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Mon très cher Curiosity,
Je t’écris depuis la planète bleue et toi depuis la planète rouge. L’univers est mal fait à l’image de la distance qui nous sépare, nos couleurs nous éloignent.
Pourtant fait de métal, d’électrodes, d’iodes et d’antennes, je me sens plus proche de toi que de bien d’autres de mes semblables. Car tu es un rover sociable. Difficile à admettre sur la planète des cartésiens !
Mais la littérature et les mots peuvent tout, même ce qui nous semble inimaginable.
Tu pensais être désespérément seul sur Mars, eh bien regarde, aujourd’hui je t’écris parce que Sophie t’a donné la parole et t’a doté de sentiments et d’émotions. Nous sommes déjà au moins deux près de toi …
Elle t’a si bien personnifié que je me suis surprise à être attendrie par tes réactions et à ressentir une empathie singulière mais réelle pour toi, être de métal a priori froid et sans âme.
Ta rouge mélancolie a rythmé les trois nuits précédant ton obsolescence- Trois nuits durant lesquelles j’ai réalisé que tu savais tout de l’homme, sans doute mieux que lui-même. Tu sais son bonheur à se rendre utile, à sentir son cœur battre la chamade, mais tu sais aussi toute sa solitude, la perversité de l’obéissance, l’inquiétude pour les générations à venir, tu sais son besoin de trouver l’amitié et l’amour et la souffrance de se faire éconduire.
Tu es programmé pour être ultraperformant et résistant, pourtant Curiosity tu es un être faible, comme les hommes, c’est-à-dire un être pensant et ressentant.
Et tes émotions à toi sont tellement pures et sincères pour un rover martien qu’il m’a été bien difficile de te quitter. J’ai dû me déconnecter de toi au moment de ton départ, tandis que ta solitude face à la mort croissait à coup de sentiment d’injustice et d’impuissance.
Alors sache Curiosity que quiconque te lira, verra l'univers autrement et se souviendra de cet instant passé près de toi guidé par ta candeur et ton regard lucide sur nos fragiles existences.
Bien à toi,
Sandra de la planète bleue.
Sophie Divry a trouvé dans la difficile période de confinement le moyen de s'évader. Son imagination, teintée de fantastique, nous offre avec Curiosity deux nouvelles aussi différentes que superbes.
«Dieu me parle tous les matins entre 8h et 10h». Avouez qu'un tel incipit ne peut que vous mettre l'eau à la bouche. Une telle première phrase rend en effet immédiatement vos neurones actifs. Quel Dieu? Pourquoi cet horaire? Pour dire quoi? Sophie Divry a trouvé un formidable biais pour nous parler de l'humanité. Elle s'est mise «dans la peau» de Curiosity, le rover qui a été envoyé explorer la planète mars. Un engin auquel tous les matins, la terre confie le programme du jour. Car bien entendu, Dieu ne peut être que cette cohorte d'ingénieurs penchés sur leurs ordinateurs, analysant les données transmises, cherchant comment réussir au mieux leur programme.
Disons que l'euphorie des premiers jours, l'atterrissage réussi sur la planète rouge, le déploiement de la caméra, la mise en route des instruments, les premiers mètres parcourus, a cédé la place a une grande déprime. Car notre engin martien est un rover sociable. Du coup, il a bien dû se rendre à l'évidence: son rêve de partage s'est fracassé sur les cailloux de sa nouvelle planète. Il est seul, condamné au même sort que ses prédécesseurs Pathfinder, les Vikings, Phoenix, Spirit et Opportunity. «Comme eux, je finirai en mode sécurité, englouti dans ce silence effroyable pour des milliards d’années. Autour de moi la petite agitation scientifique que j'aurai provoquée disparaîtra, et hormis mon cadavre rougi par la poussière, il ne restera rien de moi. Mars est un sinistre cimetière ! Une planète de relégation où Dieu nous envoie, puis prend un malin plaisir à nous laisser crever de froid.»
Constat terrifiant et sans appel, alors même qu'il était venu chercher la vie sur mars! «Des traces de vie, des briques de vie, même anciennes, même minuscules» auraient suffi à changer la donne. Alors la romancière prend la main, cherche une nouvelle voie et laisse la poésie gagner, au lieu de «broyer du plutonium». Elle va ouvrir son imagination et nous offrir ce très joli conte que l'on dédiera aux ingénieurs du CNES à Toulouse qui ont confié leurs travaux et leurs espoirs à Sophie Divry.
Cette nouvelle s'accompagne d'un second texte, plus court mais tout aussi savoureux, une «nouvelle confinée» intitulée l'Agrandirox. Derrière ce nom se cache une découverte majeure, surtout pour tous ceux qui, comme Josiane, vivent dans moins de 30m2. Ses seuls compagnons sont un chat et un vibromasseur.
L'Agrandirox permet de faire grandir les espaces, de repousser les murs. L'incrédulité de notre vieille dame va vite céder la place à l'enthousiasme lorsqu'elle constate que le procédé est efficace. L'enthousiasme, puis l'angoisse. N'est-elle pas en train de jouer avec le feu?
Cette seconde nouvelle nous prouve tout à la fois qu'il n'est nul besoin d'aller sur mars pour trouver du fantastique et que le confinement peut faire naître de jolies histoires. Après Trois fois la fin du monde, Sophie Divry nous offre une nouvelle belle occasion d'explorer notre humanité, d'aiguiser notre réflexion, de prendre le chemin de l'évasion. Et ça fait un bien fou!
https://urlz.fr/fYpF
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