Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
« Aux confins de la Louisiane, une île porte le prénom de mon père.
Chaque jour, elle s'enfonce un peu plus sous les eaux. »
Il a fallu que son esprit vogue jusqu'à l'Isle de Jean-Charles pour qu'elle se retrouve enfin face à son père. Qui est cet homme à la présence tranquille, à la parole rare, qui se dit sans mémoire ? Pour le découvrir elle se lance dans un projet singulier : lui rendre ses souvenirs, les faire resurgir des objets et des paysages.
Le premier lieu à arpenter est l'atelier où il a amassé toutes sortes de curiosités, autant de traces qui nourrissent l'enquête sur ce mystère de proximité : le temps qui passe et ces grands inconnus que demeurent souvent nos parents. Derrière l'accumulateur compulsif, l'archiviste des vies des autres, se révèlent l'homme enfant marqué par la guerre, l'artiste engagé et secret. Peu à peu leur relation change, leurs écritures se mêlent et ravivent les hantises et les rêves de toute une époque.
À travers cette géographie intime, Hélène Gaudy explore ce qui se transmet en silence, offrant à son père l'espoir d'un lieu insubmersible - et aux lecteurs, un texte sensible d'une grande beauté.
Le crépuscule en pente douce
J’aime beaucoup l’idée que face à un parent vieillissant, les paroles s’infiltrent, la tristesse aussi et ensuite c’est le déferlement de ce qui est, de ce que l’on ne veut pas forcément voir, puis l’émotion monte comme une déferlante qui nous submerge pour nous enjoindre de garder des traces de l’essentiel.
« De ses premières années, et même de sa jeunesse, ne lui restent que des images flottantes, comme s’il s’était construit sur du sable, sur un sol inondé et spongieux, et je le vois – son corps compact, petit mais tellement dense, et le poids de sa main comme du plomb dans la mienne – planté droit dans un sol qui sans cesse se dérobe. »
Devenir l’anthropologue de l’intime paternel ne se fait pas sans questionnement :
« J’aime et redoute ce moment où l’écriture ne consiste plus à raconter, mais à agir. »
Le fil du livre est le père mais avant et après le père il y a l’homme, et l’urgence de retenir la quintessence d’un être unique.
Qui est vraiment celui qui a beaucoup voyagé avant l’enfant ? Puis lorsque le quotidien immobilise, l’homme s’est mis à collectionner de façon compulsive selon un seul critère « ce qui m’a frappé ».
Parmi tous ces objets hétéroclites il y a des carnets où l’écriture retient. Le père les laisse à la fille, comme un passage de témoin.
J’ai adoré lire les noms de Mingarelli et Dhôtel parmi les noms des écrivains qu’il a aimés.
L’atelier, plein comme un œuf, a été plus qu’un lieu de création, pour en faire l’inventaire il faut aussi se remémorer les gestes ceux que l’on voit sans enregistrer leur signification.
Une avancée par les actes manqués ?
Il y a un passage savoureux celui où la fille adolescente avec d’autres filles fait des virées dans les catacombes qu’elle raconte ensuite à son père, et un jour il lui demande de se joindre à elles. Père attentif, curieux capable de cette joie simple.
C’est aussi l’inventaire de l’inversion des rôles :
« Il avait besoin de moi pour se débrouiller avec ce monde qui ne semblait plus fait pour lui. »
La société est-elle si pressée de laisser sur le bord de la route ceux qui n’entrent plus dans la case de la population productive ? Ceux qui nous dirigent ont-ils conscience que leur tour viendra ?
J’ai aimé cheminer dans les pas de cet homme sous le regard aimant d’une fille qui a les mots, ce sont les siens, ils sont intimes et ont la générosité de l’universel.
J’ai noté beaucoup de belles phrases, vraiment beaucoup.
La structure en cinq actes Bayou-Pierres-Feux-Éclipe-Rivages est juste, comme le ton, le vocabulaire, l’auteur expose, fait monter l’action, arrive au point culminant, l’action redescend jusqu’à la résolution.
Ce livre est une pierre précieuse taillée pour mettre en lumière sans détériorer sa composition, son brillant.
Ce qui me reste de cette lecture c’est un sentiment qui perdure, la fille en écrivant, a su être aussi fantasque et pudique que son père, l’image qu’il me reste ce sont leurs mains unies.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/10/31/archipels/
Archipels d’Hélène Gaudy n’est pas le énième récit d’une fille pour célébrer son père. Il est plus et moins à la fois. En tout cas, le lecteur se délecte du plaisir de leurs rencontres de papier, père, fille, fille — père entremêlés par l’explosion des mots, triturés et malaxés par son talent.
En plongeant dans ses quatre chapitres, Hélène Gady essaye de surnager dans l’histoire de son père, muette de n’avoir jamais été racontée, submergée par les signes laissés à disposition.
Bayou, le premier chapitre, décrit cet homme, comme un lieu, sorte de « capsule temporelle » ou « un terrain de jeu ». Peut-être aussi une île comme cet entrepôt où il travaille sa peinture mais aussi, où il amasse toutes sortes d’objets, notamment des bocaux de sable pour ses tableaux.
