Un roman sur une page d’histoire trop souvent méconnue.
Un roman sur une page d’histoire trop souvent méconnue.
Une nouvelle maison d'éditions, Récamier, fait sa première rentrée avec Oscar Lalo, une plume que j'affectionne particulièrement depuis son tout premier roman.
C'est un livre fort, un plaidoyer pour la sauvegarde de notre belle terre, qui dénonce les dérives de notre société. C'est une prise de conscience de notre narrateur, un éveil à son ignorance.
"Le dernier amant" c'est l'homme qui sous le prétexte d'aimer sa femme, l'a brutalisée des années durant, c'est l'Homme qui sous le prétexte d'aimer sa terre mère, lui a pris ses ressources et a détruit son écosystème.
Il prend aujourd'hui conscience du monde qu'il laisse à ses enfants, aux générations à venir qui découvriront un monde que l'on ne connaît pas encore par sa faute.
C'est une double lecture qui nous est proposée sur la violence faite aux femmes mais aussi celle faite à notre planète. C'est fort, puissant. L'écriture est ciselée, poétique et nous met face à nos réalités. Un plaidoyer d'un grand réalisme dont le contenu pourrait se rapprocher de l'essai mais est plus que cela de par sa forme. C'est très réussi et captivant.
On a tellement de signaux que personne n'écoute, on continue à consommer à outrance, victimes du capitalisme, quand comprendrons-nous qu'il faut pouvoir se remettre en question ? Changer nos habitudes et comportements ?
Nos actes, nos actions ont un poids, comme ce que nous mangeons, la vie que l'on mène en virtuel via les réseaux au détriment de l'humain. La liberté n'est-elle pas ailleurs ? que de vouloir toujours accumuler plus de profit, et cultiver la culture de l'ignorance via les réseaux ?
Ça claque, ça secoue, ça fait réfléchir et la forme est très belle. Lisez-en quelques extraits, c'est un récit tellement essentiel, un plume qui marque.
Ma note : 9.5/10
Les jolies phrases
Tes pleurs sont mon alcool. Ils m'enivrent. Verse-m'en encore une larme.
Nous n'avons pas décidé de nous suicider individuellement, mais collectivement. La race humaine est une secte, capable de croire à l'innocence d'un crime en se prosternant devant son investigateur qui n'est autre qu'elle-même. Baîllonnée, réduite à un cri nasal, rendue mutique par sa propre voracité, elle assentit, telle une proie, au présage d'une mort docile.
Des magiciens disent que je me fais du souci pour rien. Que la technologie va me sauver. Et toi dans la foulée. Après t'avoir macroprocessée, il suffirait de te microprocesser. Mon intelligence m'ayant fait défaut, ils viennent d'en créer de l'artificielle. Elle est censée te surveiller au plus près. Pour l'instant, c'est moi qu'elle surveille.
Même la nourriture est dégriffée. Forcément, c'est toi qui paies ! Je fais comme si tes réserves étaient pleines. Je me sers de toi comme d'un buffet. Et toi, mère nourricière, tu n'en finis pas de donner tout ce que tu as. Tout. Chaque année, j'exige de plus en plus tôt que tu me donnes ce dont tu n'as déjà plus. L'an dernier, ton buffet était vide le 5 ami. Alors, j'ai tapé dans ton frigo.
Après avoir vidé ton frigo, j'ai puisé dans ton congélo. Je continue à prendre ton hospitalité pour un dû. Je fais fondre toute ta glace, assèche ton puits, brûle ton bois et brade tous tes biens. Jusqu'à ce qu'apparaisse ton corps nu. Sa coquille craquelle de toutes parts. Tes ecchymoses annoncent ma déchéance. Ton sein froissé ne m'accueille plus. Je finirai sans sépulture. Grillé au soleil qui régnera en maître. Exposé au regard du dernier vautour dont je serai le dernier repas. Ce sera lui mon dernier amant. Le vautour qu'avec toi j'ai été.
Les mecs demandent toujours une deuxième chance à la femme qu'ils ont abusée. Ils ne comprennent pas qu'ils en sont à la dixième et que la chance n'est plus de la patrie.
Orphelin de fille, je me suis rapproché de ma vieille mère. Programmée ou pas, son obsolescence se traduit par des histoires qui tiennent chaud. Elle les raconte en boucle. Elle aurait perdu la mémoire. Ça tombe bien : il est hors de question qu'elle se souvienne de sa petite-fille. De toute façon, à l'hôpital, on m'a répondu qu'à cet âge-là on ne réparait plus. J'ai sorti ce qui venait "une mère de rechange ça n'existe pas", "elle n'est pas jetable", "je n'ai plus les moyens d'en acheter une neuve". Depuis que j'ai perdu celle qui me suit, je ne sais plus où aller. Si je perds celle qui me précède, je ne saurai plus d'où je viens. Si tu m'abandonnes à ton tour, je ne saurai plus où je suis. Jure-moi que tu n'es pas à l'origine du démantélement des femmes de ma vie.
https://nathavh49.blogspot.com/2023/09/le-dernier-amant-oscar-lalo.html
Lorsque cet homme s’adresse à sa femme pour avouer qu’il l’a malmenée, violée, humiliée, lorsqu‘il parle de son fils révolté en l’appelant le petit prophète et lorsqu’il s’accuse de la mort de sa fille malade, rien n’est vraiment ce que laissent penser ses phrases.
