Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Avec un désenchantement chirurgical et une ironie savamment dissimulée, Alice Ceresa dresse le portrait intimiste d'une famille ordinaire et aliénée, et décrit les rapports entre chaque composant - un père, une mère et deux soeurs -, le jeu de forces et de tensions qui les agrègent, dans le quotidien partagé au fil des années, de l'enfance à l'âge adulte. Proche de l'Agota Kristof du Grand Cahier, Bambine (Einaudi, 1990) est servi par une écriture limpide et féroce.
Bambine n'est pas un roman. C'est le deuxième écrit de la trilogie d'Alice Ceresa consacrée à « la vie féminine.
L'auteure décrit d'une façon clinique, froide , le fonctionnement d'une famille patriarcale en se centrant sur les souvenirs d'enfance et d'adolescence des deux filles, « l'aînée « et la « cadette ».
En italique, Alice Ceresa , dresse au tout début du livre un cadre plutôt universel et intemporel dans lequel évoluent en vase clos les quatre membres de la famille.
La hiérarchie est déterminée par la naissance et le sexe. Les enfants sont des élèves qui imitent .
A la naissance des filles le mari et la femme se transforment en père et mère, chacun restant attaché (e) à sa famille d'origine ce qui l'oppose à la famille de l'autre.
L'auteure relève les particularités paternelles dans leur fonction spécifique à l'homme de façon chirurgicale : les cheveux, les pieds,le nez, le regard .Quand les filles deviennent adolescentes,le contrôle exercé sur elle par leur père et la gent féminine est caricatural..,.
« Nous savons tous que l’on peut dire des choses abstraites avec la réalité et des choses très réelles avec des rêves et l’imagination pure. Personnellement, j’espère juste avoir écrit un livre décent. »
Ainsi commence « Bambine », troisième volume après « La fille prodigue » en 1967, qui remporte le prix Viareggio, puis « La mort du père » en 1979.
Fil rouge intrinsèque sur la symbolique du féminin et « les dynamiques familiales ».
« Il est nécessaire de dessiner pour commencer une petite ville. »
D’emblée on pressent le renom, une écriture particulière, adroite et unique. Ici, pas de fioritures, de dialogues, de surplus. Nous sommes dans une modernité avouée, certifiée. Une écriture personnelle et altière, divinement libre et assumée.
« Elle ne sait en fait à quel saint se vouer et elle commence à s’embrouiller et à s’égarer dangereusement entre l’être-mère et l’être-épouse, qui sont naturellement deux choses différentes même si, changement, l’une donne son essor à l’autre. »
Mère de deux fillettes, l’aînée et la cadette, nommées ainsi. Une mise en abîme, tel un scénario, un quasi huis-clos, où pas une minute n’échappe au regard aiguisé d’Alice Ceresa.
Une femme qui se sent dénigrée dans son rôle de mère, soumise à la domesticité latente et sournoise. Sa progéniture soignée plus que bercée. Les gestes au ralenti, l’amour inexistant. Un mari préoccupé de sa petite personne, résolument oppressant, sévère et patriarche jusqu’au paroxysme.
Ce récit taillé au scalpel, la sociologie dévorante, étudiée à la loupe, ne laisse rien dans les angles et capte l’attention affûtée d’Alice Ceresa.
« Cet homme en fait ne regarde chaque chose que pour la soupeser et éventuellement la blâmer… Même si les rares démonstrations d’affection sont, si possible, à éviter, parce qu’elles comportent elles aussi le regard dans le regard dont, craignant le pire, elles sont plus qu’incapables… Elles peuvent pourtant se livrer à des expériences en cachette… L’homme peut rester tranquille, et en fait, il est tranquille. »
Deux petites sœurs, siamoises dans l’adversité, éloignées dans l’enjeu des expériences.
« Sortant des lieux connus, les deux petites sœurs avancent en se tenant par la main, apeurées mais pleine d’assurance. »
Elles évitent le genre masculin dans leurs pérégrinations. Elles déambulent, curieuses et lucides des disparités avec leurs parents.
Lui, aimant peu ses enfants, fillettes qui dérangent sa tranquillité, pourrait le faire douter. Assume sa froideur au fronton des interdits. Sa femme, limitée à la sphère domestique et avilissante.
Ce récit est un kaléidoscope psychologique, hypnotique. La démonstration appliquée par une littérature souveraine, moderne, tirée au cordeau. Une famille décryptée au peigne fin. Ici, l’idiosyncrasie du corpus identitaire est dévoilée avec brio, analyse et pertinence. Dans ce livre la fiction n’est plus. La trame est vive, sans pathos, mature et certifiée.
Écoutez : « La mère en revanche ne dit rien, vouée comme elle est à la vie quotidienne. On peut la distraire et la solliciter à volonté, et elle s’exprime totalement dans ses gestes. De ce fait, elle est reçue avec une extrême inattention. »
C’est un livre efficace, dont le style laisse sans voix, tant les émotions sont inexistantes.
« Bambine » est envoûtant, de haute précision, extraordinaire. Le vacillement dans une famille radicale. Il éveille notre fébrilité d’écouter une langue rare, inventive, au libre-arbitre avéré. Alice Ceresa transperce dans ce récit. Avant-gardiste, elle tisse, sans le dire un seul instant les masculinités dévorantes qui foudroient tout désir d’envol. C’est une fresque sans lyrisme, fascinante et sublime de justesse. Inestimable, tant son ressac est révélateur.
Publié en 1990, puis traduit en 1993 par les Éditions Zoé, la chance fabuleuse de le savoir réédité par les Éditions La Baconnière en cette rentrée littéraire hivernale de 2023. Traduit de l’italien par Adrien Pasquali, traduction révisée par Renato Weber, vous l’aurez compris c’est une chance éditoriale hors norme.
À noter : ce roman comporte une biographie d’Aselle Persoz, l’interview d’Alice Ceresa par Francesco Guardiani, le roman en lui-même, et l’étude en pages finales d’Anneta Ganzoni « Bambine », le roman « raffiné et cruel » d’Alice Ceresa et ses traductions.
Un grand classique de la littérature, précieux et inestimable.
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