"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Si Marina Tsvetaeva compte aujourd'hui parmi les grands poètes russes du XX e siècle, à l'égal d'Anna Akhmatova et de Boris Pasternak, on le doit au destin et au tempérament hors du commun de sa fille, Ariadna Efron (1912-1975), qui, après avoir traversé deux guerres mondiales, la révolution, l'émigration, les procès staliniens et la déportation, est la seule survivante d'une famille broyée par la Terreur. Après seize ans de Goulag, elle consacre les vingt dernières années de son existence à faire publier l'oeuvre de Marina. La « Fille-prodige » deviendra le premier éditeur de sa mère.
Je t'aime affreusement est une lettre fictive qu'Ariadna aurait pu écrire, depuis le premier jour de sa libération, en 1955, jusqu'à sa mort, en 1975. Une lettre d'outre-tombe, qui s'adresse à celle qui est morte depuis longtemps, pour lui dire ce qu'elle n'a jamais su : les sentiments qu'elle, Alia, a éprouvés auprès d'une mère à la personnalité excentrique et exaltée, qui lui a transmis le meilleur et le pire : le goût de la littérature et la condamnation à l'exil. Une lettre où elle laisserait enfin éclater sa colère, face à l'injustice, face au sacrifice d'une vie vouée à ce seul devoir : sauver de l'oubli la poésie de Marina.
Pour y dire aussi l'impuissance, et le pardon.
Mais ce texte très fort est aussi une rencontre entre Estelle Gapp et Ariadna Efron : en lisant les textes autobiographiques de Tsvetaeva, l'auteur voit émerger un autre visage. Celui d'une petite fille de cinq ans qui apprend à lire et à écrire et qui tente de trouver sa place, d'exister face à la personnalité hors du commun de Marina. Une immense tendresse naît pour cette petite fille du passé, qui a vécu dans l'ombre de sa mère. Puis une autre rencontre, avec Véronique Lossky va sceller la naissance du projet de cet ouvrage. La traductrice et spécialiste de Tsvetaeva raconte sa rencontre avec Ariadna Efron :
« Je l'ai rencontrée en 1971, c'était une vieille femme acariâtre. À mon retour, je suis tombée malade et j'en ai fait des cauchemars. Je n'ai rien pu écrire pendant sept ans. » Quel mystère pouvait entourer Ariadna au point de provoquer un tel traumatisme ? Un autre détail interpellait Estelle Gapp : « J'avais rencontré Alia petite fille, et Véronique Lossky me parlait d'une vieille dame. Entre l'enfance et la vieillesse, Ariadna Efron n'a pas eu de vie. C'est pour tenter de lui redonner vie, que j'ai eu envie d'écrire ce texte à la première personne. Un "Je" entre réalité et fiction, pour faire entendre la voix de cette fille au tempérament exceptionnel, qui a sauvé de l'oubli l'oeuvre de sa mère. » Je t'aime affreusement est un texte très personnel qui fait entendre aussi la colère et le pardon et qui rend hommage à cette petite fille aux grands yeux transparents, qui a traversé le siècle le plus sombre de notre Histoire contemporaine.
Le texte sera accompagné de trois lettres inédites de Marina Tsvetaeva adressées à sa fille en 1941, quelques mois avant sa mort, et alors que Alia se trouvait en prison à Moscou. Elles lettres traitent des aspects matériels de la vie (nourriture, vêtements), mais témoignent d'une véritable attention de mère, qui souhaite redonner espoir à sa fille. Elles seront éclairées par le témoignage d'Irina Emelianova, amie et confidente d'Ariadna, qui a comme point de départ une confidence faite par la fille de Tsvetaeva: « Ma mère m'a aimée deux fois, quand j'étais petite fille et quand j'étais en prison. »
Quel titre.
Je t'aime affreusement.
Il faut avoir lu le livre pour comprendre toute la substance de ces mots.
Qui sonnent cruellement. Qui sonnent amoureusement.
Peut-on être une fille louve quand on a tout perdu ?
Faut-il être liée par ce cordon invisible et inaltérable, quoique érodé par le temps, pour devenir la mère de sa mère. Et rester la petite fille au gré des mots qui s'écrivent dans cette lettre pudique et pourtant inondée de remords et d'amour.
Sommes-nous toutes cette petite Ariadna Efron, prénommée Alia, tour à tour fille chérie et adulée, puis fille ordinaire, fille abandonnée, fille emprisonnée ?
Dans cette lettre imaginaire, Estelle Gapp nous délivre le plus beau message qui soit : on reste toujours la fille de sa mère. Et c'est souvent bien plus tard, quand la distance, les épreuves, aussi terribles soient-elles, nous condamnent, que l'on mesure l'intensité de l'amour maternelle.
Alia vit dans l'ombre de sa mère, poétesse, pour qui seuls les mots comptent. du moins, en apparence.
Ce livre, on sent que l'autrice l'a écrit avec les tripes et le coeur. À croire qu'il n'y avait qu'elle qui pusse être la porte-voix d'Alia.
"Rien n'arrive que l'impossible."
Le destin est cruel, mais son hôte peut devenir rebelle.
C'est un livre-destin. Un livre-recueil. Un livre-rencontre.
Les décennies se déroulent et les femmes qui ont compté par des passés troubles, emprisonnés par les guerres et les censures, se relèvent.
Elles se dressent sur le papier pour exister, enfin.
Estelle Gapp nous offre sa plume et des extraits des poèmes de Marina Tsvetaeva, que je découvre.
C'est formidable. C'est beau. Merci.
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