Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Dire que j'aime retrouver Karl Kane est un euphémisme. Un rien blasé, irréductible, il semble se moquer de tout, ne rien craindre. "Pourvu que ce ne soit pas l'homme au poisson rouge. Je ne suis pas d'humeur à écouter le délire parano d'un solitaire. Je peux le faire quand je veux en me parlant tout seul." (p.137) Et pourtant, son amour pour Naomi, et un humanisme certain bien que caché, le tiennent et lui font accepter des affaires pas toujours rentables.
Cette fois-ci, Sam Millar emmène son héros encore plus loin que dans ses aventures précédentes. Il va devoir regarder en face son enfance et ses traumatismes qu'il n'a confiés à personne. Le tueur qui sévit dans Belfast est son pire ennemi. Je n'en dévoilerai pas plus pour ne rien gâcher du plaisir des futurs lecteurs.
Sam Millar avec beaucoup de noirceur, mais aussi pas mal de légèreté notamment dans le je-m'en-foutisme de façade de Karl, traite de l'enfance maltraitée en Irlande du Nord -thème malheureusement universel-, de la manière dont on peut vivre avec. C'est noir, violent parfois, mais aussi réaliste. Le flegme de Karl apporte une touche d'humour et de légèreté dans une ambiance très sombre. Les romans de Sam Millar sont forts, originaux et ses personnages inoubliables. Au scalpel est dans la droite ligne des précédents, avec un côté fascinant qui fait que je n'ai pu le lâcher qu'à la toute fin. En outre, chaque court chapitre est surmonté d'une citation de divers auteurs ou personnages et je ne résiste pas à citer celle du chapitre 35, attribuée à Mark Twain dans son Carnet 1894 : "De toutes les créatures de Dieu, seul le chat ne peut être asservi par le fouet. Si l'on croisait l'homme et le chat, cela bénéficierait à l'homme mais dégraderait le chat."
Un roman noir , une belle maitrise de l'intrigue...
Troisième tome des aventures du détective privé irlandais qui le plonge cette fois-ci encore dans les bas-fonds de Belfast avec une sortie à Ballymena. Drogue, prostitution, bars louches font le quotidien de Karl qui ne touche qu'aux derniers : sa seule drogue c'est le Hennessy XO, mais en ce domaine, il n'est pas sectaire, il peut alterner avec d'autres boissons alcoolisées. De planques fastidieuses, en découvertes, de coups de bol en travail productif, Karl Kane va se mettre en danger et défricher le travail de la police. Il a l'art de se retrouver dans des situations douteuses, sordides voire dangereuses. Agaçant pour ses adversaires, car il ne lâche rien et il a toujours une vacherie au bord des lèvres, même dans les situations désespérées. Il n'aime pas les policiers qui le lui rendent bien, pensant qu'ils sont -presque- tous corrompus et/ou des brutes basses de plafond. Même à l'enterrement d'un ex-flic, il ne mâche pas ses mots :
"Tu crois pas que la police aurait pu envoyer quelques types pour faire nombre ?
- Il y avait plus de participants à la Cène, mais je suppose que tu vas dire que la bouffe gratuite était une motivation pour cette auguste assemblée." (p.130)
Toujours excellentes ces aventures de Karl Kane narrées par Sam Millar qui a une plume au vitriol et très drôle. Un détachement évident et bienvenu pour décrire des événements glauques, violents mais sans hémoglobine dégoulinante, ce dont je lui sais gré, je ne suis pas adepte des flots sanguins. Un privé classique, qui prend les codes du genre en ajoutant un flegme irlandais à -presque-toute épreuve.
Sam Millar a dix-sept ans lorsqu'il est enfermé dans la prison de Long Kesh, l’enfer pour le militants de l'IRA, torturés, humiliés, battus quotidiennement. Il fait partie des blanket men, ceux qui refusent de porter l'uniforme de l'établissement et de travailler, ce qui leur vaut la haine et les châtiments évoqués. Ils sont nus dans leurs cellules nues elles aussi. Rien, un simple matelas et une couverture pour se couvrir. Huit années de sévices, de violences subies, d'humiliations physiques et verbales. Puis la sortie, et Sam tente sa chance aux États-Unis. Il y sera croupier illégal, puis tentera un gros coup, le cambriolage du dépôt de la Brinks à Rochester. Un gros coup, plus de 7 millions de dollars. Et un autre séjour en prison...
Quel bouquin ! Quelle vie ! Puisque c'est sa vie que Sam Millar raconte, ses huit années de détention en tant que militant de l'IRA, mais aussi la vie à Belfast dans les années 60/70 et la violence omniprésente, la vexations envers les catholiques qui ne peuvent pas prétendre à des emplois en vue. L'humiliation et le pouvoir exacerbé de l'Angleterre dans les rues, et encore davantage dans les murs de Long Kesh. Les matons sadiques qui inventent mille et un moyen de rabaisser les Irlandais emprisonnés, de nier leur condition humaine, de les traiter encore pire que des animaux. "Les cellules étaient désormais privées de tout mobilier en châtiment de notre comportement non civilisé. La peinture d'un blanc écœurant avait été remplacée par un marron encore plus écœurant, qui, malheureusement, n'était pas de la peinture vu que les matons, avec leurs gants de caoutchouc épais -les mêmes que ceux dont ils se servaient pour nous donner notre bouffe- avaient rejeté nos excréments dans les cellules, nous forçant à les étaler sur les murs." (p.96)
C'est glaçant, certains passages m'ont pétrifié. Lorsque l'on croit que le pire est atteint, les matons inventent une torture encore plus redoutable. Mais comment ces hommes ont pu tenir ? Huit ans pour Sam Millar.
J'ai découvert Sam Millar il y a quelques années et approfondi la connaissance de son œuvre plus récemment, et je retrouve dans ce roman autobiographique pas mal de situations décrites par l'auteur dans ses polars, souvent durs. Ce n'est pas l'histoire d'un surhomme, mais celle d'un homme qui ne veut pas plier devant l'injustice, l'autoritarisme, qui ne veut pas renier ses valeurs. C'est une lecture forte, puissante, dérangeante car elle fait frissonner de peur qui même si depuis des années le conflit nord-irlandais semble apaisé montre qu'il est loin d'être fini. Le Sinn Fein est au pouvoir depuis peu, mais a laissé un peu de côté les revendications d'indépendance ou d'unification de l'Irlande. Affaire à suivre.
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