"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« «Je suis le petit-fils d'un Libanais qui n'était pas libanais», lançai-je au public de l'université de Tokyo, et je repoussai le micro. ».
Invité à un congrès d'écrivains libanais au Japon, Eduardo Halfon s'apprête à enfiler son déguisement : son grand-père, parfois considéré comme syrien, avait quitté Beyrouth alors que le Liban n'existait pas encore officiellement, et avait émigré aux États-Unis en passant par la Corse, pour finalement atterrir au Guatemala, où l'on surnomme « Turcs » tous les Arabes et les Juifs.
Parmi les innombrables facettes de son histoire familiale, Halfon choisit ici de raconter l'histoire de l'enlèvement de son grand-père en 1967. Et par la même occasion celle de l'un de ses ravisseurs, Canción, guérillero sanguinaire, boucher à ses heures. Un matin de janvier, à Guatemala, Canción a attendu son otage avec quatre autres guérilleros, dans une voiture de police baptisée Le Requin, et a emmené le grand-père dans une résidence clandestine où il resterait trente-cinq nuits. Envisageaient-ils de l'échanger ensuite contre un guérillero retenu par l'armée américaine ? De financer la lutte armée avec l'argent de la rançon ? Ou bien le grand-père avait-il été livré en pâture à la guérilla par un autre Juif, un de ses amis de la synagogue ?
Eduardo Halfon mêle les souvenirs du congrès de Tokyo à ceux de sa rencontre avec une ex-guérillera dans un bar aux airs de saloon, et reconstitue les faits dans un texte au refrain lancinant, « une chanson qui parle d'un Juif libanais qui jadis offrit à un guérillero deux stylos plume en or resplendissants, une dernière chanson avant la détonation d'une dernière balle dans l'obscurité de la nuit tropicale ».
Eduardo Halfon brouille les pistes avec un art consommé. Croyant partir avec son narrateur-auteur à la découverte du Japon, on se trouve aux prises avec la Guerre civile du Guatemala, qui a bien secoué son arbre généalogique.
Habile à brouiller les pistes, Eduardo Halfon nous convie tour à tour dans différents points du globe en ouverture de ce roman étonnant à plus d’un titre. Après Tokyo, où l’écrivain-narrateur est convié à un colloque en tant qu’écrivain libanais, il va nous raconter les pérégrinations de ses ancêtres de Beyrouth à Guatemala Ciudad, en passant par Ajaccio, New York, Haïti, le Pérou, Paris et le Mexique. Ces jalons dans la vie du narrateur et de sa famille lui permet d’endosser bien des costumes. Celui qu'il étrenne à Tokyo étant tout neuf. Invité comme «écrivain libanais», il lui faudra toutefois remonter jusqu'à son grand-père pour offrir semblant de légitimité à cette appellation d’origine. Car ce dernier avait quitté le pays du cèdre depuis fort longtemps – il est du reste syrien – et s'était retrouvé au Guatemala où il avait fait construire une grande villa pour toute la famille.
C'est dans ce pays d'Amérique centrale, secoué de fortes tensions politiques, que nous allons faire la connaissance de Canción, le personnage qui donne son nom au titre du roman. Il s’agit de l’un des meneurs de la guérilla qui combat le pouvoir – corrompu – alors en place. En janvier 1967, avec son groupe, il décide d’enlever le grand-père du narrateur en pleine rue, au moment où il sort de la banque où il a retiré l'argent pour payer les maçons qu’il emploie. Canción va négocier le versement d’une rançon et se spécialiser dans ce type d’opérations, passant à la postérité pour la tentative avortée d’enlèvement de l'ambassadeur américain, John Gordon Mein. Car le diplomate tente de s’enfuir et est alors «aussitôt mitraillé par les guérilleros. Huit blessures par balles dans le dos, détaillerait le juge après l’autopsie.» C'est alors que Canción gagne son surnom: le Boucher (El Carnicero).
