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Au Brésil, à la fin du 19ème siècle, Rubião est un modeste professeur qui tient lieu d’homme de compagnie et de garde-malade au philosophe millionnaire (ou l’inverse) Quincas Borba. A la mort de ce dernier, qui flirtait avec la folie depuis un certain temps (mais n’allez pas le répéter au notaire, cela pourrait remettre en question son testament), Rubião hérite de son immense fortune, à une condition : s’occuper du chien, également dénommé Quincas Borba, du vieil homme.
Voici donc le pauvre (enfin, façon de parler, désormais) Rubião tout ébaubi par ses nouvelles richesses, qui décide de s’installer à Rio. Il en découvre bientôt les fastes, la vie culturelle et sociale, les mondanités. Naïf, le candide ex-professeur se fait rapidement de nouveaux « amis », intéressés par son principal trait de caractère : sa générosité dispendieuse. Rubião se trouve ainsi embarqué dans des affaires commerciales douteuses, endosse les dettes des uns et des autres, prête de l’argent à la première demande, devient mécène d’un projet journalistico-politique fantoche. Mais il n’y voit aucun mal, ne flaire jamais les profiteurs et les escroqueries, ni l’hypocrisie, comprend à peine dans quoi il investit. Il faut dire que notre homme est amoureux : la belle Sofia, épouse de son associé, lui fait tourner la tête, au point qu’il pourrait bien la perdre tout à fait. Parce qu’on se demande quand même si Quincas Borba, en plus de sa fortune et de son chien, ne lui aurait pas aussi légué sa folie (des grandeurs).
« Quincas Borba » est une comédie très fluide, faite de très courts chapitres qui s’enchaînent rapidement, dans laquelle l’auteur s’amuse à interpeller directement le lecteur. Manifestement il prend aussi plaisir à raconter l’histoire de Rubião, mais sans jamais se moquer cruellement de son malheureux héros. Machado de Assis est plutôt du genre à égratigner ou ridiculiser la haute bourgeoisie carioca, sa superficialité et sa tyrannie des apparences et des conventions, plutôt qu’à s’acharner sur un pauvre type tel Rubião, dépassé par son destin. Et ce qui rend cette critique sociale encore plus savoureuse, c’est que l’auteur y intègre le thème de la folie et du fantasme qui se jouent de la réalité. Un bijou d’ironie et de finesse d’analyse.
En cette fin de 19ème siècle, le docteur Simon Bacamarte revient dans sa ville natale d’Itaguaï, à quelques encablures de Rio de Janeiro. Fort des nouvelles connaissances qu’il a acquises en Europe et de son diplôme d’aliéniste, il porte désormais un regard aigu et assuré sur les choses de l’esprit humain, en particulier sur la folie : il y a la folie et il y a la normalité. Bardé de son savoir, il convainc les autorités locales de construire un asile, la Maison Verte, où seraient internés et soignés les aliénés de la ville. Un projet jugé louable, responsable et progressiste, donc aussitôt accepté. Et aussitôt pris en charge, les malades mentaux et autres coupables de comportements anormaux. Premier accroc dans la belle théorie : qu’est-ce donc que la normalité ? Manifestement, aux yeux du bon docteur, beaucoup d’habitants de la ville en manquent, et sont donc internés illico. Y compris son épouse, qui développe une « passion anormale » pour le luxe. A ce rythme, c’est plus de la moitié de la population qui séjourne gracieusement à la Maison Verte. D’où le deuxième couac : si les fous sont majoritaires, c’est que la folie est normale, et qu’il faut donc enfermer les gens raisonnables. A force de telles aberrations, troisième hic : la population se révolte et marche sur la Maison Verte comme sur la Bastille, prend le pouvoir de force, ce qui est complètement fou, de sorte qu’elle doit être internée.
D’un retournement à l’autre, le docteur Bacamarte réalise que sa théorie ne se vérifie pas en pratique, que la folie n’est pas unique mais multiple, qu’on peut être fou et normal, en même temps ou pas, et dans une infinité de proportions. Il en arrive à la seule conclusion sensée de son expérience : peut-être est-ce lui qui est fou…
Conte philosophique jubilatoire, écrit à une époque où la science prend le pas sur la religion, « L’aliéniste » pose la question de la définition de la folie mais aussi celle de l’usage des hôpitaux et autres expérimentations psychiatriques lorsqu’ils tombent aux mains de personnes moins préoccupées de santé mentale que de leurs propres intérêts et ambitions de pouvoir, politique ou économique… Le bien, le mal, la folie, la raison, l’arbitraire et le libre arbitre, des questions vertigineuses ramassées dans ce tout petit roman ironique et brillant.
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