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Entre Swift et Orwell, Capillaria ou le pays des femmes fut publié en Hongrie en 1926. Présenté par son auteur comme un conte des Voyages de Gulliver, cette utopie caustique, d'une ironie acide où perce l'humour des moralistes sceptiques du XVIIIe siècle français, met en scène un médecin plongeant au fond des mers après que le bateau qui le transportait eut fait naufrage. Il y découvre une société composée de femmes, très belles, s'aimant les unes les autres et tenant en esclavage de petits êtres rabougris, très laids, de sexe masculin, appelés Bullocks, dont elles mangent la cervelle. Ces femmes, nommées Ohias, sont installées dans des tours que les Bulloks s'acharnent à construire pour s'évader lorsque le sommet de l'une d'elles atteindra la surface des eaux. Mais, systématiquement, les Ohias détruisent leur ouvrage dès que celui-ci atteint la hauteur qu'elles souhaitent. Pris d'abord pour une femme, le médecin se découvre lorsqu'il tombe amoureux de la reine des Ohias. Il est alors condamné aux travaux forcés à perpétuité en compagnie des Bullocks jusqu'à ce qu'un séisme le ramène à l'air libre. Cet admirable petit livre n'a rien perdu de sa force satirique.
Frigyes Karinthy (1887-1938), écrivain hongrois, s'est d'abord fait connaître par ses parodies de Jules Verne, Oscar Wilde, Ibsen, Pirandello ou encore J. Swift comme ici, reprenant notamment le nom de Gulliver. A savoir que Frigyes Karinthy est aussi l'inventeur (en 1929) du concept des six degrés de séparation, cette théorie qui dit que chacun d'entre nous sur la planète, peut être connecté à une autre personne en suivant une chaîne de connaissances ne contenant pas plus de cinq intermédiaires. (merci Wikipédia, je connaissais la théorie, mais point son inventeur). Théorie qui paraît de plus en plus réelle avec l'éclosion des réseaux sociaux. Frigyes Karinthy est aussi le père de Ferenc Karinthy, auteur de Épépé dont j'ai récemment parlé et réédité chez Zulma.
Mais revenons à Capillaria, court roman écrit en 1925 et son monde sous-marin sorte de monde inversé dans lequel les femmes se comporteraient comme les hommes sur terre ; enfin comme en 1925, parce que de nos jours, aucun homme ne négligerait la Femme ne la cantonnerait dans un rôle quasi exclusif de reproductrice et de mère, ne la frapperait pour qu'elle obéisse, ne la traiterait comme une espèce à part inférieure à l'Homme. Non, de nos jours les femmes ont l'égalité absolue, elles accèdent aux postes les plus hauts dans toutes les sociétés politiques ou religieuses (une femme Présidente ou même Première Ministre -il y en eut une seule en France- c'est forcément pour bientôt-, dans les entreprises où elles trustent les postes à responsabilités, les hommes prenant activement et volontairement leur part de tâches ménagères, d'éducation des enfants...
Mais plutôt que d'ironiser, revenons encore une fois à Capillaria qui est d'une force satirique très actuelle, une sorte de récit intemporel, tant les choses n'ont point beaucoup évolué. C'est aussi plein d'humour et d'ironie, formidablement vif et vivant lorsque Gulliver tente d'expliquer à Opula, la reine des Ohias comment est la vie sur terre et comment là-haut, les hommes règnent sur le monde mais restent finalement soumis aux désirs
"De la façon décrite, j'ai fait connaître à sa Majesté la situation de la femme en Europe au cours de l'évolution historique. J'ai parlé sans détours de l'oppression regrettable que viennent seulement de dévoiler les chercheurs de notre siècle. Pendant des milliers d'années, les hommes avaient refusé aux femmes les droits dont l'exercice est le devoir le plus sacré de tout citoyen civilisé. Les hommes s'étaient réservé tous les privilèges en invoquant simplement le droit du plus fort qui peut tout se permettre vis-à-vis des plus faibles. Les femmes n'avaient ni le droit de travailler, ni d'étudier. Seuls les hommes pouvaient gagner le pain quotidien à la sueur de leur front, ce qui fatigue le corps et amoindrit la sensibilité de l'âme." (p.54/55)
Un petit bouquin excellent, édité dans la collection Minos, admirablement écrit qui devrait faire partie de ces classiques lus et relus, inoubliables en tous cas.
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