"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Vraiment singulière et déroutante, la prose de cette auteure que je découvre avec ce roman. La narratrice nous fait traverser Paris et ses palais, ses avenues, ses boutiques de luxe et ses Franprix en compagnie d'une peintre, Lucile Franque. De cette peintre et poétesse morte très jeune de la tuberculose, on ne saura rien si ce n'est qu'elle n'a jamais mangé de bananes. Quant à la narratrice, on se demande ce qu'elle a fumé et si elle est particulièrement affamée car on navigue en plein brouillard et on mange beaucoup dans cette épopée sans bras ni jambes puisqu'elle démarre à partir du torse à épiler d'un ministre.
« Alors on s'est élancées dans le fleuve en se tenant bien fort par la main pour passer. Même la tunique noir charbon de Lucile s'estompait et des fleurs qu'elle avait mêlées à ses cheveux noirs, je ne discernais plus que des signes, des pigments roses et rouges étouffés, sous calque. »
Ce ministre qui se fait épiler le torse, ne me demandez pas pourquoi, je n'ai pas tout saisi de cette scène épilatoire un poil trop longue.
La balade se terminera sous les ors de la république, sans tragédie, on se contente de parler bouffe
« Et si on mettait un cheveu, enfin, des cheveux dans la soupe ? a dit quelqu'un.
Des cheveux ?
Oui, si tu ajoutes des cheveux, ça épaissit. Ça prend forcement. »
Mes impressions ?
- Je me suis poilée : si peu !
- J'ai bâillé : beaucoup
- Je n'ai pas tout compris : hélas !
- Je me suis perdue : tout le temps
- J'ai aimé la poésie Pouet Pouet : pas vraiment !
- J'ai souffert pendant la séance d'épilation : pfff ! même pas
Bon, je ne voudrais pas tomber sur le poil de l'auteure, plutôt lui trouver des circonstances atténuantes pour avoir commis un roman sans queue ni tête. Sans doute a-t-elle bénéficié d'une résidence d'écriture dans un salon d'esthétique, ce qui expliquerait son obsession du poil. Et les émanations de cire chaude, à force, ça vous fait prendre les sanisettes pour des tavernes.
« On a continué POUET POUET le boulevard Delessert et au rond-point POUET POUET
On a pris la troisième en imitant le klaxon pour ne pas qu'on nous POUET POUET percute dans le brouillard. »
Et moi je dis POUET POUET passons à autre chose !
Je crois que je suis « mal placée » pour chroniquer « Un hamster à l'école ». Ou trop bien, tout dépend du point de vue. Je vous explique : je n'ai pas fait d'études de sociologie, mais il me semble que, lorsqu'on a le même âge, le même sexe, la même origine géographique, que l'on a fait les mêmes études et passé les mêmes concours pour faire le même boulot… il me semble que l'on risque fort de se trouver deux/trois points en commun, ce qui évidemment est le cas ! Alors, inutile de vous dire que ces petits chapitres en vers libres (rien de tel que cette forme inattendue pour nous faire sortir de notre zone de confort et nous réveiller, nous secouer !) sur l'institution scolaire, qui me renvoient à mon quotidien depuis plus de trente ans maintenant, m'ont ravie! Pas dépaysée mais ravie ! Évidemment, je m'y retrouve complètement et je n'ai pas résisté à cette écriture mordante et offensive, à l'humour pince-sans-rire et incisif de Nathalie Quintane. C'est bien simple, j'ai bassiné tous mes collègues pour qu'ils écoutent ma lecture de tel ou tel passage de son livre : je profitais des longues minutes perdues à la photocopieuse pour en coincer un.e/des (collègue.s) : « Tiens, écoute ça… », tandis que d'autres ont retrouvé des photocopies-tracts dans leurs casiers et pour ceux qui pensaient avoir échappé aux vers quintaniens, ils n'avaient qu'à regarder les murs de la salle des profs, généreusement tapissés d'extraits du livre (à cause de moi, on n'aura peut-être pas notre label « éco-collège » cette année)...
Un délice. Un vrai délice. Les sujets abordés ? Ils sont nombreux ! Par quoi commencer ? Ah si, bien sûr, parlons par exemple des notes qu'il a fallu transformer en compétences - matérialisées par des codes-couleurs (ça allait tout changer…) : « il aura fallu que les mots de/ l'entreprise pénètrent bien profondément/ toute la société pour qu'elle nous les refile/ comme on refile la chtouille. »
D'ambitieux missionnaires se sont courageusement aventurés jusque dans nos bleds de fin fond de campagne pour nous transmettre la bonne parole institutionnelle… Je me souviens de nos incompréhensions (réelles surtout et feintes un peu aussi) au sujet de ces dites compétences (sont-ce « des savoirs identifiés » ou « des savoirs mobilisés » ou les deux à la fois?), des colères qui les accompagnaient et des fous rires aussi avec mon collègue de lettres classiques… Et les sigles, les sigles… une spécialité de l'EN (quoique…) Quand soudain, en réunion, tu ne sais même plus de quoi on parle ! Et avec ces compétences, les bulletins, tels des tableaux de Pollock, devinrent très vite illisibles : « j'y comprenais rien/ c'était écrit tout petit, y avait des couleurs partout/ quatre pages en tout. Il a fallu que je me penche/ sur la question un bon quart d'heure avant de / comprendre, moi qui remplissais des bulletins/ depuis trente ans »
Un autre point : les projets... « Projet de ceci, projet de cela ; j'ai/ jamais vraiment compris ce que ça recoupait sinon/ que quand t'as un projet, tu dois remplir des objectifs/ (c'est comme ça que ça se dit) » (au passage, je me souviens d'une inspection où l'on m'avait interrogée bille en tête sur le « projet académique »… j'avais fini par avouer à mon inspectrice que je ne comprenais pas la question. Je flottais dans un étrange univers kafkaïen - un cauchemar que cette inspection.)
