"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
50 nouvelles, toutes très courtes, qui redonnent vie aux héros anonymes de la guerre civile espagnole. D'un côté des Pyrénées ou de l'autre, pendant ou après le conflit, Serge Pey rend hommage aux Républicains. Avec beaucoup de poésie et souvent de drôlerie, il dresse le portrait de ces familles - anarchistes, communistes - qui se sont battues avec conviction pour finalement se réfugier en France. C'est l'enfance de l'auteur, c'est l'histoire de deux pays mêlée, c'est Barcelone, c'est Toulouse, c'est Argeles.
Si certains textes m'ont laissé à distance (très peu sur le nombre), d'autres m'ont carrément fait pleurer. L'écriture de Pey est remarquable et ce recueil fort en émotion.
Serge Pey est un poète qui n’entre pas dans les cases de la poésie classique. Adepte de la poésie performance ou poésie action, il déclame ses textes en nomade qui parcoure le monde et tous ces territoires d’où la poésie est absente.
Il faut le voir, l’entendre sur scène ou dans la rue, car sa poésie ne se laisse pas enfermée. Aussi est-il difficile de la découvrir à travers les pages d’un recueil de poésie car il y manquera toujours une dimension et cette exaltation qui lui est propre.
Dans sa préface, André Velter écrit :
« Il y a là, par exercice d’incantations martelées, une pratique du dévoilement, de la déchirure, de la blessure vocalisée, qui accroit infiniment le champ du réel tout en le forçant à trembler sur ses bases. »
Dans Mathématique générale de l’infini, les poèmes se nomment « bâtons », comme le bâton de pluie qui scande le texte, et ils sont numérotés.
« Bâton III
Nous avions oublié
que notre marche
sur cette terre fragile
ne laissait pas d’empreintes. »
Il faut suivre ces bâtons d’écriture qui marquent le monde comme un chemin de croix, qui racontent. L’explication de « la parole des bâtons » se trouve dans la bio de Serge Pey : « Le poète rédige ses textes sur des bâtons avec lesquels il manifeste ses scansions et ses performances, et met en place des installations qu’il nomme pièges à infini »
Dans « La barque de Pierre. Poème pour un pêcheur de Sant Cebrià » Serge Pey évoque sa famille immigrée, il y a l’oncle pêcheur, dont la barque se nommait « Le bel Ange ». Les tantes étaient couturières, cardaient la laine, grillaient les sardines. Et c’est cette famille de gens simples qui accompagne le poète et nourrit son histoire, lui qui toujours s etourne vers les opprimés, les révoltés, les oubliés.
« Je le répète dans mes généalogies
d’oiseaux ivrognes
et d’abeilles vaincues
Parfois les morts se lèvent
et tirent sur le sommeil
avec de vieux fusils
et écrasent toutes les boussoles
pour perdre la direction
des roses et des rosées. »
Dans « poésie et liberté », c’est un dialogue qui s’instaure avec le poète. Il nous donne son sentiment profond sur ce qu’est la poésie, cette poésie qui appartient au monde et qui » doit être faite par tous ». Serge Pey est le chantre d’une poésie populaire, universelle, une poésie liberté dont chacun d’entre nous peut s’emparer. C’est la poésie du réel, débarrassée de ses affèteries et autres colifichets et qui revient à l’origine de la langue.
« La poésie doit rester
sans imagination
Voir n’est pas imaginer
mais trouer le réel
pour voir le mot qu’il nous cache
mais que nous devons inventer. »
Lecture ardue que la lecture de ces 400 pages de poésie-action, et j’ai fragmenté m lecture tout en tentant de remonter à la genèse de l’écriture.
Poète action, poète de la mise en espace de la langue, mais aussi artiste plasticien, Serge Pey est un auteur à découvrir absolument.
Pour un prix modique, la collection poche poésie du Castor Astral permet de découvrir ou redécouvrir les œuvres de poètes, et il serait dommage de s’en priver.
