable de l'autonomie dépression du sentiment de maîtrise, accroissement correspondant de la confiance dans la collaboration etc. » p 45
« Il y a une sorte de pacte entre la machine et nous-mêmes, pacte comparable à ces terribles engagements que contracte le système nerveux avec les démons subtils de la classe des toxiques. Plus la machine nous semble utile la plus elle le devient ; plus elle le devient plus nous devenons incomplets incapable de nous en priver. La réciproque de l'utile existe. » p 46
Petite remarque personnelle : en 1925 les machines n’avaient pas encore la puissance des ordinateurs !
« Chacun de nous est une pièce de quelques-uns de ces systèmes, ou plutôt appartient toujours à plusieurs systèmes différents ; et il abandonne à chacun d'eux une part de la propriété de soi, comme il emprunte de chacun d'eux une part de sa définition sociale et de sa licence d’être… » p49
Conclusion : Il faut lire et relire Valéry ! … sur du bon vieux papier ! (En l’occurrence ici du « papier ivoire bouffant Munken Print d’Arctic Paper : tirage à 800 exemplaires).
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