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Comment peut-on, adolescent, faire la démonstration d'un talent inouï au point de devenir une sorte de bête de foire dans les milieux littéraires parisiens, et à vingt ans, renoncer brutalement à la poésie pour partir vendre du café et des casseroles en Afrique ? C'est ce qu'on a l'habitude d'appeler le mystère Rimbaud. Cette répudiation lui a valu anathème (André Breton) et incompréhension (Etiemble), certains comme René Char se montrant plus compatissants (« tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud »). Mais aucun ne s'est demandé si ce n'était pas plutôt la poésie qui l'avait lâché, inapte désormais à rendre compte de la modernité qui, sous la bannière du progrès, rendait obsolète le vieux monde de l'alexandrin et du sonnet.
Or le jeune Rimbaud fut en première ligne dans ce changement à vue. Il fut hébergé par Charles Cros, poète et inventeur du phonographe, fréquenta Paul Demeny dont le frère Georges est un des pionniers du cinéma, usa abondamment des trains et des vapeurs, posa pour Carjat, le photographe des « people », assista à la construction du premier métro du monde, celui de Londres, et il connaissait au moins par Cabaner les discussions enflammées du café Guerbois où Monet, Manet, Cézanne, procédait au dynamitage de l'académisme.
« Il faut être absolument moderne », lâche-t-il dans Une saison en enfer, établissant bien moins sa feuille de route que reprenant un mantra du temps. Et la poésie dans tout ça ? « Ne va-t-il pas être bientôt temps de supprimer l'alexandrin ? » glissa-t-il à Banville, alors grand maitre du Parnasse. Il s'en chargea dans Une Saison en enfer et dans les Illuminations.
Pour nous aider à percer le mystère, restent heureusement les témoins. Et dans cette constellation, les étoiles de première grandeur : Ernest Delahaye, l'ami du collège, Georges Izambard, le professeur à peine plus âgé que son élève, Isabelle qui accompagna avec un dévouement amoureux l'agonie de son frère, et Alfred Bardey qu'on ne peut soupçonner d'avoir été influencé par un passé dont il ignorait tout quand il engagea à Aden pour surveiller ses entrepôts de café un jeune Français trainant dans les ports de la Mer Rouge. Mais tous s'entendent pour confirmer la prophétie du vieux professeur du collège de Charleville que fixait derrière son pupitre le regard pervenche : « Rien de banal ne germera dans cette tête. » Jean Rouaud
Constellation : groupe apparent d'étoiles qui présente un aspect reconnaissable.
En ayant simplement fait partie de leur vie à un moment ou à un autre, Arthur Rimbaud aura donné à nombre de ses contemporains une postérité littéraire.
C'est sur ces personnes plus ou moins anonymes, sur ces lieux traversés par "la comète Rimbaud", que Jean Rouaud jette un éclairage dans son essai La constellation Rimbaud.
Arthur Rimbaud, l'éternel adolescent poète, irrémédiablement associé à Verlaine, élevé au rang d'icone, qui aura pour toujours 17 ans.
Et pourtant, le poète n'a plus écrit de poésie après l'âge de vingt ans.
Et pourtant, sa liaison avec Paul Verlaine n'aura duré que quatre ans, mais quatre années de passion destructrice et une fin explosive, qui marquera les esprits, le fameux coup de feu qui envoya Verlaine en prison.
Jean Rouaud offre une vision élargie de la constellation Rimbaud, ses camarades d'enfance, son maître d'école, les artistes qu'il aura croisés à Paris, à Bruxelles, les négociants rencontrés en Afrique. Et bien sûr, sa famille, Vitalie, la mère vers qui il retournera à chaque problème de santé, Isabelle, la sœur qui prendra soin de lui durant les derniers mois de sa vie, mais aussi son père absent et Frédéric, le frère renié.
Il nous abreuve d'anecdotes diverses : le chanteur Hubert-Felix Thiefaine dénonçant une erreur sur la tombe de la mère de Rimbaud, les spéculations sur l'identité de Jef Rosman, un peintre ayant laissé une œuvre unique derrière lui...
Cette suite de noms, de lieux, peut parfois paraître indigeste à qui veut tout savoir, tout retenir, mais il n'en est pas moins fascinant de suivre "la comète" dans ses expéditions.
J'ai beaucoup apprécié cet essai complet et instructif, ainsi que le ton très personnel de l'auteur, dans lequel on peut parfois percevoir une certaine malice ou ironie.
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