Avec humour et ironie, Eduardo Halfon montre que durant toutes ces années de guerre civile, il est bien difficile de juger où est le bien et le mal, chacune des parties comptant ses bons et ses mauvais éléments. Si l’on trouve légitime de s’élever contre un pouvoir corrompu, soutenu par les Américains et leur United Fruit Company, pratiquement propriétaire de tout le pays, on peut aussi se mettre à la place de cette famille qui a immigré là pour fuir d’autres conflits et se retrouve, bien malgré elle, au cœur d’un autre conflit. D’autant qu’elle va se retrouver accusée par le pouvoir d’avoir financé les forces armées rebelles en payant la rançon. Pour appuyer cette confusion, l’auteur n’hésite pas à passer, au fil des courts chapitres, dans une temporalité différente. De Tokyo à la guerre civile et à une conversation dans un bar où l’on évoque les chapitres marquants de l’épopée familiale. Le fait que le grand-père et son petit-fils s’appellent tous deux Eduardo Halfon n’arrangeant pas les choses! On file en Pologne pour parler des origines juives, puis au Moyen-Orient qui ne sera pas un refuge sûr avant d’arriver dans un pays «surréaliste», le Guatemala. Il est vrai qu’entre coups d’État, dictature, guérilla, ingérence américaine et criminalité galopante, enlèvements et assassinats, cette guerre civile qui va durer plus de quarante ans offre un terreau que le romancier exploite avec bonheur, tout en grimpant dans les arbres de son arbre généalogique à la recherche d’une identité introuvable.
Le tout servi par un style foisonnant, échevelé qui se moque de la logique pour passer d’une histoire à l’autre et donner une musicalité, un rythme effréné à ce roman où il sera même question d’amour. Voilà une nouvelle version de la sarabande d’Éros et Thanatos, luxuriante et endiablée.
https://urlz.fr/f7os
Une lecture agréable et profonde avec un auteur qui aime parler de sa famille et du passé. Ce passé c'est celui de son grand-père, prénommé comme lui Eduardo, victime d'un enlèvement en 1967 en plein guerre civile au Guatemala, 4 ans avant la naissance de l'auteur. On y découvre deux figures des guérilleros ayant participé à des nombreux enlèvements et meurtres, Cancion, un tueur froid et atypique, ou encore Rogelia Cruz, la plantureuse geôlière.
L'histoire est un prétexte pour aborder le thème de la guerre civile au Guatemala, de la découvrir pour comprendre qu'un pays vit, d'abord dans l'instabilité de son pouvoir, les uns oppressent, les autres luttent, les rôles s'inversent, puis tout le monde essaie d'oublier. C'est aussi l'histoire des origines, un juif libanais débarqué au Guatemala (libanais tout étant relatif car le Liban a été créé en 1920 à partir de la Syrie), voilà qui est orginal aussi.
Et puis il y a le présent avec l'auteur invité à une conférence au Japon sous l'étiquette d'auteur arabe libanais qui pourtant ne sait rien dire dans cette langue. Cette conférence lui permet de ressusciter ce grand-père marquant dans sa vie.
Un bon moment de lecture servi par une très belle prose, fluide, teintée de nostalgie.
Au Japon, Eduardo Halfon qui se sent bien plus juif, espagnol ou guatémaltèque qu’arabe, est invité par une université de Tokyo pour participer à un congrès d’auteurs libanais, Il se souvient alors de l’histoire de son grand-père, le seul libanais de la famille.
L’auteur nous entraîne dans ses pensées, et surtout évoque l’histoire du Guatemala à travers l’histoire de ce grand-père débarqué à New-York en 1917. Il arrivait de Syrie, mais se plaisait à dire qu’il était libanais, bien que la création du pays date de 1920, soit après son départ.
Des affaires prospères, une famille heureuse, jusqu’à ce jour de 1967 où le grand-père est enlevé devant sa porte par une milice armée. Il sera libéré trente cinq jours plus tard, sain et sauf, contre une rançon qui alimentera les ressources des FAR (Forces Armées Rebelles) organisation dissoute des années plus tard.
Quelques figures de l’époque participent à l'enlèvement. La belle Rogelia Cruz et Canción un tueur professionnel au visage d'enfant, capable d’exécuter n’importe quel homme sans sourciller et sans émotion. L’auteur suit son parcours en parallèle à l’histoire de sa famille et à celle du pays.
Si le roman commence comme une farce humoristique « j’ai endossé un déguisement arabe pour ma conférence au japon, la suite est un retour aux origines d’une famille d’émigrés qui a parcouru la planète avant de se poser dans un pays et d’y bâtir sa descendance. Pourtant, la violence omniprésente fait de ce court récit un roman social ayant pour toile de fond la réalité économique du Guatemala de la deuxième partie du XXe siècle.
L’histoire de la famille est une fois de plus prétexte à remonter l’histoire du pays, et d’en montrer la complexité politique et économique.
Chronique complète à lire sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2021/02/02/cancion-eduardo-halfon/
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !