"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Avec ce livre « L’usage du Tao » de Patrice Fava c’est la Chine qui vient à nous ; plus précisément c’est le Tao qui éveille l’Ardèche ou plutôt invite à d’ autres perceptions
Pour les personnes de ma génération, l’évocation de l’Ardèche associée à une quête de spiritualité différente renvoie à une image d’Epinal, le retour à la nature des années 70 qui tourne au vinaigre, cohabitation difficile avec les autochtones, manque de savoir faire, de préparation psychologique à la dureté de la condition rurale…
Ce livre de Patrice Fava ne se situe pas du tout dans ce registre. L’immersion dans l’Ardèche n’est pas vraiment une symphonie pastorale, le tableau n’est pas une jolie aquarelle mais plutôt gravé à la hache, la désertification irréversible, les hameaux fantômes, les maisons en ruine, la vie solitaire des derniers habitants qui prend des accents de survie quand on ne peut compter que sur soi.
Les chapitres impriment un va et vient entre les fondamentaux de la sagesse chinoise, tout particulièrement du Tao, et des évocations de l’Ardèche, lieu de vie de l’auteur, terreau fertile pour une greffe de cette sagesse.
La montagne offre l’environnement le plus propice à l’épanouissement du Tao, évidemment pas celle défigurée par les infrastructures du tourisme et la surfréquentation, celle où le silence a encore une musique, une profondeur. Une relation privilégiée peut s’établir. « Si la méditation peut se pratiquer n’importe où, la montagne a toujours été considérée comme le lieu de prédilection de la quête du Tao et de l’union avec le cosmos. » (p.152)
Cette géographie sauvage, ces conditions de vie exigeantes ont contribué à ce que la spiritualité privilégie des formes plus épurées, éloignées d’ornementations rituelles. Le protestantisme en réaction aux richesses et mode de vie du clergé romain a pu ainsi y trouver une terre d’accueil.
Pour Favra le paysan ardéchois a développé son savoir dans cet isolement et cette austérité sauvage vivifiante comme le paysan chinois en son temps.
La tache suprême de l’artiste est de capter l’invisible, d’exprimer le macrocosme dans le microcosme de l’oeuvre. Ce souffle la peinture chinoise réussit à la capter dans ces paysages et le Tao participe à ce même élan. « voir l’invisible, pénétrer le monde végétal ou humain au-delà de l’apparence » (p. 122) Dialogue vivant : « Il m’est arrivé de voir le paysage que j’avais devant moi se transformer en peinture » (p. 169).
C’est ce regard intérieur que les artistes chinois pratiquent et représentent, sur les statues ces sourires, ces yeux mi-clos n’ont rien de commun avec le sourire de Mona Lisa (p. 179 et 180).
Réduire les déplacements et les communications stériles (p. 194 et 195)
« Vivre privé de conversation est une libération. Il y a de temps en temps, des gens avec qui on peut aimer parler, car les sous-entendus et les raccourcis valent autant que ce qui fait le fond des propos qui s’échangent, mais de manière générale, le dialogue avec la nature est quand même bien supérieur à tout ce qu’on peut imaginer de la communication entre humains. » (p. 196)
« Il y a, de temps en temps, des gens avec qui on peut aimer parler, car les sous-entendus et les raccourcis valent autant que ce qui fait le fond des propos qui s'échangent, mais, de manière générale, le dialogue avec la nature est quand même bien supérieur à tout ce qu'on peut imaginer de la communication entre humains. Les livres remplacent fort bien les conversations, d'autant plus où on peut choisir ses interlocuteurs et, au besoin, les interrompre. » (p.196)
L’auteur ne peut que constater que la société occidentale moderne est engagée dans une fuite matérialiste mortifère mais que le retrait taoiste individuel peut difficilement constituer une réponse collective.
« 0n se demande toujours ce qui va nous permettre de survivre. Il n'y a que des réponses individuelles, extrêmes, comme la mienne. Les taoïstes pratiquent la contestation par le retrait, mais, c'est ce qu'il y a de moins assimilable par une société. » (p.203)
Cependant même en Chine la culture s’éloigne de la spiritualité qui s’exprimait dans les créations (p. 204 et 205).
Face à cette évolution, Patrice Fava, tel Montaigne dans sa tour, reprend son souffle dans les livres, tout particulièrement avec la poésie, dialogue avec ces hautes figures.
« Le taoïsme, qui est une culture savante, s’apprend autant dans les livres que sur le terrain. » (p. 218)
« Cette maison envahie de livres, est à la fois un ermitage, un musée et une communauté savante, en apparence seulement très hétéroclite. Il me suffit de tendre la main vers une étagère pour cueillir le fruit d’une vie de réflexions et passer la journée en compagnie d’un ami qui n’est plus là .
Wang Wei, le poète paysagiste le plus inspiré, qui vivait au VIII siècle, me semble parfois avoir vécu dans cette maison. J’ai sous les yeux les scènes qu’il décrit dans ses poèmes.
La montagne est vide mais on ne voit personne
Mais on entend des voix qui résonnent
Les derniers rayons du couchant dardent à travers les arbres
Dessinant des ombres sur le marbre des mousses
Xang Wei écrit comme il peint. » (p.205 et 206)
André Breton s’insère naturellement dans cet univers poétique en particulier avec Arcane 17 (p.206-207).
Curieusement, Patrice Fava, hyper réceptif au terroir ardéchois, ne mentionne pas l’histoire et ces lieux chargés de symbolisme et d’éveil spirituel. La grotte Chauvet rayonne et offre une ouverture dans le temps et l’invisible. Cet art pariétal indéchiffrable sans doute à jamais mais dont l’ombre du chamanisme danse sur ses parois, une correspondance entre le chamanisme et le taoïsme ...celui-ci a fleuri sur le rhizome du chamanisme. La peinture chinoise naturaliste est peut-être celle qui se rapproche le plus de ces fresques pariétales, pas dans la surface esthétique mais dans la profondeur, la spiritualité, le souffle qui peuvent en être perçus.
Un très beau livre à lire, pas du tout hermétique, sans avoir besoin de se retirer en une vie érémitique
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