"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
On imagine les autistes dans leur bulle, ne voyageant que dans leur tête. Josef Schovanec, « saltimbanque de l'autisme en France », fait une brillante démonstration du contraire. À l'étranger, celui-ci n'est plus qu'un Français en voyage - les langues, l'acuité et la curiosité en plus. Samarkand, Bucarest, Téhéran, Taïwan : les visages filent, les paysages défilent. Ailleurs qu'ici, être plus proche de soi et des autres : telle est la leçon d'un très singulier globe-trotter.
Le voyage est initiatique - c’est bien connu -, il apprend à se découvrir en découvrant les autres - ça aussi on le sait -, mais le témoignage d’une personne avec autisme, anciennement sous camisole chimique dans les lieux psychiatriques de Paris, qui a été élève de Sciences Politiques à Paris et docteur en philosophie, chercheur à l'Université de Bucarest qui aime voyager donne de quoi réfléchir.
Non seulement le voyage permet à Josef Schovanec, comme à d’autres (et c’est ce qui explique le titre), un apprentissage sur le terrain, au quotidien, à la fois sociologique et philosophique, mais encore l’autiste timide apprend à dépasser ses peurs et à faire des rencontres enrichissantes. Il s’échappe ainsi d’un cantonnement étouffant et appréhende son handicap comme une forme non plus honteuse mais différente, d’être au monde. La bizarrerie devient très relative. Quant à la normalité, le voyageur (autiste ou pas) est sans cesse confronté à des critères qui changent selon les pays et les peuples, alors… ?
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On ne va pas se mentir, j’étais plutôt sceptique au moment de commencer ce livre … et je le suis toujours après l’avoir terminé. Je pense que je suis bien trop casanière et sédentaire pour apprécier cette thématique du voyage à sa juste valeur. Vous allez me dire « mais ce livre ne s’adresse-t-il pas, justement, à ceux qui ne sont pas convaincus par les bienfaits du voyage ? ». Ce à quoi je vous réponds : si, mais l’auteur n’est pas parvenu à me faire changer d’avis. Il a su me faire rêver des paysages grandioses et des cultures diverses qu’il a rencontrés au cours de ses nombreux voyages, et j’admets avoir parfois eu l’envie d’aller moi-même visiter ces pays et ces régions lointaines … mais dans la seconde qui suivait, l’angoisse prenait le dessus sur la seule perspective hypothétique et lointaine d’aller, peut-être, un jour, potentiellement, plus loin que mon Aube natale pour aller rendre visite à la famille.
Contrairement à ce que qu’annonce le titre, l’autisme est particulièrement peu abordé dans cet ouvrage. Ci et là, l’auteur évoque quelques-unes de ses particularités pour expliquer telle ou telle réaction, tel ou tel comportement … Mais rien de plus. Pour moi qui n’était nullement attirée par la thématique du voyage mais particulièrement intéressée par celle de l’autisme, quelle déconvenue ! De même, si Josef Schovanec fait effectivement « l’éloge du voyage » en évoquant ses vertus thérapeutiques, il ne va à mes yeux pas assez loin et passe trop rapidement à d’autres considérations. Au final, cet ouvrage est plus un essai sociologique et philosophique sur le voyage et les différences culturelles qu’une véritable incitation au voyage à destination des personnes avec autisme. Il n’explique pas suffisamment en quoi voyager peut aider ces individus, en quoi cela peut être difficile pour eux également : lui-même trouve qu’on ne parle pas assez du rapport entre autisme et voyage, quel dommage qu’il ne comble pas ce vide tant regretté !
Il y a, toutefois, des tas de réflexions très intéressantes dans cet ouvrage. L’auteur évoque ainsi, avec beaucoup de lucidité mais surtout beaucoup d’audace, le rapport à l’argent, qui diverge fort selon les cultures, le paradoxe des voyages organisés « sortant des sentiers battus » (puisqu’à partir du moment où le trajet est organisé et proposé à l’identique à tous les clients de l’agence, il s’agit bien d’un voyage affreusement banal et banalisé) … Il parle également du chauvinisme, de l’identité nationale et surtout des dogmes et croyances sur lesquelles elle s’appuie, dogmes et croyances qui sont bien souvent erronées (et non, désolée, mais le TGV n’est pas le train le plus rapide du monde) … C’est ce que j’aime chez Josef Schovanec : il dit les choses telles qu’il les pense, telles qu’il les croit, sans se préoccuper du « qu’en dira-t-on ? », sans tenir compte des bienséances. Il est franc, honnête, et surtout ne se parjure pas, il ne va pas dire blanc un jour et noir le lendemain juste pour « suivre le mouvement » comme le font les masses pourtant persuadées d’agir et penser en toute liberté … Il ose affirmer sa pensée divergente, même si cela l’expose plus encore à la solitude et au rejet qu’il ne l’est déjà. Quel courage, merci !
A cela s’ajoutent des dizaines et des dizaines d’anecdotes, toutes tirées de ses nombreux voyages, autant de petites histoires qui entrecoupent les réflexions et argumentations de l’auteur. Il est tantôt question de paysages, tantôt de rencontres, tantôt de belles surprises, tantôt de déconvenues … Voilà ce qui donne envie de sortir sa valise pour aller découvrir les merveilles de notre monde, pour aller faire de belles rencontres au détour d’une rue … Je ne peux pas dire le contraire : Josef Schovanec est très doué pour partager sa passion du voyage ! J’ai vraiment énormément apprécié ces quelques passages « carnet de voyage » : j’avais parfois le sentiment que si je fermais les yeux puis les rouvrais, j’allais être transportée dans ces paysages qu’il décrit avec tellement de détails visuels, sonores et tactiles, avec tellement de force aussi. On sent que tous ces voyages ont profondément marqué l’auteur, qu’ils ont fait de lui ce qu’il est actuellement, et qu’ils ont tous une grande importance dans sa mémoire et son cœur. Voilà ce que j’ai aimé dans ce livre : la passion et l’enthousiasme qui se cachent dans chaque mot, chaque phrase.
En bref, si l’auteur n’a pas réussi à me faire dépasser mon appréhension à m’éloigner de chez moi « pour de vrai », il est toutefois parvenu à me faire voyager « pour de faux », à travers les mots. J’ai bien conscience que la plume de Josef Schovanec peut déconcerter, que son vocabulaire est parfois très soutenu et peut-être incompréhensible pour certains, mais c’est clairement ce qui fait pour moi le charme de cet ouvrage : que j’aime ces longues phrases un peu emberlificotées mais tellement riches et pleines de sens ! Du coup, si je ne conseille absolument pas ce livre à quiconque s’intéresse à l’autisme - car il sera obligatoirement déçu -, je le conseille volontiers à tous ceux qui aiment voyager comme à ceux qui désirent au contraire voyager par l’intermédiaire de mots, de récits, ainsi qu’à ceux qui aiment les réflexions sur notre société et, plus généralement, sur l’humanité et sa diversité.
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.fr/2018/02/eloge-du-voyage-lusage-des-autistes-et.html
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