"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ce monde va de travers, à tel point que lui désobéir devrait être une urgence partagée et brûlante. Dans cet essai intempestif, Frédéric Gros réinterroge les racines de l'obéissance politique.
Conformisme social, soumission économique, respect des autorités, consentement républicain ? C'est en repérant les styles d'obéissance qu'on se donne les moyens d'étudier, d'inventer, de provoquer de nouvelles formes de désobéissance : la dissidence civique, la transgression lyrique... Rien ne doit aller de soi : ni les certitudes apprises, ni les conventions sociales, ni les injustices économiques, ni les convictions morales.
La pensée philosophique, en même temps qu'elle nous enjoint de ne jamais céder aux évidences et aux généralités, nous fait retrouver le sens de la responsabilité politique. À l'heure où les décisions des experts se présentent comme le résultat de statistiques glacées et de calculs anonymes, désobéir devient une affirmation d'humanité.
Philosopher, c'est désobéir. Ce livre en appelle à la démocratie critique et à la résistance éthique.
Cet essai philosophique se lit avec beaucoup d’intérêt et se révèle sous bien des aspects passionnant. Pour étayer son propos, l’auteur décortique, analyse différents travaux d’autres penseurs et prend aussi des exemples dans les grandes figures de l’obéissance et de la désobéissance qui ont jalonné les siècles. C’est intelligent, instructif. Frédéric Gros fait appel à Michel Foucault, Hannah Arendt, La Boétie,et beaucoup d’autres….
Il part du constat que ce monde va mal, que les inégalités se creusent, que l’environnement se dégrade et qu’un nouveau capitalisme sclérose la société. Il est temps de créer une démocratie critique. Il est temps que l’individu trouve un soi politique.
Dans un va-et-vient perpétuel, Frédéric Gros abordera l’obéissance et la désobéissance, l’un n’allant pas sans l’autre, l’un justifiant l’autre. L’esclave obéit aux ordres du système, parfois, aux injonctions d’un seul homme quand bien même il serait tyran. L’obéissance fait partie de la foi chrétienne dans le sens où elle sert l’humilité, la sujétion voire l’abnégation.
Antigone est à la fois un emblème de la désobéissance, désobéissance à Créon mais aussi de l’obéissance à un ordre plus profond celui de la famille. La fille d’Œdipe aura la volonté d’enterrer coûte que coûte son frère. Elle fera face aux hommes, féministe avant l’heure.
L’auteur développe aussi ce que Hannah Arendt nomme « La bêtise d’Eichmann », cette volonté de surobéir qui fera de cet individu, celui qui ne veut pas savoir, qui entretiendra la monstrueuse banalité du Mal.
Thoreau, refuse de payer ses impôts, refuse d’obéir à la règle commune. C’est l’exigence d’une conscience qui le porte, la conception d’un « moi indélégable ». La dissidence civique, l’objection de conscience participent de ce moi qui décide. Cette notion de « moi indélégable » va soutendre toute la fin de l’essai de Frédéric Gross. Car désobéir devient un acte responsable, éthique, une recherche de soi. La pensée philosophique, comme la volonté perpétuelle d’atteindre la vérité, nous mène vers la désobéissance.
Ma lecture est sans doute partielle, car ce livre est loin d’être superficiel. Il demande analyse, il bouscule, sûrement, dans nos à priori si faciles. En tout cas, il m’a amené plusieurs réflexions sur notre société et c’est peut-être l’un de ses objectifs.
À l’heure où on voit la faillite des grandes idéologies, communisme, socialisme, la démocratie semble en péril. Même le capitalisme effréné ne peut satisfaire qu’une poignée d’individus nantis. La désobéissance civique ne se remarque-t-elle pas dans ces formidables taux d’abstention aux différentes élections ? L’économie est devenue le fer de lance du politique. Tout se joue à coût d’indices de croissance, de taux de chômage et autres signes économiques qui nous enferment dans notre impuissance.
Aujourd’hui, si on parle d’une révolution, c’est celle du numérique. Dans cette société hyperconnectée, le tweet résume souvent une pensée politique, la communication se fait par écran interposé sans analyse, avec son cortège de frustrations et de mensonges. Un retour sur soi n’est-il pas salutaire, voire nécessaire ?
Vivre un soi politique qui serait avant tout une quête de sens individuelle, une remise en cause personnelle pour bien sûr envisager le collectif. Ne pas avoir peur de sa liberté, refuser son obéissance, penser sa désobéissance. Cela demande, avant tout, un travail sur soi. Ainsi ce mouvement participe à l’autre et de l’autre et il entre dans une dynamique collective.
Dans ce monde et pour ce monde, nous avons besoin d’espérance. Cette espérance nous la puiserons en nous-mêmes. Elle déterminera notre résistance, nos désobéissances et peut-être de nouveaux horizons politiques.
Désobéir, le dernier essai de Frédéric GROS paru aux Éditions Albin Michel, est une mine d’or, un coup de cœur ! Documenté et référencé, cet ouvrage nourrira qui veut d’une saine réflexion à propos du rapport que chaque individu construit par rapport à lui-même et sa capacité, dès lors, à respecter ou transgresser les formes éthiques générales de l’obéissance et de ce qui est habituellement présenté comme son contraire, la désobéissance.