Comme le dit si bien dans la préface le poète Adonis : « La poésie de Serge Pey renouvelle l’écriture du monde. »
Serge Pey se nourrit des poésies traditionnelles des peuple, et ses poèmes se scandent, car l’oralité leur sied merveilleusement. Car la poésie de Serge Pey est cette charnière qui fait jouer l’écriture et l’oralité, une poésie d’action et de performance qui s’accompagne de sons autre que la voix, comme le bâton de pluie qu’il affectionne et qui nous renvoie aux peuples premiers.
Dans « Poèmes pour apprendre à lacer ses souliers », Serge Pey évoque l’enfance avec l’apprentissage du laçage des souliers avant de nous entrainer beaucoup plus loin
« Le jour où nous avons appris
à lacer nos souliers
soudain nous sommes devenus grands
devant le soulier dénoué
qui nous regardait
sur le plancher. »
Il parle de l’écriture et de la création. Qu’est-ce qu’un poème ? Qu’est-ce qu’un poète ?
« La poésie doit être hors sujet
pour être au centre de ce qu’elle dit »
« Le poète est un acteur sans scénario
qui tend un fil invisible justement pour le soleil
pour lui apprendre l’équilibre
avec un simple balai. »
C’est avec des mots simples, des mots de tous les jours que le poète construit une poésie qui bouge, qui « se fait avec les pieds ». Elle n’est pas faite pour rester enfermée dans les livres, mais pour s’envoler, s’émanciper, se partager et être clamée aux vents. C’est une poésie qui bouscule, dérange, gratte, donne à réfléchir et, en sortant de ses murs, nous ouvre les horizons du monde.
« C’est beau une maison sans mur
Les oiseaux apprennent
sur le toit à chanter l’Internationale
dont ils ont oublié les paroles. »
Oui, à défaut d’écouter Serge Pey scander sa poésie, lisons-le et à haute voix, c’est encore mieux.
Le récit qui donne son titre au recueil est celui de la boîte aux lettres. « Avec cette boîte aux lettres, nous avons vraiment un drôle de cimetière. » (p. 20). J’ai appris que cette boîte aux lettres existe, sur la tombe d’Antonio Machado, et que les visiteurs y glissent des courriers et des poèmes pour le poète décédé en 1939. D’autres récits suivent mais ce livre n’est ni vraiment un roman ni un recueil de nouvelles. Ce sont des souvenirs d’une vie rurale, pleine de poésie et très imagée, proche des animaux, de la nature, et au rythme des saisons. Une vie agréable durant la laquelle les enfants s’amusent sainement – pendant que les adultes font de la politique – et apprennent aussi bien à lire et écrire qu’à philosopher et faire de la poésie.
De la porte devenue table, en passant par l’enfance de la maman à l’orphelinat, la boîte aux lettres rouge installée dans le cimetière, l’ancienne porcherie devenue école, la tante borgne surnommée Hirondelle, l’émigré manchot dont l’arrivée coïncide avec l’arrestation de camarades, la grand-mère qui hypnotise la poule avant de la tuer, le clown Molino… « Tuer un manchot n’est pas un grand fait d’armes, mais nous l’avons fait. » (p. 53).
La boîte aux lettres du cimetière, c’est la vie de réfugiés espagnols, une vie simple et honorable, racontée avec affection et humour (les mouches et Moscou, Fidel Castro et Cuba, Mars et Angèle, l’enterrement de Jiri le poète…). « Le socialisme, pensais-je, c’était peut-être des centaines de glaces à la vanille que l’on donnerait aux enfants à la sortie d’un hôpital. » (p. 71).
Une belle découverte qui me donne envie de lire Le trésor de la guerre d’Espagne paru en avril 2011, également aux éditions Zulma car les deux livres ont des personnages en commun.
https://pativore.wordpress.com/2015/05/22/la-boite-aux-lettres-du-cimetiere-de-serge-pey/
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