"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
On croit manquer de temps. On s’agite, on travaille, on fait du sport, on prend des trains. Lauren Bastide s’efforce de trouver une allure moins vive.
“En écrivant sur l’escargot, je voulais écrire sur la lenteur et l’étrangeté, sur la solitude et la mort, sur l’hibernation et l’estivation.” Comme les autres livres de la collection Bestial, l’animal est prétexte à livrer une pensée, un cheminement. “Je voulais écrire un livre triste, être seule et avoir une coquille. Je voulais laisser une coulée d’argent derrière moi.” Une “traînée”.
Mais Lauren ne sait pas trop comment avancer dans ce projet d’écriture. Au milieu de faits scientifiques sur cette bestiole étonnante, hermaphrodite, millénaire, à la bave cicatrisante - “aussitôt traumatisé, aussitôt réparé” -, elle glisse quelques anecdotes, quelques souvenirs, quelques blessures, dans de courts paragraphes qui commencent par “je crois que” et qui se terminent par “à vérifier”.
Peu à peu, les synchronicités la submergent. Un bar qui s’appelle “L’Escargot”, la structure des arrondissements de Paris, les comptines de ses enfants, les fautes de frappe dans ses textes, le menu dans un bistrot, les escaliers en colimaçon… Elle tourne en boucle. En spirale, comme la coquille d’un escargot.
Comme il est difficile de ralentir. De se recroqueviller. D’accepter l’immobilisme. On a beaucoup à apprendre de ce limaçon qui symbolise non pas la lenteur, mais “l’immensité et l’infini, le dépassement de toutes les binarités dans lesquelles s’empêtrent les humains.” Célébrons cet animal qui sait réparer les corps, guérir les traumatismes et résister à l’assèchement de la terre. Pour l’instant.
Le premier roman de Lauren Bastide, sa première fiction après l’écriture de nombreux essais.
On y retrouve la détermination féministe et écologiste de cette journaliste qui consacre une partie de son temps à l’écriture.
Une journée dans la vie de l’héroïne, une journée, la dernière, celle de la fin du monde. Le 22 juin 2060.
Dans cette dystopie, on trouve soigneusement imbriquées les notions de politique, de littérature, de maternité et d’amour.
Un texte court (96 pages) et dense sur une vision poignante de l’avenir de notre monde.
J’ai aimé cette écriture mélancolique pour parler de sujets puissants et contemporains. Un texte effrayant par sa justesse.
Un essentiel à toute bibliothèque féministe. Mais aussi et surtout un essentiel à lire si on ne se sent pas "au clair" avec le féminisme actuel, si on a l'impression que "vraiment, elles exagèrent", si on veut se remettre en question également.
Lauren Bastide est claire, précise, apporte des sources. Sa plume est plaisante, son intelligence profonde.
Un coup de cœur !
Une des questions rituelles qui ponctue (et termine en fait) chacune des interviews de ces 25 artistes c’est « qu’est-ce que ça évoque pour vous la poudre ? » ; alors en toute modestie et pour décrire ce livre magnifique je vais moi aussi m’y plier !
La poudre c’est :
« Ni poudre d’escampette ni poudre aux yeux »
Lorsque je me suis vu proposer le livre « la poudre » dan le cadre d’une masse critique privilégiée de Babelio, je ne connaissais Lauren Bastide que pas ses articles parus dans ELLE il y a déjà quelque temps et étais tombée par hasard un jour sur le podcast avec Pénélope Bagieu, mais sa démarche et le panel d’interviewées m’ont d’emblée intéressée. Je m’apprêtais à faire comme d’habitude avec un recueil d’interviews et à picorer ça et là au gré de l’actualité littéraire et musicale du moment et puis je me suis rendue compte que ce livre qui reprenait quatre ans d’émissions était construit de façon chronologique dans l’ordre de diffusion et cet ordre lui-même faisait sens car on y trouvait une sorte de « radioscopie » de la société juste après l’élection de Trump et la marche du 8 mars en 2016 et également après le séisme « Me Too »…
Alors je les ai lus dans l’ordre et c’est passionnant. On voit une sorte de théorie féministe se dessiner, s’affirmer et se nuancer. Même si je ne suis pas forcément adepte d’une autre question rituelle un peu provocante « comment vous entendez-vous avec votre utérus ? » et penche plus vers la réinterprétation de l’aphorisme beauvoirien « êtes-vous née femme ou l’êtes -vous devenue » ? les réponses données sont toutes éclairantes d’autant que Lauren Bastide choisit des femmes d’origines, d’âge et d’horizons divers et même un homme le philosophe transgenre Paul B. Preciado.