Dès l’entame, F. GROS reprend la provocation de Howard ZINN (1970) qui affirmait que la désobéissance civile n’est pas le problème. Le problème étant l’obéissance civile ! Et de poursuivre en montrant comment l’individu lambda, eux, nous, moi, avons accepté l’inacceptable en obéissant, le plus souvent en surobéissant à des ordres politico-économiques qui creusent les inégalités de fortune, les injustices sociales et organisent la dégradation progressive de la Terre, notre environnement. Dans la foulée, Frédéric GROS montre alors comment, logiquement, le processus de création de richesses, le capitalisme, s’est appuyé sur l’inégalité entre les hommes et le pillage des ressources naturelles pour obérer l’à-venir sans plus laisser d’avenir à la majorité non dirigeante.
Citations :
- La rationalité actuarielle impose de faire payer partout l’argent cher à ceux qui n’en ont pas. Elle a pour elle l’évidence arithmétique glacée qui, à peu de frais, lessive l’âme des décideurs économiques.
- La réalité des chiffres est introuvable (donc improuvable). Quand les équations sont prises comme source d’autorité (« Les chiffres sont là ! Les chiffres sont les chiffres ! ») … les tableaux Excel sont d’avance justifiés.
Ce qui stimule F. GROS, c’est de chercher à construire une réponse à la question du pourquoi existent de telles injustices, de telles inégalités, de telles monstruosités qui mouchent la faible lueur de la flamme espérance qu’entretient péniblement le commun des mortels, déjà mort avant que d’avoir vécu. Pourquoi ?
D’abord parce qu’il y a collusion entre les forces religieuses et les pouvoirs économiques. Dans une très belle revisite du poème de Ivan (Dostoïevski), F. GROS fait revenir sur Terre le Christ qui se fait arrêter une seconde fois par le grand Inquisiteur (Représentant officiel du pouvoir structurel religieux). Ce dernier interpelle le Christ en lui demandant pourquoi il revient encore tout déranger ! Le Christ, muet, ne répond rien, ne force à aucune obéissance, n’a aucun ordre à donner. Tout le contraire des édiles religieux… Superbes pages invitant les pontifes politico-religieux à s’interroger avec un peu moins de foi en eux-mêmes et un peu plus en faveur de l’Humanité.
Citations :
- Le Christ ne veut pas produire de l’obéissance. Il exige de chacun cette liberté où il croit voir la dignité humaine.
- Avoir sur la conscience la charge de ses décisions… se dire que c’est à nous, à chacun pris dans la solitude de sa conscience, de choisir et ne s’en prendre qu’à soi-même, toujours, en cas d’échec ou de déroute, c’est écrasant !
Elargissant le débat et le situant dans le contexte actuel, F. GROS pointe l’opposition entre la vertu politique, juste un apparat permettant à l’homme politique d’afficher une posture qui cache son art de rester au pouvoir et, d’autre part, la notion d’éthique du sujet, manière dont chacun se situe par rapport à lui-même et construit un rapport à soi depuis lequel il s’autorisera à accomplir ceci plutôt que cela, à désobéir, c’est-à-dire obéir à cela plutôt que ceci. C’est cette autorisation que peut se donner l’homme construit qui lui permettra de ne pas suivre aveuglément la pensée collectivisée, la pensée unique née d’un ‘puisque tout le monde le fait, c’est que c’est permis, donc juste !’
- Les impératifs de l’acte politique (vitesse, efficacité, médiatisation, électoralisme …) mettent à mal les valeurs de justice, sincérité, loyauté, transparence. Quand un politique parle de morale, il fait encore de la politique.
Professeur à Sciences PO, à Paris, F. GROS, durant tout son essai dégage les racines mêmes de nos obéissances et enfonce le même clou : ‘La vérité prétendue telle est souvent une erreur majoritaire’, s’autoriser à y désobéir, non par provocation ou rébellion mais au nom d’une vérité plus grande, d’une obéissance plus digne est donc une finalité louable, un idéal de vie qui grandit chacun et l’Humanité !
Désobéir est une belle invitation à une réflexion critique sur ces formes d’être nouvelles que sont les postures de résistance éthique, de désobéissance civique, de ‘poils à gratter’ dans le dos de nos décideurs et de tous ceux qui, en pantoufles, profitent de ces protections octroyées aux nantis dans les états de droit si peu démocratiques dans lesquels, si nous n’y prêtons garde, nous risquons de passer à côté de nos responsabilités.
La majorité démocratique, celle qui commande à ses pairs, d’égal à égal n’est ni la majorité numéraire, ni la juridique qui édicte des lois et distribue les statuts. La majorité démocratique est cette capacité d’émancipation, d’indépendance et d’autonomie qui est cette exigence éthique au cœur d’un sujet critique de se tenir là où il doit être. Tenir sa place, être présent à la verticale de soi-même. Alors la question ne sera plus celle de l’obéissance ou de la désobéissance. Ce sera celle du commandement civique. Désobéir, c’est commander à soi-même d’obéir et de répondre à ce qu’attend de moi le moi que je ne puis déléguer. « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? » (Hillel Hazakem)
En obéissant au moi indéléguable, je deviens moi-même et l’obligé des autres au nom de valeurs qui dépassent l’individu mais lui rendent un rôle central dans le collectif.
