"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Comment un homme peut faire revivre sa famille en nous racontant quelques épisodes emblématiques de sa vie et de celles de ses parents.
Et pour avoir rencontrer l'auteur, un très gentil monsieur.
Le mariage de Pavel est un roman sur l’exil : ses motivations d’origine, ses conséquences attendues ou imprévues, ses conditions de survenance, ses traces sur les vies des individus un jour ou l’autre concernés par cet acte. Pavel, personnage principal, est un russe blanc ; il a fuit à l’âge de quinze ans sa famille et son pays pour échapper à une mort quasi-certaine, lui le jeune bourgeois issu d’une école militaire tsariste et à ce titre « ennemi de classe » Après avoir traversé l’Ukraine dévastée par la guerre civile, il parvient à Sébastopol, gagne Constantinople et parvient enfin en France, où il devient ingénieur dans les Cévennes. Il y rencontre deux sœurs Rénata, institutrice, et Odine, danseuse chorégraphe .Il épouse Renata .Un soir d’été, il décrit à don fils Jean-Pierre ce qu’il a ressenti, vraiment, depuis son départ de Russie .Et c’est toute une série d’impressions, de réflexion, de constats que nous livre Pavel, pour arriver à un état des lieux de l’exil presque complet .Ainsi, il examine les conditions de décision, les circonstances qui déclenchent ce choix : « On doit faire vite quand on vit sous la menace. Il n’y a pas de place pour les tergiversations. Ni pour les regrets. On s’exile par nécessité, souvent dans l’urgence, quelquefois avec enthousiasme. »
Pourtant, au-delà de la confrontation immédiate au drame et à la nécessité, Pavel trouve d’autres motivations à l’exil, plus irrationnelles : « Il y avait une part d’illusion, naturellement. D’enthousiasme, si tu préfères .Je me croyais capable de toutes les métamorphoses que l’exil exigerait ! J’ai lu Voltaire, Victor Hugo, Zola. »
Pavel fait également le récit des circonstances qui l’ont poussé à quitter Berdiansk, en proie à la fièvre révolutionnaire, aux exécutions des individus devenus indésirables, dont Pavel apprend incidemment qu’il fait partie, en raison de ses origines .On pense, à la lecture de ce passage du roman, à Isaac Babel dans son Journal pétersbourgeois, décrivant froidement les scènes de la guerre civile.
On revient à l'histoire personnelle de Pavel par le bilan qu’il fait, des conséquences du changement de langue et de la persistance du souvenir de la Russie « Où que je me trouve(…) je suis rattrapé par mes souvenirs de la Russie(…) Je peine à décrire mes anciennes émotions dans cette langue française que je parle mieux que beaucoup mais qui me paraît froide et abstraite par rapport au russe. »
Le mariage de Pavel est un roman pudique, apportant un éclairage significatif sur l’exil, comme condition de l’être humain, comme catalyseur d’une vie individuelle .A recommander.
Comme dans le russe blanc (1995 ), le récit est centré sur le père de l'écrivain exilé de la Russie blanche, étranger aussi dans sa propre maison où le couple semble être davantage celui des deux soeurs françaises. Epouser Renata c'était vivre aussi avec Odine .Et toutes deux ont refusé tout ce qui rattachait Pavel à la Russie, à la culture russe. Et l'écrivain s'est insurgé contre ce refus . Dans le récit il redonne la parole à son père qui se sait condamné et veut transmettre à son fils avant qu'il ne soit trop tard le souvenir de ses années russes .
Une écriture en douceur malgré les blessures, comme le ferait Tchekhov. Mais loin de l'éblouissement de l'écriture de Maïkine
J'ai une tendresse toute particulière pour les livres de Jean-Pierre Milovanoff et pour son talent à raconter de vraies histoires dans lesquelles la nostalgie et le regret sont des constantes incontournables. Il sait, comme à nul autre pareil, laisser courir les mots sur le papier où leur beauté se suffit presque à elle-même, pour le plaisir égoïste du lecteur.
A chaque nouvelle parution, de cet auteur, je me réjouis car je sais que je serai comblée émotionnellement et intellectuellement.
Pari tenu avec "L'amour est un fleuve de Sibérie" ! Mais d'où sort-il tous ces détails qui donnent à l'ensemble une ambiance si palpable et frissonnante?
J'aimerais me permettre une dernière remarque au sujet du style, de cette façon si magnifique qu'a Jean Pierre Milovanoff d'assembler les mots, d'aligner les phrases, d'emboiter les paragraphes et d'enchainer les chapitres. Sa langue est belle et porteuse de tellement de sensibilité, qu'à chaque fois, je ne peux m'empêcher de lire quelques passages, pour moi toute seule, à haute voix, rien que pour le plaisir de les entendre sonner.
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