"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Irène de Manuel Vilas, traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon, Éditions du Sous-Sol, 2024 (Masse critique privilégiée Babelio)
Un parcours de femme.
Une histoire de veuvage, de folie et de célébration de l’amour et du sexe…
Un road-movie en voiture avec des escales dans des hôtels haut de gamme…
Des aller-retours entre passé, présent et futur…
À la mort de Marcelo, Irene rassemble ses confortables économies, quitte Madrid et se lance dans un périple en Méditerranée à bord d’une BMW 840 cabriolet. De restaurants en hôtels de luxe, de la Cinecittà à Sète, des décors de Ben-Hur aux cimetières marins, chaque escale convoque son lot de solitude et de rencontres.
Un roman dans lequel j’ai eu beaucoup de mal à entrer. Le personnage fantasque d’Irène, sa manière de dépenser son argent, son goût pour les montres très chères, sa sexualité débridée, son attitude égoïste, sa recherche du plaisir dans les bras d’inconnus… etc., rien de tout cela ne m’a convaincue même si j’ai pu apprécier, ici ou là, une intertextualité et des références récurrentes et intéressantes.
J’avoue même avoir sauté des pages et avoir mis un certain temps à lire ce livre, au point que Babelio m’a rappelé à l’ordre puisque je rends cette chronique avec une dizaine de jours de retard.
Oserais-je avouer que je suis allée directement voir la fin, plus ou moins décidée à abandonner Irène en route ?
Le dénouement, justement, est assez inattendu et, finalement, connaissant la fin, j’ai repris le cours de ma lecture pour voir comment Manuel Vilas allait nous y amener.
Un ressenti assez mitigé, donc.
Un roman qui m’a souvent agacé, décontenancé.
Un parcours de femme fatale auquel j’ai trouvé peu d’intérêt. Trop artificielle.
Une narration parfois inégale. Une impression de tourner en rond, de répéter toujours la même scène.
Une fin un peu plaquée mais fatalement inscrite dans la même boucle.
Un livre en noir et blanc, splendide et crépusculaire.
« Irene », les tragédies et ses méandres implacables.
Une femme vertigineuse entre la fureur de vivre et l’abîme du désespoir.
La lumière transperce ce récit d’amour.
On pressent l’heure de l’éternité.
Un texte essentiel, une référence, un marqueur dans le monde éditorial.
Irene et Marcelo s’aiment. La banalité est le néant. Le lien qui anime ce couple sensuel est la connivence. Une relation intellectuelle, culturelle, innée, conquise et charnelle.
Le langage des corps qui se retournent à contre-sens et réinventent une cartographie de prodigalité.
L’amour comme une éthique à la beauté. Les sentiments dans une spontanéité des compréhensions du monde. La radicalité vertigineuse d’atteindre le point de non retour.
Mais, Marcelo est malade et va mourir. Le glissement vers la finitude. Un lâcher-prise à la tendresse, aux regards épopées. Irene vacille, se retient à la rampe. La prolifération des douleurs viscérales sont une hantise pour Irene. Mais, plus que tout, elle ne veut pas sombrer. Garder la tête haute. S’enrouler dans les fantasmes, les rêves blessés. Théâtrale et divine, elle va différer l’heure du baisser de rideau.
Vivre dans l’excès, dépenser l’argent commun, s’inventer une vie dédiée à Marcelo, mimétisme. La transmutation dans l’architecture corporelle de ses amants. L’élixir dramatique, avant la chute fatale de la falaise.
« Il lui semblait entendre Marce. Tout ce que racontait Julio aurait pu sortir de la bouche de son mari… Concevoir une idée aussi belle que « l’excès d’existence », était davantage une particularité de Marce que de Julio… Dormir ensemble est une lutte à deux contre l’obscurité de l’espèce. »
La fatalité d’un drame qui n’en finit pas. Le voyage comme une étoile de mer sur le front de Marcelo, elle devient transhumance, fuite, folie et mirage.
« Marcelo croit voir le Panthéon avec les yeux d’Irene… Ils se sont dit : « Nous sommes amoureux et, comme par hasard, nous côtoyons une civilisation. »
Les allers et retours, entre l’avant et l’après sont un cercle de feu. C’est ici que tout se joue. Irene est brisée et souveraine, diablesse, et repentante. Le manège de sa vie est semé de clowns tristes.
Les souvenirs sont le triomphe de l’instant, la jouissance, un rite pavlovien qui s’éternise.
Elle se noie dans les expériences et balance comme un chiffon, la dépendance.
Il faut que Marcelo soit présent, sur la plus haute marche des escaliers et approuve ce qu’il voit d’elle, devenue. Les psychologies sans avenir, Irene sombre.
« Le désir fait grandir l’âme et maigrir le corps… Si un être humain désire créer de l’art et de la beauté à partir de la mémoire, qui peut le lui interdire ? Pense Irene. »
Irene est comme la pleine lune qui ne ment pas. La nage à contre-sens dans un lac gelé. L’obsession cardinale d’atteindre le rivage d’une renaissance avec Marcelo.
« Tu étais aussi le printemps. Et un enfant. Et un gentleman. Et un éclair. »
C’est un chef-d’œuvre qui brusque l’entendu. Un livre sur le sacrifice et les mécanismes des résistances face à la mort de l’aimé. Les résiliences dans une marche forcée, un contre la montre urgent. Un portrait de femme comme dirait Duras : « Sublime, forcément sublime. »
L’empreinte de la mémoire en plein ciel, comme la signature d’un cerf-volant marginal et osé. Le paroxysme de l’amour.
« Irene », culte et magistral, enchanté et profond, a reçu le prestigieux prix Nadal du meilleur roman espagnol. Après « Ordesa » et « Alégria », Manuel Vilas fait saillir l’émotion. La littérature spéculative.
Traduit avec talent de l’espagnol par Isabelle Gugnon. Publié par les majeures Éditions du sous-sol.
magnifique! émouvant et sincère m'a captivée
Le récit tire son titre du nom d’une vallée pyrénéenne, Ordesa, que le père du narrateur-auteur aimait beaucoup. Dans 157 courts chapitres, l’auteur évoque dans une succession non chronologique des souvenirs de ses parents. « Le passé ne part jamais, il peut toujours reparaître. » écrit-il. Néo-divorcé, il vient d’emménager dans un appartement neuf. Père de deux jeunes hommes, il fait des va-et- vient entre la façon dont ses parents l’ont aimé et l’éloignement grandissant qu’il constate entre lui et ses fils, il cherche des éléments de compréhension de son présent dans le passé. Il dit à plusieurs reprises son regret d’avoir fait incinérer ses parents : « La forme suprême de vie est le cadavre de la vie. », des parents qui restent une énigme toutefois : « Le plus grand mystère de l’homme est la vie de cet autre homme qui l’a mis au monde. ». Il revisite par l’écriture une parentèle qu’il a abandonnée. Ses parents étaient tous les deux beaux, le père voyageur de commerce a connu des années prospères avant de retomber dans la classe moyenne-basse espagnole et Vilas fait allusion à la corruption des hommes politiques en Espagne. On n’est pas égaux selon les lieux d’où l’on vient déplore-t-il, seuls Barcelone et Madrid ont une universalité, les autres villes et villages n’ont été que des lieux abandonnés, vides. Et il est très fataliste, quand en Espagne on naît pauvre, on le reste pense-t-il.
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