"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L’enseignement de notre histoire, celle de l’adaptation des anciennes civilisations face aux changements climatiques, peut-elle être un enseignement pour les défis climatiques actuels, et dans quelle mesure le climat peut-il influer sur nos sociétés ? Ce sont les questions posées par Kyle Harper dans cette leçon inaugurale prononcée au Collège de France le jeudi 1er février 2024.
Kyle Harper est professeur d'histoire à l'Université de l'Oklahoma, titulaire d'un doctorat à l'Université Harvard. Il a été invité à occuper la chaire annuelle Avenir Commun Durable du Collège de France pour l’année 2023-2024. La « leçon inaugurale » est, pour le Collège de France, un discours prononcé le professeur de façon a introduire ses travaux en cours. Cette leçon, éditée dans cet essai, a été suivie par de nombreuses interventions qui approfondissent le thème, et que l’on peut retrouver sur le podcast du Collège de France.
L’historien nous explique que l’étude de l’histoire du climat est interdisciplinaire, se situant au coeur des sciences humaines, biologiques et environnementales. Tout d’abord la paléoclimatologie, qui est une science en pleine expansion, grâce aux nouveaux procédés de recherche. Alors que les historiens cherchent les traces du passé dans les archives écrites, le paléoclimatologue recherche, à la manière d’un archéologue, sans le sol.
« Aujourd’hui nous pouvons lire l’histoire dans la glace, le bois, la pierre et les couches de sédiments. »
Il faut associer à la paléoclimatologie l’histoire des sociétés qui lui est intimement liée.
Alors que les rapports du GIEC étudient des données empiriques, Kyle Harper nous montre à la lumière des sciences humaines que c’est la première fois que le changement de climat est liée aux action d’une seule espèce, c’est le « changement climatique anthropique ». Cela arrive de façon si brutale qu’un parallèle avec notre passé est difficile. Néanmoins, cela peut nous aider à prendre les bonnes décisions., et c’est cette menace qui rend urgente l’étude du passé.
A l’appui de ces sciences, on ne peut que constater la brusque accélération du réchauffement climatique, et s’inquiéter de constater que par le passé, la variation d’un ou deux degrés ont suffi à être la source d’une « instabilité dangereuse ». Le climat et les réactions sociales sont liés par un lien de cause à effet.
Mais qu’en est-il du déterminisme ? Cette donnée humaine que l’on ne peut ni quantifier ni prévoir ?
« Le déterminisme et la liberté sont le yin et le yang de l’histoire environnementale »
Kyle Harper étudie dans notre passé la résilience, l’adaptation mais surtout l’effondrement. Celui de l’empire romain est son exemple de prédilection car il a fait de nombreuses recherches à ce sujet, notamment un livre: « Comment l'Empire romain s'est effondré ». Il étudie les dynamiques à l’oeuvre dans cette chute, qui est née dans un terreau qui ressemble beaucoup à l’actualité d’aujourd’hui dans de nombreux pays du monde avec un effet domino : une crise climatique entrainant une famine du fait de mauvaises récoltes, la chute du système financier, des dirigeant contestés et rivaux entrainant des guerres, et pour terminer une une catastrophe sanitaire. Il reste encore beaucoup à apprendre, mais ils apparaît, à la lumière de la récente épidémie de COVID 19 que les changements climatiques et les épidémies sont liés.
L’étude de l’histoire du climat et de la société ne vont pas changer l’avenir, mais on ne peut que constater avec espoir les effets positifs dans notre histoire de la coopération entre les êtres vivants, la capacité d’adaptation, la persévérance et d’autres modes de vie alternatifs.
Contrairement à nos ancêtres qui ont subi les aléas climatiques, nous sommes les acteurs de ces changements, et ce sont nos choix qui ont entrainé la catastrophe actuelle, tout comme ce sont nos choix qui peuvent contrôler cette instabilité funeste.
« Notre destin et celui de la planète ont toujours été indissociables et le resteront à jamais ».
Cette leçon passionnante éclaire de façon magistrale en quoi l’étude de notre passé peut éclairer notre présent, et pourquoi pas notre futur. Nous avons beaucoup à apprendre de notre passé, et l’histoire devrait être notre boussole dans le monde tourmenté d’aujourd’hui: « L’histoire aiguise notre vue ».
M. Kyle Harper nous livre dans « Comment l’Empire romain s’est effondré » un point de vue encore trop peu connu et pourtant très actuel : à savoir celui de la prise en compte du rôle du climat et des maladies dans la chute de l’Empire.
En effet, les changements climatiques et les maladies ont joué un rôle crucial dans l'effondrement de l'Empire romain (bien que ce ne soient pas les seules causes). M. Harper nous apprend que les historiens estiment que l'Empire romain a subi d’importantes modifications climatiques, notamment avec ce qu’il nomme l’optimum climatique romain, qui correspond à l’apogée de l’Empire, et qui se caractérise par des conditions très favorables à des hauts niveaux de production agricole. Lorsqu’il prend fin, les changements climatiques entraînent des récoltes moins abondantes, augmentant ainsi (entre autres) la famine et la malnutrition. Ce qui engendre ainsi d’importantes problématiques sociales et économiques, qui impactent à leur tour la gestion de l’Empire. Et, accessoirement, cela rend possiblement les populations plus vulnérables aux maladies. L'Empire romain a connu plusieurs épidémies majeures qui ont eu des impacts dévastateurs. Par exemple, la peste antonine (165-180 après J.-C.) et la peste de Cyprien (249-262 après J.-C.) ont tué des millions de personnes, ce qui a gravement affaibli l'empire. M. Harper nous explique bien comment l'expansion de l'Empire a facilité la propagation de ces nouvelles maladies, les Romains et leurs routes commerciales favorisant évidemment les contacts entre de nouvelles populations et de nouveaux environnements.
Cela dit, il est nécessaire de ne pas être réducteur (et M. Harper ne l’est pas) et de comprendre à quel point ces facteurs sont complexes et interconnectés. Les changements climatiques peuvent avoir exacerbé les épidémies de maladies, tout comme les épidémies de maladies peuvent avoir rendu l'empire plus vulnérable à d'autres menaces, du fait notamment de chutes démographiques spectaculaires. Climat et maladies ne sont qu'une partie de l'explication de l'effondrement de l'Empire romain. Il ne faut certainement pas négliger les explications politiques, ou encore les problèmes économiques et les tensions sociales. Mais comme le dit M. Harper dans sa conclusion, « que l’environnement ait joué un tel rôle dans ce qui a fait et défait l’histoire de l’une des civilisations les plus remarquables doit être une source d’inspiration ». Et, ce qui le fascine, et qui avait déjà suscité l’étonnement de Gibbon, n’est pas tant la chute de l’Empire, mais plutôt le fait qu’il ait duré si longtemps, tant il était en « équilibre instable entre fragilité et résilience ». A méditer.
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