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Deux hommes, deux vies. L'un, Ravier, peintre novateur et à l'écart des modes, l'autre, Thiollier, industriel et photographe estimé. Tout les sépare : situation sociale, caractère, et presque 30 ans d'écart en âge. Pourtant une amitié naît, se développe, s'installe. Pourquoi, comment ? La biographie éclaire mal les mystères de l'existence. Pour comprendre, il faut un roman.
François-Auguste Ravier (1814-1895) est destiné au notariat par son père qui l'envoie faire des études de droit. Mais François-Auguste ne rêve que de dessiner et peindre. Toute sa vie sera consacrée à chercher la bonne lumière, à tenter de peindre ce qu'il a dans la tête, exigeant et insatisfait.
Félix Thiollier (1842-1914) est un industriel stéphanois, fils d’industriel qui se passionne très tôt pour la photo et les arts en général. Il rencontre beaucoup d'artistes, de peintres dont Ravier. Ils deviennent amis.
Personnellement, je ne connaissais aucun des deux personnages, j'ai beaucoup appris. Jean-Noël Blanc a choisi le roman pour parler de leur amitié, se donnant donc quelques libertés avec la vérité, peut-être assez peu d'après ce qu'il écrit en post-face. François-Auguste Ravier fut un peintre en perpétuelle recherche d'absolu, de représenter sur la toile ce qu'il avait en tête. En attendant son "grand ouvrage", il produit des "casseroles" : "... jusqu'ici je n'ai fait qu'accumuler des notes et des documents, et le grand ouvrage, mon Dieu, le grand ouvrage, je crains que la mort ne soit là bien avant." (p.159). Pour atteindre cet objectif, il refusa de montrer ses œuvres dans des expositions, des salons, ne voulant montrer que le meilleur. Bien que, devenu une référence, voire même un précurseur aux yeux de beaucoup de ses contemporains, une sorte de Turner avant Turner, un peintre qui peignait la lumière comme personne, jamais il ne dérogea de sa règle au risque avéré de ne jamais être reconnu et connu. Un peu misanthrope et peu sociable, la vie à l'écart qu'il avait choisie lui alla parfaitement.
Au contraire, Félix Thiollier toucha à tout, fut un hyperactif qui voulut bouger sa ville de Saint Etienne peu ouverte aux arts et à la culture. Il photographia, peignit, produisit du ruban dans son usine, édita des monographies, acheta et tenta de faire connaître des peintres comme Ravier et bien d'autres.
Ce sont ces deux hommes opposés qui deviendront amis, des hommes sans détours, francs et honnêtes. Jean-Noël Blanc les décrit, parle de la peinture et de la création artistique, de la recherche permanente de l'œuvre parfaite qui a obsédé Ravier sa vie durant, en des termes magnifiques. L'écriture emporte le lecteur et ne le lâche jamais, c'est une vraie merveille. Une langue d'une élégance rare qui varie la longueur des phrases, qui use de termes parfois rares. Voilà par exemple sa description du Paris que François-Auguste peine à peindre : "Le ciel, surtout, le déçoit : ce n'est pas un ciel sérieux, il s'effarouche pour un rien et s'afflige au moindre prétexte. Un courant d'air descendu des canaux du Nord, un souffle venu de l'Ouest et de la mer, une bourrasque bénigne, une bise, une chiquenaude de l’atmosphère, et ça y est les nuages rappliquent, le ciel prend la mouche, tout vire à la grisaille, s'assombrit, s'attriste, s'éteint. Pas de colère, pas d'orage, pas de nuées vindicatives, pas de vastes bousculades de cumulus, ou alors si rarement. Ce sont plutôt des susceptibilités de pluie mince, des chagrins citadins, des mélancolies patinent les rues d'une ombre d'alcôve, dans un chien et loup de plein mitan du jour." (p. 35)
Roman qui parle d'art, de peinture, de photographie, d'équilibre d'une œuvre, de sa création, des échecs, de la recherche de la perfection. Un coup de coeur que Le Réalgar a la bonne idée de rééditer. Pour les amoureux de la peinture, de la littérature, pour tous ceux qui ont envie de s'instruire dans la beauté et l'élégance et de sortir des sentiers battus.
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