Car ce narrateur n’est pas un simple quidam. Il est le symbole de l’Homme dans son ensemble et sa femme n’est autre que la Terre, pillée et bafouée par ceux qui se la sont appropriée.
Avec le fils et la fille de cet Homme destructeur, l’auteur présente les générations à venir comme des contestataires qui se battront pour tenter de sauver leur Planète, mais aussi comme des victimes qui mourront des conséquences de la destruction de leur environnement.
Ce « Monologue avec une terre battue » est un roman très particulier, qui se joue du sens et des mots, usant à foison de figures de style, dans lequel les nombreuses associations d’idées brouillent notre compréhension de la langue pour nous entraîner dans un discours très différent de ce qu’il a l’air.
Le récit de la vie d’une famille ordinaire, se croyant évoluée et riche de ses libertés, devient alors un dramatique aveu de l’impact destructeur de l’Homme sur la Planète.
De métaphores en allégories, Oscar Lalo nous offre, avec ce roman hors normes, une intéressante réflexion métaphysique qui, si elle n’est pas simple d’accès, enrichit indéniablement notre conscience écologique.
Oscar Lalo propose aux nouvelles éditions Recamier une pérégrination poétique libre sur le thème de la Terre et sa souffrance. En effet, elle n’en finit pas de souffrir de notre inconsistance à changer nos comportements pour la préserver.
Et ce composé magnifique de mots dénonce les ressources qui s’épuisent, en toute conscience, suivant notre égoïsme affiché et même revendiqué.
Comparant la Terre à une femme violentée, Oscar Lalo dénonce, fustige, hurle sa rage de constater que l’Homme se conduit aussi mal avec la planète qu’un homme lors d’un féminicide.
Considérée la Terre sans l’affection et le respect auquel ont droit les gens qu’on aime, c’est pour Oscar Lalo se rabaisser à être la main qui cogne, le pied qui frappe et les insultes qui fusent ! Et, comme l’homme violent, plutôt que de laisser à d’autres l’usage de notre univers, l’humanité préfère détruire plutôt que de permettre à quelques-uns de survivre.
Dans ses paragraphes ciselés à l’aune de sa fureur et de son ironie, Oscar Lalo développe une poésie criante de l’amour qu’il porte à notre monde, qu’il désire protéger et continuer à encenser.
Et cette rage devient chant d’amour, envoûtant, pour célébrer avec la beauté de la littérature, notre belle et diverse Terre.
La chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2023/08/15/oscar-lalo-le-dernier-amant/
J’avais déjà entendu parler des Lebensborn, mais à la marge (notamment dans Lignes de faille de Nancy Huston).
D’ailleurs, savez-vous ce que c’est ? Rien d’autre qu’une maternité SS. Elles s’inscrivent dans le programme (créé en 1935) visant à « remplacer la race inférieure par la race supérieure ». Là où les enfants sont normalement conçus avec désir, envie et amour, là ce ne sont rien d’autre que des accouplements (voire des viols) entre « bons SS » et femmes au sang suffisamment pur et au physique bien aryen. En tout il y en aura trente-quatre de par l’Europe, dont neuf en Norvège.
La narratrice est une enfant Lebensborn. Elle revient au gré de ses réflexions, retranscrites par son scribe (elle a tardivement appris à lire et à écrire, elle pour qui l’écrit est « synonyme d’humiliation, de détresse, de noyade »), sur ces trous, ces fantômes qui rodent autour de sa naissance. Les nazis qui notaient tout, ont là bien pris soin d’effacer toutes traces de leurs méfaits (« Le jour de la mort d’Hitler, les SS ont détruit les informations relatives à ma naissance. Cette chorégraphie mort-vie prélude à mon inexistence »). Elle, enfant Lebensborn, pouponnée par le pire des bourreaux, Himmler himself, ne saura jamais qui sont ses parents.
Au-delà de ce statut d’orpheline, ce qui est mis en exergue ici c’est le sort de ces enfants, ces « bébés sales » qui porteront toute leur vie l’infamie de ce firent et furent leurs parents, comme s’ils étaient nés avec une croix gammée sur le front, entre les sourcils (comme le bindi hindou). Ces bébés deviendront des enfants, souvent nommés « les enfants de la honte ». Comment grandir, comment se construire quand personne ne veut d’eux.
Les différents organismes chargés de placer les orphelins à la fin de la guerre ne savent que faire d’eux. Au moment de poser ces propos, elle se penche sur les recherches qui ont pu être faites sur les orphelins de guerre, beaucoup de choses ont été documentées mais tellement peu sur eux. Il y aura bien un procès sur les dignitaires du Lebensborn programm, mais aucun ne sera condamné (à vrai dire ils seront même acquittés !). Ils n’auront même pas droit à un statut de victime.
Voilà pour le fond. Le récit lui prend une forme fragmentaire. Comme le dit la narratrice au début du livre « Peu de lignes par page. Déjà un miracle qu'il y ait ces mots sur ces pages que vous tenez entre vos mains. Vous auriez pu tenir du vide. Mon histoire n'a pas de début. »
C’est tout à la fois puissant, intense et d’une grande sensibilité. Les mots nous frappent en plein cœur sans jamais tomber dans le pathos. Bravo !
Que le thème est parfois difficile.
Mais je retiendrais surtout qu’il aura été instructif !
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