"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Derrière ce curieux mot, comme l’onomatopée d’un bruit de moteur, ou bien un être plutôt vibrion, ou encore autre chose, allez savoir ! se cachent des subtilités de langue. Il y a du Rouzeau là-dessous. Et zou ! a-t-on envie de lancer à la cantonade avant d’entamer cette lecture vrouziolante.
Qu’on ne s’y trompe pas, Valérie Rouzeau malaxe, triture baratte la langue et en fait son beurre pour des tartines riches en gout. A défaut de savoir faire autre chose, la poète est experte en jonglerie de mots.
« Bonne qu’à ça ou rien
Je ne sais pas nager pas danser pas conduire
De voiture même petite
Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser
Je ne sais pas non plus manger ni cuisiner
(Vais me faire cuire un œuf)
Quant à boire c’est déboires
Mourir impossible présentement »
Chahutée, dépourvue de ponctuation mais pleine d’ellipses, sa poésie de plein vent nous emporte et nous ravit.
On y lit une poésie du quotidien, de l’ordinaire qui se conjugue avec une certaine absurdité qui fait sonner les mots, leur donne de l’air pour qu’ils respirent. Plein vent je vous dit !
« Ce gros poisson cette émotion
Glisse glisse s’en va s’enfuit
Effroi beffroi en caboche vide
Soudain on se sent cloche
Des guerres grondes l’eau est sourde. »
Parmi les anecdotes de la vie telle quelle va, se glisse aussi le mal être, comme une faille entrouverte
« Du vent me danse la tête
Je do do dodeline
Traverse une rue un fleuve
Une mauvaise passe une crise… »
Le quotidien qu’elle décrit peut être triste, nostalgique mais elle sait rebondir et nous offrir des instantanés de joie pure. Les portraits sont nombreux, ceux d’anonymes croisées dans la rue, le métro ou dans une épicerie comme ce garçon qui ne peut s’offrir cette mangue qui lui rappelle le pays d’où il vient. Il y a aussi cette clocharde qu’on découvre sans que le mot soit prononcé.
« Elle titube elle s’oublie
Empuantie de chiasse crasse
Parmi du monde pressé »
Valérie Rouzeau aime jouer avec les mots, les allitérations et c’est jubilatoire.
« La carcasse rosserie la carrosse carrosserie »
Qu’elle parle d’elle ou bien des autres, c’est toujours une poésie qui tonne, détonne et qui sonne juste et cette poésie qui a du souffle nous emporte.
Dans ce recueil, Valérie Rouzeau emploie une forme traditionnelle, le sonnet, pour délivrer ses petits riens contemporains du quotidien en vers libres ; un peu comme si elle nous partageait des polaroïds condensant des instantanés vécus, éprouvés, souvent intimes.
Ces petits poèmes correspondent en effet à de brèves scènes prosaïques et poétiques à la fois dont toute ponctuation est absente : ainsi, le seul souffle de la voix s’impose et s’empare du rythme pour lire chacun de ses poèmes. Les rimes intérieures ajoutées aux rimes aléatoires posées en fin de vers, assorties d’allitérations et d’assonances travaillées intensément sur chaque petit morceau proposé, confèrent à l’ensemble une grande musicalité, comme par exemple ces vers : « Aster astérisques en quoi vais-je recycler/ Ma personne pas en vélo de course en grande ni petite ourse » dans lesquels symboliquement et par les sonorités répétées, les étoiles de la poète sont retranscrites et oralisées...
Souvent, la poète émet son sentiment sur le temps qui passe, « Epicure les piqûres / Au jour le jour des roses » ; en réactualisant notamment le thème de Ronsard, « Carpe Diem je préfère cap de rime », « Rester dedans à regarder dehors », quand « [son] cœur dans les baskets », la « Cage thorax fracassée dedans tracassée », « Par les fenêtres ne se jette mais projette […] / Dans tous les impossibles des vies des autres ».
Dans Vrouz d'ailleurs, l’écriture est le sujet même quand
« […] c’est parti on trace droit on aligne […] A grands traits de pluie avec ou sans peine […] M’hasard de buse bazar de muses […] / Vive onze heureux avais-je lancé au millésime / Et voici n’empêche déjà le douzième vers / Le trait treize promesse que voilà / D’un quatorzième pour faire bien arrivée » ;
marquant ainsi la forme par le fond de l’écriture simultanée liée au quatorze vers composant un sonnet, car après tout, comme Samuel Beckett, Valérie Rouzeau l’annonce dès l’ouverture de son recueil, elle n’est « Bonne qu’à ça ou rien ».
Une récréation musicale et créative qui fêtent les mots de tous les jours dans un tourbillon de 150 petites scènes esquissées en l'espace de 14 vers.
Réjouissant.
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