"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'inspecteur Korolev est missionné en Ukraine sous couvert de vacances pour enquêter sur le meurtre d'une jeune femme. Tout au long de ce récit, dans le froid glacial, la neige et sous l'emprise de la peur du régime de Moscou, on voit à quel point la vie dans ces pays est dure. On revit , des temps de l'histoire qui montrent les atrocités faites aux Ukrainiens. La corruption, le mensonge porté à son plus haut degré, régissent les modes de fonctionnement de ces hauts dirigeants. On tue, on affame, on déporte allègrement des générations entières. Pas d'avenir, pas de joie de vivre, un passé, un présent, un futur sous la botte d'agresseurs sans foi ni loi. Une incursion dans les tunnels des anciennes mines , un vrai dédale sous la ville d'Odessa.
Moscou hiver 36, l'inspecteur Korolev, en pleine terreur stalinienne, enquête sur le meurtre d'une jeune américaine. En cette période de purge, il va devoir jouer au plus fin entre la pègre et le NKVD au péril de sa vie.
Au-delà de l'enquête, la vie ou la survie quotidienne sous terreur stalinienne sont remarquablement décrites. L'angoisse est au coin de chaque page et le suspens demeure entier jusqu'à la fin.
Je retrouve mon policier russe préféré, que j'avais déjà beaucoup apprécié dans Le royaume des voleurs et dans Film noir à Odessa. Avec impatience et, disons le tout de suite, avec un énorme plaisir. Tous les ingrédients qui ont fait que les deux premiers tomes étaient très réussis sont à nouveau présents : la Russie des années trente, la peur de dire ou de faire quoi que ce soit qui déplaise au régime en place, et même en ne faisant rien, on peut se retrouver enfermé, déporté ou tué par simple délation d'un envieux. Certains sont particulièrement adroits à cette pratique qui les fait avancer dans la hiérarchie, mais avec Staline à la tête du pays, imprévisible et paranoïaque, ils peuvent chuter plus vite qu'ils ne sont montés, d'autres envieux les ayant dénoncés... la roue tourne, un mouvement perpétuel horrible, pour un poste plus prestigieux, un appartement plus grand, ... : "Comme pour confirmer les soupçons de Korolev au sujet du concierge, une des portes était scellée par des cachets de cire rouge et de la ficelle. Korolev s'en approcha pour regarder de plus près le tampon qui avait servi à apposer les scellés. "Par ordre du ministère de la Sécurité d'État." Il soupira. Encore une arrestation. Les locataires emmenés dans un fourgon noir, sans aucun doute, et l'appartement condamné jusqu'à ce que les tchékistes aient fini de chercher des preuves." (p.41)
Voilà donc Alexeï Korolev en pleine guerre des services et même guerre des chefs au sein du NKVD : "Korolev avait renoncé à essayer de comprendre le mode de fonctionnement du NKVD. Apparemment, personne ne faisait confiance à personne. Comme dans le reste de la population, d'ailleurs." (p.197). Mis sur la touche par le colonel Zaïtsev, il est recruté (et obligé de collaborer) par le colonel Rodinov, et il sait qu'en cas d'échec, il saute, lui et ses collègues ainsi que tous ses proches. Néanmoins, Korolev sait trouver une aide précieuse avec Slivka la lieutenante efficace qui prend bien sa place dans cette histoire, du réconfort -mais toujours pas plus si affinités, ah la la ces hommes ! qui n'osent pas !- avec Valentina sa colocataire (en Russie à cette époque, il est courant de partager un appartement à plusieurs familles : Valentina occupe une chambre avec sa fille Natacha, Korolev l'autre et la cuisine est pièce commune). Korolev, comme dans les épisodes précédents aura également recours à l'aide de Kolya, le roi des voleurs, quoique là, on est plus dans de l'entraide.
Le suspense est habilement maintenu tant pour l'enquête pour meurtres que pour la disparition de Youri ou que pour les craintes de Korolev de ne pas pouvoir ce sortir de ce sac de nœuds. Les personnages prennent de l'épaisseur, Korolev, bien sûr, mais aussi Slivka et surtout le contexte est toujours aussi favorable à une tension permanente, une angoisse palpable dans tous les faits et gestes de tous les intervenants qu'ils soient haut placés ou non. Chaque mot, chaque geste sont mesurés, pesés et gare aux langues qui fourchent si de grandes oreilles traînent dans les parages !
William Ryan place son roman au tout début des recherches sur le cerveau faites par les Russes pour "effacer tous les préjugés contre-révolutionnaires dans les cerveaux des adversaires de l'État pour les remplacer par des idées prosoviétiques [...] pour tenter de purifier les esprits des cobayes." (p.285). Ça fait froid dans le dos, et même si toute une partie du livre concernant les recherches sur le contrôle de la pensée est fictive, William Ryan précise dans un court dossier-postface que les chercheurs russes avaient entamé des séries d'expériences sur des enfants sur leurs réflexes conditionnés.
Encore une fois, le contexte de ce roman policier est formidable, travaillé, passionnant et effrayant, comme l'est d'ailleurs l'ensemble de roman. Toute comparaison gardée, on est assez proche des polars nordiques, tels Mankell ou Indridason s'intéressant au contexte social, politique, historique ou géopolitique. Proche également d'une autre série que j'aime beaucoup qui se passe dans l'Allemagne des mêmes années, un tout petit peu plus tôt, écrite par Volker Kutscher (voir l'index sur le blog) avec l'inspecteur Gereon Rath.
Excellente série donc que vous pouvez bien sûr prendre en cours si vous n'avez pas le courage de commencer par le premier tome, mais franchement, faites-moi confiance, commencez au début dès maintenant, il n'y a que trois tomes. Vivement la suite !
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