"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La phrase très succincte qui tient lieu de biographie en quatrième de couverture évoque un auteur « sulfureux », j'ai lu ailleurs « non-conformiste » quelque part ailleurs, voilà qui ne manque d'attirer mon attention, la vôtre peut-être aussi. Ici un interview de l'auteur par les Inrockuptibles, qui permet de comprendre que visiblement ces termes quelque peu langue de bois signifient tout simplement qu'il est connu pour être un opposant au gouvernement. le mouvement prosoviétique Going Together a organisé nombres d'actions contre lui, autodafés et procès, accusant l'écrivain de pornographie (pour autant que je puisse en juger, il y a effectivement des passages crus et explicites mais ils restent épisodiques). En 2014, il a d'ailleurs désavoué la politique russe en Crimée.
Le texte a été traduit par Bernard Kreise, dont je vous transmets un article ici, où le traducteur évoque sa perception de Sorokine. Découvrir et lire les articles de Passage A l'Est, merci à elle, m'a fait prendre conscience de l'importance du rôle du traducteur, alors qu'ils sont les mieux placés pour parler de l'oeuvre, voilà pourquoi je me décide à en parler. En cherchant à en savoir plus sur Vladimir Sorokine, j'ai découvert qu'il s'agit en fait d'une trilogie, les autres tomes s'intitulent La voie de Bro et 23 000. Vous l'aurez deviné, ce premier tome se lit indépendamment des deux autres. Cette chronique étant pour moi l'occasion de me rafraichir la mémoire (….), je me suis replongée donc dans le roman avec plaisir.
Ce livre est composé de quatre parties, de longeurs inégales, et de nature différente, narration à la troisième ou la première personne, récits, l'auteur russe casse les conventions et le rythme du roman traditionnel. Dès le début, j'ai été décontenancée par ce procédé, briser la poitrine d'hommes et de femmes à coup de marteaux glacés, d'accord, mais dans quel but. Je me suis longtemps demandée vers quel but voulait nous mener Sorokine. J'ai d'abord penché pour le roman policier, bien que le titre ne soit pas classé dans la collection idoine de la maison d'édition. Ou pour le roman ésotérique, il y a quelques passages qui amènent à se poser la question. Lorsqu'on se rend compte que l'homme, qui se fait charcuter le poitrail, portait une inscription sur son t-shirt http://www.FUCK.RU, on commence à y voir un peu plus clair. le mélange des genres est audacieux, il n'y a pas de doutes.
Doucement mais surement, sans vraiment jamais la nommer, après tout nous sommes en plein dedans, la censure d'une force sectaire autocratique s'impose. Ce n'est ni la guépéou, ni le kgb, mais la messe est dite à travers le lavage de cerveau soigneusement effectué sur Larine, influençable et malléable au possible. Critique des sectes. Qui forcément peut être appliqué plus largement au régime ambiant, et lorsqu'on se penche une minute sur le passif de Sorokine, les choses deviennent plus claires: critique de la dictature qui n'a d'autre moteur que de courber l'échine des rebelles, inoffensifs ou plus belliqueux, par différents moyens, et en l'occurrence ici une fraternité factice, une solidarité feinte, entrainant dépendance et perte d'autonomie. On remodèle l'identité en changeant les noms. Mais ne peut-on pas voir autre chose danse cette secte, un mouvement qui pousse pour un renouvellement russe? Je n'en sais fichtrement rien. Ou peut-être, ces deux mouvements en même temps, voilà un roman qui n'a de cesse de nous interroger, de m'interroger.
Beaucoup d'humour noir teinte ce roman, qui pourtant se base sur un réalisme tout aussi sombre, glauque et tragique en un sens et dénonce cette situation qui est tout sauf amusante. Les personnages dans la lignée de beaucoup d'autres personnages de la littérature russe, n'ont rien d'héroïque ou même de marquant, bien au contraire, ils sont enfoncés dans une lucidité amère et destructrice. Les tentatives de rébellion font sourire certes. Mais les hommes se perdent quelque part entre antisémitisme primaire, nationalise frôlant le social- et l'obéissance au régime. Allégorie du totalitarisme, celui qui brise la poitrine des gens, torture pour soumettre et aliéner le citoyen récalcitrant.
C'est une langue crue, dure, sans filtre, qui me fait penser à bien des égards à celle de Zakhar Prilepine, qui reflète une réalité qui est tout sauf idyllique, où alcool, proxénétisme, prostitution, drogue, flagornerie enveloppent les êtres dans un quotidien sans fard et sans lumière, ou tout se vend et tout s'achète, moyennant quelques liasses de dollars ou de roubles, peu importe. L'auteur ne nous donne aucun permis d'espoir, la réalité est brute, il faut l'accepter. Car les espoirs de fraternité et de famille, vitrine d'un lavage de cerveau, ne sont laissés et entretenus que par cette secte qui s'acharne à briser les gens.
C'est une langue crue, dure, sans filtre, qui me fait penser à bien des égards à celle de Zakhar Prilepine, qui reflète une réalité qui est tout sauf idyllique, où alcool, proxénétisme, prostitution, drogue, flagornerie enveloppent les êtres dans un quotidien sans fard et sans lumière, ou tout se vend et tout s'achète, moyennant quelques liasses de dollars ou de roubles, peu importe. L'auteur ne nous donne aucun permis d'espoir, la réalité est brute, il faut l'accepter. Car les espoirs de fraternité et de famille, vitrine d'un lavage de cerveau, ne sont laissés et entretenus que par cette secte qui s'acharne à briser les gens.
Ce roman m'a vraiment décontenancée, me laissant perplexe devant la signification et son unité profonde: les quatre parties sont dissemblables et amènent plus de questions que de réponse. Qu'est-ce que cette glace, est-ce allégorique? Je suis donc allée voir ce que l'on en disait ailleurs. L'auteur aurait été suspecté de nazisme, rien que cela. Dénonciation du totalitarisme, mise à mal d'une société en manque de rêves, je ne suis pas arrivée à trouver une réponse qui me satisfasse pleinement, si toutefois elle existe. Reflet du chaos ambiant, voila une hypothèse qui me plaît. Quoi qu'il en soit, il faudrait surement lire la suite de la trilogie pour mieux cerner les intentions de l'auteur, ce qui n'est pas au programme de mes réjouissances immédiates. Peut-être l'année prochaine.
Je n'avais pas pris un tel coup de poing (littéraire) dans la figure depuis la lecture du "Feu follet" de Drieu La Rochelle : imaginez donc un peu du Tolstoï ou du Tourgueniev (dans l'approche naturaliste) qui vire d'un coup d'un seul, suite à une rencontre avec un loup, à du Tarentino ou plutôt aux frères Coen dans Fargo !
Découvrez cet écrivain absolument génial sans attendre !!!
Ici aussi, grosse surprise: j'ai adoré l'histoire, le style, l'intrigue. Un bel auteur à lire sans tarder.
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