« La poudre de riz, l’émanation d’une féminité »
Même s’il y a des questions qui reviennent régulièrement, chaque entretien est personnalisé et permet vraiment de découvrir ou redécouvrir les artistes. La journaliste connait vraiment son sujet et pose des questions fouillées à chacune sur leurs œuvres et leurs parcours. On se croirait un peu comme dans le secret d’un boudoir. Si le propos est résolument féministe, il n’exclut nullement le féminin et le revendique même comme le souligne le rosé poudré de la couverture … Lauren Bastide sait amener la confidence … Certaines évocations d’enfance ou d’hommage à leur famille sont très émouvants et permettent de comprendre la personnalité et les centres d’intérêt de certaines. Je pense ainsi au fabuleux portrait que fait Leila Slimani de sa mère médecin et cela éclaire sous un jour nouveau l’album de Bd qu’elle vient de scénariser pour Clément Oubrerie : « A mains nues » ou encore à la description par Hollysiz de la difficulté d’être « fille » et « sœur de ». Tous ces propos donnent une furieuse envie de se (re)plonger dans leurs œuvres ou d’écouter leurs morceaux ; elles font part de leurs goûts et de leurs influences aussi et cela suscite de jolies découvertes …
« La poudre à canon, faire parler la poudre »
Mais « la Poudre », c’est aussi et surtout un débat, des réflexions qui trouvent un écho en nous et cherchent à faire bouger les choses. Lauren Bastide raconte qu’elle a été très marquée par l’installation de Judy Chicago « The Dinner Party » où l’on retrouve sur une immense table 39 personnalités féminines marquantes de l’histoire (y compris des déesses antiques) qui ont été invisibilisées ; le podcast et le livre c’est un peu une recomposition de cette tablée imaginaire qui vise à donner la parole à celles qui ne l’avaient pas dans une société patriarcale. Nous sommes comme invitées à ce dîner : Lauren Bastide tutoie ses invitées et les interviews se répondent l’un à l’autre jusque dans les références (Monique Wittig, Annie Ernaux, Maggie Nelson…) instaurant un véritable dialogue et une continuité ; parfois la journaliste se fait même gentiment remettre à sa place par l’une des artistes (Juliette Armanet ou encore Alice Zeniter ) qui trouve trop simpliste sa définition du féminisme ou réductrice la question tirée de Simone de Beauvoir… Rien n’est finalement doctrinaire : certaines comme Chris ont véritablement pensé leur féminisme, d’autres sont plus instinctives mais tout aussi pertinentes (ah la diatribe de Pénélope Bagieu sur le girly !) et souvent on en arrive à de véritables considérations sociétales. J’ai ainsi adoré l’ode aux bobos de Leila Slimani et apprécié le questionnement de Paul B Preciado sur « l’Histoire de la sexualité » de Foucaut à l’aune du genre et de la décolonisation ainsi que les parallèles qu’il dresse entre « Surveiller et punir » et la situation en temps de Covid. J’ai découvert avec grand intérêt aussi l’autrice groenlandaise d’« Homo Sapienne » et Inna Modja que je ne connaissais pas. C’est donc un livre extrêmement stimulant.
Pour terminer cette chronique, j’emprunterai sa très jolie définition de « la Poudre » à la rabbine Delphine Horvilleur : « ça évoque quelque chose de léger, qui est transparent et qui fait toute la différence. Toutes ces petites choses dans l’existence que peut-être on en voit pas, qui virevoltent autour de nou , mais qui en réalité, quand elles se posent quelque part font réfléchir la lumière différemment ». C’est un livre a priori anecdotique et qui pourtant fait réfléchir. Dans sa préface, Lauren Bastide déclare que son « grand banquet aura lieu en trois services » : le second tome sera consacré aux femmes de cinéma et le troisième aux femmes politiques et militantes… je m’en délecterai, c’est certain !
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