Il y a eu aussi le parachutage du fameux « oral d'Histoire des Arts » (sans prof dédié) : qui faisait quoi ? Tout le monde. Ah oui, tout le monde ? Et le prof de physique, il allait parler de quoi ? Et le prof de maths ? Je me souviens d'un échange fastidieux autour du « nombre d'or » pour nous démontrer qu'on avait bien besoin des maths aussi pour commenter un tableau. Et les discussions interminables autour de cela. Les refus des uns, l'engouement un peu forcé des autres, les modalités de l'examen qu'il fallait aller chercher je ne sais où sur Internet… « du coup, pendant sept ans, on a préparé surtout/ à la tour Eiffel, à la Joconde, et aussi aux affiches de / Norman Rockwell, surtout celle de la petite fille noire/ parce que ça permettait de parler de la/ ségrégation raciale aux États-Unis qui était/ au programme de 3e. Vers la fin, j'ai remarqué/ qu'il y avait de plus en plus de peintres pompiers/ genre les gladiateurs de Jean-Léon Gérôme./ Des peintures vraiment bien peintes./ Ça devait pas être facile d'expliquer aux élèves/ que ces peintures tellement bien peintes/ en fait c'était de la merde. »
Et ces oraux du bac où les gamins, fiers d'eux, balancent à la tête de l'examinateur des noms de figures de style comme s'il s'agissait d'un Sésame ouvre-toi leur permettant d'obtenir un 19/20 haut la main, et ce sans penser une seule seconde qu'ils en oublient de mettre en évidence le sens même du texte : « les candidats te sortaient des noms de figures de style/que j'avais jamais rencontrées personnellement/ comme la polysyndète ou l'homéotéleute/ après ils recopiaient scrupuleusement/ tous les mots qui appartenaient au champ lexical/ (ça veut dire vocabulaire)/ de la navigation ou de la pâtisserie, puis c'était la/ liste de tous les verbes à l'imparfait du subjonctif/ et ainsi de suite ». Voilà comment l'école vide de son sens la notion même de « littérature » en dépiautant le texte à l'infini et en lui faisant dire parfois le contraire même de ce qu'il dit ! Et puis, le bac, pour l'examinateur, ça signifie une semaine loin de chez soi. Le brevet, c'est mieux : « une journée à compter/ des points et demi sur des questions un peu floues/ de compréhension de textes de Le Clézio. » Les « questions un peu floues », ah, ah, c'est exactement ça ! T'es obligé d'admettre toutes les réponses, du coup...
Il faut aussi que je vous parle des « îlots » (non, non, on ne part pas en voyage : il s'agit d'un concept dans l'air du temps qui consiste à regrouper quatre tables, les élèves sont donc face à face, bavardent -forcément- et souvent tournent le dos au tableau) : tiens, je me souviens d'une Principale qui m'avait demandé un jour pourquoi je ne mettais pas mes tables en îlots (les îlots, c'est tendance aussi bien dans les classes que dans les cuisines). Je lui avais répondu que mes élèves étaient là pour travailler, pas pour discuter. Et puis, j'avais fini par lui demander pourquoi elle insistait pour que je change. Sans ironie aucune et avec une franchise désarmante, elle m'avait répondu : « C'est la mode ». Outre les îlots, le prof devait (doit - c'est toujours d'actualité ce truc?) « quasi disparaître/ au moins de leur champ de vision, on leur donne une A4/ avec des phrases toutes prêtes, à compléter, à manipuler, à inventer, à chambouler, et vite vite/ on se carapate derrière notre ordi dont on ne bouge plus », oui, les gamins doivent tout trouver tout seuls. Ca prend du temps (mais paraît-il qu'on en a suffisamment !) Et parfois ils ne trouvent rien, forcément…
Je pense aussi aux interventions des uns, des autres parce que c'est l'école qui doit résoudre tous les problèmes de la société : prévention drogues, problèmes auditifs, réseaux sociaux et cyber harcèlement, éducation à la santé et à la sexualité, lutte contre l'homophobie, initiation à la nutrition, théâtres forum pour l'égalité des sexes, petits-déjeuners allemands, espagnols, anglais… Et les heures de cours qui partent en fumée… ( déjà que quatre heures de français hebdomadaire, c'est un peu juste, hein !)
Et le temps perdu à se connecter à l'ENT (qui bloque), aux codes (qui marchent pas)…
Un livre-critique vivant, vibrant, drôle, désespéré, sensible, touchant qui dénonce, dans une langue-torrent où se mêlent tous les registres de langue, un système scolaire souvent absurde, des réformes dénuées de bons sens qui s'accompagnent d'un verbiage abscons et incompréhensible. Un beau portrait en relief d'une institution en liquidation...
Et puis, au milieu de tout ça, il y a des profs usés, sonnés, désarçonnés, consternés et des élèves qui suivent comme ils peuvent, cahin-caha, s'accrochant aux branches, si les hasards de l'orientation ne les envoient pas valser là où ils n'ont jamais pensé mettre les pieds, des élèves dont l'un d'eux, un jour, à la fin d'un cours, lèvera la main pour demander, tandis que sa voix sera presque recouverte par une horrible sonnerie tonitruante « -Mais Madame, finalement, c'est quand qu'on va profiter de la vie ? »
Magnifique !
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L'esprit Quintane. La manière Quintane. La littérature tel quelle; l'expérimentation comme acte de résistance. Nécessaire.
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