Désobéir, de Frédéric GROS, un livre à lire, relire, méditer … un livre phare dans notre recherche d’humanité !
La globalité de l'action est ici posée et énoncée dans toute sa genèse historique . On comprend les nuances entre la révolte et la désobéissance et on suit avec plaisir l'exposé des différentes figures emblématiques (Diogéne et les frères Karamasov) et leur approche personnelle de la désobéissance.Tout est disséqué, Arendt ,Foucault ,Simone Weil,Aristote,Lacan..pour permettre au lecteurs un large panel de point de vue exceptionnels .
Un "beau" chapitre sur l’expérience de Stanley Milgram n'est pas sans nous rappeler non plus notre propre capacité à l’obéissance aveugle et au zèle malsain
En revanche ,on réalise que le précepte même de l’obéissance sans conscience mène directement à la perversion passive et que l'idée du bon usage de l’obéissance nécessite une vision globale et une "qualité" humaine que tout le monde n'a pas ....malheureusement . Un bel ouvrage qui devrait être utilisé sans modération dans les cours de philosophie de terminale .
En dédiant ce livre à Gérard Mordillat, Frédéric Gros place d’emblée son essai sur le plan de la contestation de l’ordre établi, de tout ce qui va de travers dans notre bas monde et devrait nous inciter à Désobéir. D’ailleurs, le premier chapitre s’intitule : « Nous avons accepté l’inacceptable. »
Personne ne peut nier que les inégalités de fortune augmentent, que les injustices sociales se creusent et que tout cela s’accélère. Aussi, l’auteur affirme que le problème n’est pas la désobéissance mais l’obéissance. Tout au long du livre, s’appuyant sur les textes d’écrivains, de philosophes, de l’antiquité à nos jours, il tente de décrypter tout cela et de dégager une ligne de conduite à tenir.
L’enrichissement des riches, l’appauvrissement des pauvres, l’effondrement de la classe moyenne, la dégradation progressive de notre environnement, tout cela devrait nous inciter à désobéir, à nous révolter pour inverser la tendance. Or, il n’en est rien… pour l’instant.
Pourquoi avons-nous laissé faire ? Obéissons-nous ? Comment ? Les questions ne manquent pas car « L’enrichissement se fait au détriment de l’humanité à venir. » Pour Frédéric Gros, désobéir est une déclaration d’humanité, une victoire sur soi, une victoire sur le conformisme généralisé et l’inertie du monde.
Après ce constat accablant et inquiétant, l’auteur rappelle la fable d’Ivan, dans Les frères Karamazov de Dostoïevski, à propos de l’Inquisiteur. Les gens qui ont le pouvoir, comme lui, ont pris en charge notre liberté car ils savent bien que nous sommes incapables d’en assurer toutes les conséquences.
Hanna Arendt, La Boétie, Simone Weil, Michel Foucault, Hobbes, Aristote, Augustin, Sophocle, Lacan, Henri-David Thoreau, Kant, Socrate, Platon, d’autres encore, sont disséqués ou simplement évoqués, l’auteur ne manquant pas de rafraîchir la mémoire de son lecteur à chaque citation.
Au passage, Frédéric Gros s’attarde sur l’année 1961 avec d’abord, le procès d’Adolf Eichmann, « le planificateur logistique de la Solution finale, son maître d’œuvre. » Si, au cours de son procès, le criminel nazi s’est réfugié derrière son serment, il n’a pu nier qu’il se démenait pour trouver des solutions : « Chacun est responsable de sa surobéissance. »
Cette même année, à l’université de Yale (États-Unis), Stanley Milgram menait son expérience de psychologie sociale pour constater jusqu’où un être humain peut aller pour infliger une punition à un autre humain, ici une impulsion électrique de plus en plus forte. Dans ce cas, « le moi de responsabilité a déserté ». L’auteur note alors : « La séparation de l’âme et du corps n’est pas un problème métaphysique. C’est une fiction politique. » Ainsi Hanna Arendt appelle cette déresponsabilision : « bêtise. Mais c’est une bêtise active, délibérée, consciente. Cette capacité à se rendre soi-même aveugle et bête, cet entêtement à ne pas vouloir savoir, c’est cela, la « banalité du mal ». »
Désobéissance civile, dissidence civique face à l’Administration, l’Église, l’Armée, les trois foyers de l’obéissance aveugle en Occident, nous imposent d’avoir « le courage de la vérité, le courage de penser en notre nom propre. » Ceci est « indélégable : personne ne peut penser à votre place, personne ne peut raisonner à votre place. »
Désobéir nous rappelle qu’obéir engage et que la réponse, l’acceptation ou l’attitude que nous prenons ne peut venir que de nous-même : « penser, juger, désobéir et aider » pour accéder à l’universel, quitte à s’engager dans la désobéissance.
Chronique à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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