Le second s’intitule Pierre. Hélène Gaudy tente de remonter la mémoire comme « une longue-vue à braquer sur sa vie, « et sur la sienne « par ricochets« . « Les parents dont des mégalithes dans notre champ de vision. On passe sa jeunesse à tenter de voir le paysage qu’ils nous cachent, et puis, un jour, ils sont devenus de toutes petites pierres, des cailloux. » Seulement même les cailloux ont une histoire qu’il faut découvrir au-delà des grandes lignes tracées par le passé familial.
Les lieux et les objets sont le point de départ de cette enquête sur la part invisible et inconnu de celui qui lui est cher, puis sur ses grands-parents, résistants. Des pistes poursuivies sont abandonnées, d’autres se cherchent, se dérobent mais deviennent signifiantes. L’enquête s’étire mais ne se rompt pas, puisqu’Hélène Gaudy reconstruira les figures familiales avec suffisamment de détails pour qu’elles nous soient familières. Son texte est riche d’une langue parfaitement maîtrisée où sa force du passé éclate, même s’il enferme ceux qui la possèdent.
Cette introspection centrée sur son « petit père » touche notre sensibilité au plus profond, nous renvoyant à notre propre histoire mais aussi celle collective. Condensé d’amour et de poésie, Archipels d’Hélène Gaudy touche par sa forme exigeante et par son fond, sensible et tendre.
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/10/29/archipels-helene-gaudy/
J'ai tenu jusqu'au chapitre Pierres, puis les souvenirs de famille ont fini par me lasser.
Une écriture qui n'a pas suscité mon empathie.
Une accumulation d'objets qui m'ont fait sentir enfermé, la peur que les piles me tombent sur la tête.
Un récit trop décousu (même si la forme rejoint le fond des souvenirs éparses).
L'auteure n'a pas réussi à m'intéresser à la vie de son père ni de son grand-père.
Son père vieillit, ses souvenirs s'échappent peu à peu alors Hélène Gaudy veut l'accompagner sur ce chemin et finalement se réapproprier son histoire qui est la sienne aussi.
L'écriture est indéniablement poétique et élégante.
Toutefois, j'ai rapidement décroché de ce texte qui relève de l'intime mais qui a laissé de côté la lectrice que je suis.
C’est le hasard qui est à l’origine du déclic. Lorsqu’elle apprend qu’une île dénommée Jean Charles comme son père vieillissant est menacée de disparition par la montée des eaux en Louisiane, l’auteur réalise qu’il ne sera bientôt plus temps, si elle ne se hâte, de percer les mystères de cette terre inconnue qu’est toujours resté ce père, un homme syllogomane sans passé ni souvenirs, dont le déroutant héritage semble tout entier tenir dans son atelier d’artiste et sa sidérante accumulation d’objets, autant de vestiges de la vie des autres dont il faisait son matériau artistique mais qui posent la question de quel vide ils ont comblé et de ce qui se cache sous cette face émergée de l’iceberg.
Alors, avec le sentiment qu’il ne sera « pas plus facile de décrire [s]on propre père que [l]es explorateurs suédois du XIXe siècle », disparus au pôle Nord, à qui elle a consacré son livre Un monde sans rivage, elle entreprend une enquête intime, toute de patience et de délicatesse, s’efforçant de « recueillir [ce] que, peut-être, il finira par dire » et espérant « le faire émerger à l’aide de ces petites brosses qu’utilisent les archéologues, pour ne pas l’abîmer. » Ce père qui n’a pour parler de lui que les objets qu’il a entassés, aussi illisibles aux yeux des siens que le contenu d’une « capsule temporelle » qu’il leur aurait léguée « avant même que le temps soit passé », sait-il seulement sonder lui-même les profondeurs secrètes de l’oubli qui lui tient lieu de refuge ? Ou ne restera-t-il irrémédiablement à sa fille que l’archipel de signes affleurant à la surface ?
Rares sont les livres à vous éblouir comme ici à chaque ligne, la finesse d’observation et d’analyse n’ayant d’égale que la magnificence de l’écriture. Que d’amour et d’intelligence dans ce texte bouleversant de retenue, et quelle splendeur que cette plume capable d’emmener l’admiration du lecteur de sommet en sommet de la première à la dernière page. Pendant que l’insondabilité de l’énigme paternelle et la conscience du peu de temps qui reste ne rendent que plus bouleversants les efforts éperdus et bientôt résignés de la fille et du père pour se rejoindre, Hélène Gaudy transcende les mots pour en faire sans le dire l’étoffe-même d’une affection filiale aussi irréductible que pudique, tout en multipliant les réflexions toutes plus justes et plus belles les unes que les autres sur la filiation, le passage de la vie et l’écriture.
Dans la première sélection du Goncourt, ce livre exceptionnel a toutes les chances de faire partie des favoris, si ce n’est de devenir LE favori. Au-delà du coup de coeur.
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