"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Apparus dans un incendie de soleil levant sur l'horizon flamboyant, Lee Lightouch et Pato Conchi (le grand maigre et le petit gros), silhouettes familières et pourtant inédites de tout western qui se respecte, se rendent benoîtement dans le village de Booming pour raison sentimentale. « Personne ne va à Booming » ; « N'y a rien, là-bas » ; « Prenez un bonbon, je ne crois pas qu'ils en aient » : on les avait pourtant mis en garde. Kid Padoon et sa bande faisaient régner la terreur à Booming, le shérif à leur botte, le bordel à leur service, le saloon à leur disposition, le croque-mort aux petits soins. Mais tout ça n'est encore rien : il se passe quelque chose, à Booming, quelque chose de stupéfiant - de pétrifiant, même -, quelque chose de détraqué qui vous explose une aventure comme un tas de billes éparpillées d'un revers de mains par un gosse exaspéré. S'il est enveloppé avec une certaine tendresse dans les atours d'un roman rigolo, Booming est plus que cela. Dernière récidive en date de Mika Biermann en savant fou de la littérature, c'est un tableau aux couleurs travaillées à la spatule et parcouru en profondeur par les ondes frémissantes des films de série B et de la peinture naturaliste américaine, le tout condensé autour de l'histoire d'une amitié si solide qu'elle se joue des balles et du temps qui passe. Car, osons le dire, Booming est un western quantique. On croyait avoir tout vu : non.
Booming sent bon la petite ville américaine florissante, avec ses commerces, son saloon, son sheriff, ses indiens, ses bandits, son croque-mort… bref, une ville du far West florissante. Quoi, ce n’est pas ça ? Lorsque l’on s’appelle Booming….
Lee Lightouch, longiligne anglais amoureux de la peinture et Pato Conchi, colombien petit, bien en chair et leurs mules, en auront un tout au avis lorsqu’arrivés à Townsend ils demandent la direction de Booming
« Le barman chauve expédia un mollard dans le crachoir.
- Personne ne va jamais à Booming
- -Pourquoi pas ?
- N’y a rien là-bas »
Pourquoi ces deux hommes qui font penser à Don Quichotte et Sancho Panza veulent-ils aller à Booming ? C’est là que l’histoire diverge par rapport à Don Quichotte. Pato Conchi veut y retrouver sa Dulcinée, sa Conchita enlevée par Kid Padoon.
Ami lecteur, amie lectrice cartésiens, sautez de votre mule, restez à Townsend, je repasse vous chercher à la fin de cette chronique.
Bon, retrouvons nos deux cow-boys à l’entrée de Booming devant un indien assis immobile mais qui semble vivant, sauf qu’il est dur comme une statue, mais intransportable.
« A l’œil nu, les cheveux ressemblaient à de vrais cheveux, la peau à de la vraie peau. Au toucher, tout avait la dureté de la pierre. La rigidité du fer. La densité du bois. »
Peu après, Pato s’enfonce un brin d’herbe dans la chaussure, sauf que… l’herbe est dure et tranchante comme du fer, qu’ils ne peuvent la déterrer.
Avec précaution, ils continuent leur chemin pour entrer dans Booming. Tout est immobile, même le soleil ne bouge pas, un vrai décor de cinéma. Plus loin, un homme est dans le même état que l’indien.
Bienvenue à Booming où même les mouches sont arrêtées dans leurs vols, ville sans bruit, sans mouvement, sans odeur.
Les deux hommes se séparent et, à ce moment, la vie reprend ou, ils se promènent au milieu des « statues » et font dévier la balle qui devrait tuer…
Ces « arrêts sur image » racontent la violence qui règne à Booming sous la coupe de Kid Padoon et sa bande.
Bref, Mika Biermann s’amuse, se joue des codes, des dimensions, du temps… La chronologie est bafouée avec allégresse, les histoires se croisent dans le temps, tout semble fou sens dessous-dessus, mais, que nenni, l’auteur sait où il nous emmène et tricote son histoire avec précision. Un point à l’endroit, un point à l’envers, puis reprend la maille plus haut… pour une écharpe qui s’enroule agréablement autour de mon cou. Une histoire qui ne me fait pas lâcher le livre.
Plus que ce western hors d’âge, pas comme les infâmes whiskies que se tapent Lightouch, il y a l’amitié intemporelle entre ces deux hommes que tout devrait séparer.
Ce roman est superbement construit, déconstruit puis reconstruit, tout ceci avec brio, sans jamais perdre le fil. J’y ai perdu la tête, l’ai retrouvée pour mieux être comblée par la maîtrise de l’écriture
Bref, entre western classique avec les bons, les méchants, les truands, les pendaisons, les filles de joie, le sheriff corrompu et ivrogne… et western quantique, selon la 4ème de couverture et que je ne saurais vous expliciter, j’ai passé un moment de lecture comme je les aime.
La couverture du livre concoctée par Anacharsis est parlante, après coup ; Un cow-boy en plastique sur son cheval et son petit carré d’herbe verte, posé sur un décor genre Colorado.
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