Dans les trente dernières années, les points de repère pour apprécier la rémunération du travail se sont peu à peu effacés. L'individualisation récente des rémunérations brouille les perceptions individuelle et collective des salaires dont les usages sont finalement plus complexes qu'il n'y paraît (ceux-ci ont aussi pour fonction d'attirer, de fidéliser, de contrôler,
voire de punir...). En conséquence, les salariés sont en demande d'une plus grande transparence.
C'est dans ce contexte troublé, bien souvent autour de la machine à café ou de la photocopieuse, que les salariés comparent leurs fiches de paie et s'en font une opinion. Mise à l'épreuve d'une enquête mixte, qualitative et quantitative, la transparence de ces discussions entre collègues ne va pas sans entraîner aussi des effets de pairs : elle peut, à son tour, être source de frustration salariale.
Dans cette enquête sur les primes salariales, l’autrice évoque certes les primes mais va plus loin, en analysant tous les aspects qui entourent cette somme reçue par certains salariés. Surtout, derrière cette analyse très économique, se cachent des faits sociologiques, psychologiques et de société.
En premier lieu, cette somme est certes perçue par certains, mais son montant n’est pas uniforme. Ce montant peut soit dépendre du salaire de base, soit être discrétionnaire. Ainsi, la prime peut créer de la frustration voire du mécontentement, car selon son salaire de base ou son rapport à la hiérarchie, elle n’est pas toujours perçue positivement.
Deuxième point évoqué, la somme perçue peut être liée à une reconnaissance du travail effectué et engendrer un sentiment de bien-être ou de mal-être selon que la somme reçue correspond ou non aux attentes. De même, considérer cette prime comme acquise alors qu'elle ne l'est pas par essence, conduit également à des sentiments ambivalents.
Par ailleurs, percevoir une prime est censé être un bonus, mais que se passe-t-il lorsqu’on ne la touche plus ? Cette somme peut aussi refléter la valeur que l’on croit avoir dans son travail et remettre en cause certains aspects de notre vie professionnelle. Surtout, cette prime est toujours comparée avec celles des collègues ou d'un secteur donné. La frustration qui existe à un instant T et cette reconnaissance par l’argent conduisent parfois à vouloir changer de travail, comme si la prime représentait la valeur de son travail et non juste une somme monétaire.
Enfin, une fois perçue, la prime sert à différents projets. Selon qu’on la pense acquise ou en bonus, le salarié planifie des projets ou des dépenses sur ce montant et peut en être affecté positivement ou non. L’enquête va plus loin en montrant que la prime n’est pas utilisée de la même manière selon les genres et dans les budgets des couples hétérosexuels.
Cette enquête est à la fois factuelle et très chiffrée. L’autrice apporte également des témoignages sur certains faits cités, ce qui permet de recontextualiser et ainsi de mieux comprendre. C’est une lecture très intéressante, qui nous amène à nous interroger sur notre propre rapport aux primes ou aux bonus, et surtout, qui pousse la réflexion plus loin sur notre rapport à l’argent en général et comment il est perçu par la société.
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