"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
"La grand-mère est debout toute nue devant moi. Elle sursaute en me voyant. Elle fait les grands yeux. Elle a la bouche ouverte. Ses fausses dents ne sont pas dans sa bouche. Je sursaute moi aussi. Mais je ne tourne pas la tête. Je ne peux pas tourner la tête. Ma nuque est en bois. Je n'ai encore jamais vu ma Nona toute nue. Elle est tellement différente comme ça. Elle dit oha et elle retourne en boitant dans la salle de bain".
La vie d'un village cerné par les montagnes. Un enfant espiègle observe les adultes et, sans détour, dit le réel avec insouciance. Vif et concret, touchant et drôle, profond : Arno Camenisch donne à entendre la musique singulière de sa langue qui raconte la disparition d'un monde. Une Helvétie hors norme que le temps va engloutir. C'est Zazie dans les Grisons et c'est pas triste !
Arno Camenisch nous transporte des dizaines d’années en arrière dans le canton des grisons en Suisse. Ne cherchez pas, vous êtes immédiatement, tout comme je l’ai été, projeté dans un univers parallèle, plongé dans un de ces grands films classiques en noir et blanc où les jeunes héros découvrent la vie autour d’eux et la racontent avec autant de sincérité que de malice.
Le langage est celui d’un jeune garçon d’une dizaine d’années qui observe et raconte son village. Il mêle dans son récit le patois des langues romanches parlées dans le canton. Les maisons à la suite l’une de l’autre, dont on connait le moindre habitant, les habitues, les famille, le café L’Helvezia où tous se retrouvent pour un schnaps, les lappis qui font des petits et que l’on prend dans ses mains car ils sont si doux, mais qui en meurent, les saisons difficiles, surtout quand le soleil disparait pour plusieurs mois, la vie et la mort, l’enterrement ou la naissance, il n’y a rien d’étonnant à participer à tout cela puisque c’est la vie. Une succession de scènes aussi drôles qu’émouvantes. Un éveil au monde empli de débrouillardise, de naïveté et de sentiments.
L’écriture est vraiment étonnante. Si la lecture est un peu ardue au départ, j’ai été rapidement séduite.
Lire ma chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2020/04/10/derriere-la-gare-ustrinkata-arno-camenisch/
Réjouissant, habile, « Derrière la gare » est un récit bienfaisant, lumineux. D’emblée, on est bien dans cette contrée bordée d’air frais de l’Helvétie. A hauteur d’enfant, l’histoire est un baume au cœur. Une couverture que l’on remonte d’aise jusqu’au cou. Ne pas perdre des yeux, un seul espace, une virgule ou un point. Chaque phrase est un sourire, une attention, un détail ou une coutume écartelée par un enfant (qu’on adore) écouter. « Derrière la gare » est le papier calque d’un village où chacun des protagonistes connaît l’autre à merveille. L’idiosyncrasie dévoilée par l’auteur Arno Camenisch digne d’un génie évident est époustouflante de réalisme. L’Helvétie est apprivoisée. Le lecteur reste dans cet antre et se prend à aimer les mouvements de ce village où le traditionnel à valeur d’or. On aime les passages glorieux, amusants. Les rituels qui résistent aux rides et aux sourires d’une enfance qui connaît le respir de la nature et qui ignore ce qu’un XXIème siècle reprendra sans compromission. C’est ici qu’il fait bon vivre. Dans ce quotidien où « Dans le village personne n’a fermé sa porte à clé…… Dans le village il y a 16 frigos. » La nostalgie saisit le lecteur. Il voudrait ce village intemporel. Carte postale ne jaunissant pas sur les murailles des siècles à venir. L’écriture est un tapis rouge. « Attenzium, dit l’Otto, le devoir que demain à midi ici même, vous me dîtes le nom de chacune de nos muntagnas. » On reste dans cette farandole de paroles, bien au chaud, dans cette épiphanie grammaticale. Les mots écorchés, détournés, savoureux encensent un régionalisme d’ébène. On éclate de rire, on apprend à vivre. A changer notre regard sur le monde et sur nous-même. Ce petit galopin qui rayonne dans « Derrière la gare » ressemble à Toto dans « Cinéma Paradiso ». C’est dire la portée nourricière de ce récit vivifiant. « Dans l’Helvezia non plus la lumière éternelle doit jamais s’éteindre. En hiver, il y a encore plus de lumières éternelles qui sont allumées que d’habitude, et presque tous les gens du village participent, allument des cigarettas et les fument jusqu’au bout. Ils allument des petites lumières pour les âmes en peine, pour qu’on aille bien et que le soleil revienne et que personne ne finisse plemplem. » « Derrière la gare » est une ode à la vie, à l’authenticité, à la simplicité. Dans une Helvétie dont on ressent jusqu’à l’extrême la sincérité et cette joie de vivre. Un roman à lire en noir et blanc mais dont l’image ne se fige pas. La clarté est dans chaque heure et que ça fait du bien de lire ce roman qui est tendre comme du bon pain. C’est un récit porte-voix , un film à ciel ouvert, des brassées d’images salvatrices qui illuminent l’Helvétie pour toujours. Publié par Quidam éditeur qui prouve une nouvelle fois une haute qualité éditoriale.
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