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« Parlerons-nous politique ? » demande Drieu à Paulhan, un jour de 1936, après dix années de promesses non tenues et de vagues reproches. Le dialogue sera vain, peut-être, mais il est sincère, bien que l'écart se creuse, jusqu'en 1943, entre le conseiller municipal du Front populaire et le thuriféraire de Doriot, entre le patriote qui en appelle à « l'espoir » et au « silence » en juin 1940 et le fasciste qui rêve de créer à Vichy un parti unique, entre l'ancien et nouveau directeur de La NRF imposé par Otto Abetz. Leur dialogue est même remarquablement direct : « Nos relations sont étranges, écrit Drieu à Paulhan le 12 décembre 1942 : j'ai pour vous une véritable dilection qui m'est venue assez tard, à l'usage, un peu avant 1939, et en même temps je pense que nous sommes ennemis et que nous nous combattons. » Ces 169 lettres échangées le montrent : Paulhan n'a jamais rompu intellectuellement avec Drieu, tentant de comprendre sa logique singulière. Paulhan n'a jamais rompu avec La NRF, non plus : après avoir refusé la codirection de la revue avec Drieu, à l'automne 1940, c'est lui qui fixe, en sous-main, les règles de cette cohabitation forcée, conscient que cette « anti-NRF » permet à la maison d'édition de Gaston Gallimard de perdurer sous l'Occupation. « Je crois que ma raison (personnelle) de ne pas écrire dans la nrf demeure valable, précise pourtant Paulhan en juin 1941 : je ne puis qu'être solidaire de ceux de nos collaborateurs que j'y avais invités et que l'on renvoie. » Entre Paulhan et Drieu la Rochelle, peut-on parler d'une amitié ? Y eut-il autre chose que les relations complexes entre un éditeur et un écrivain, les conseils avisés d'un directeur de revue à son successeur, et enfin leurs paradoxales discussions politiques ? Malraux l'affirmera : « Pour Drieu, Paulhan n'était pas un résistant, pour Paulhan, Drieu n'était pas un collaborateur ». Est-ce pour cela que, sans poser de questions, Drieu intervint auprès des autorités allemandes en mai 1941 pour faire libérer Paulhan, arrêté avec d'autres membres du réseau du Musée de l'Homme ? Est-ce pour cela que Paulhan a toujours gardé le contact, et plus encore, avec le directeur collaborationniste de La NRF ?
Si Drieu incarne la mauvaise conscience du milieu intellectuel, Paulhan ne voit cependant pas en lui le traître par excellence. De fait, la question de la fidélité est au coeur de cette correspondance (et ce n'est pas un hasard si elle s'ouvre sur la douloureuse rupture entre Drieu et Aragon, dont Paulhan est l'arbitre à son corps défendant) : fidélité à l'amitié, fidélité à soi-même et à ses convictions politiques, fidélité à la France, à la revue... Pour Jean Paulhan, comme pour André Malraux ou Emmanuel Berl, Pierre Drieu la Rochelle a certes failli gravement - en particulier lors de ses dernières années - mais il ne s'est pas trahi. Il aurait même été « loyal » jusqu'à sa mort par suicide, le 16 mars 1945. Paulhan ne signifiait déjà rien d'autre à Gide, trois ans plus tôt : « Drieu est à mon égard, en tout ceci, gentil et loyal. (Nous autres directeurs de revues, sommes corrects en de tels cas). A peine semble-t-il, de temps à autre, m'adresser quelque reproche secret. » (15 mars 1942).
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