Une liste consacrée à la Grande Guerre sous toutes ses facettes, avec le site SambaBD
Une liste consacrée à la Grande Guerre sous toutes ses facettes, avec le site SambaBD
Biographie graphique érudite et dynamique chargée d’un bon éclairage sur la vie de Dostoïevski.
Les grandes étapes de la vie de l’écrivain, l’homme qu’il fut et son œuvre sont justement et sérieusement respectés autant par le texte que par les dessins dynamiques et très représentatifs de l’époque, situations, sentiments et environnements.
De la Sibérie où il est tenu prisonnier (Souvenirs de la maison des morts) à la nuit du 26 janvier 1881 quand il sera terrassé par une hémorragie pulmonaire dont il succombera le 9 février 1881, ‘lumineux et paisible sur son lit de mort quand il ne fut connu qu’avec un visage d’ordinaire torturé et douloureusement crispé’, le travail de Chantal Van Den Heuvel et Henrik Rehr est remarquablement riche.
Les couleurs grises pour renvoyer Fiodor Dostoïevski à ses pensées et propres souvenirs et les couleurs sépia pour l’action, s’interposent avec des aller et retours couvrant l’entièreté de l’existence turbulente de l’écrivain en s’adaptant parfaitement à l’ambiance du récit et sont très agréables à l’œil.
J’ai aimé les dessins reflétant avec instantanéité cette Russie ancienne (intérieurs et extérieurs) et tout ce qui s’y rapportait, s’y pensait, se disait, se chuchotait et se taisait ainsi que le trait de crayon sachant traduire les tourments dont était habité le grand écrivain russe, un homme épileptique, irritable, rongé par ses passions amoureuses, ses problèmes constants d’argent et dévoré par le jeu tout en étant torturé par des questions existentielles, celles de l’existence de Dieu et celles de la politique haïssant le capitalisme en suppliant le Tsar à plus de clémence pour ce petit peuple russe qu’il a su si bien décrire dans ses livres.
« Il est réactionnaire, xénophobe, aucun peuple ne trouve grâce à ses yeux… mais il est le seul à plonger aussi loin dans les abîmes de l’âme humaine. »
J’ai bien apprécié ces bulles qui s’arrêtent sur chacune des parutions majeures de son œuvre et donnent la parole à l’écrivain sur ce qu’il en a dit à l’époque de leurs publications très attendues et fort commentées par ses lecteurs.
Érudit, je salue ce roman graphique pour le bel hommage fait à un écrivain majeur dont la force littéraire traverse les siècles.
« On a longtemps cru que Marx était le prophète du XXe siècle. Nous découvrons que le vrai prophète était Dostoïevski. Il a prophétisé le régime des grands inquisiteurs et le triomphe de la puissance sur la justice.» Albert Camus
« Les familles heureuses se ressemblent toutes; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon ». Cet incipit d’Anna Karénine pourrait très bien s’appliquer à la famille de son illustre auteur qui connut son lot de bonheurs et de malheurs. Dans Léon & Sofia Tolstoï qui vient de paraître chez Futuropolis, Chantal Van den Heuvel et Henrik Rehr retracent la vie du célèbre écrivain en l’abordant sous l’angle de ses rapports avec sa femme Sofia. Biographie certes mais qui se lit comme un roman au vu de ces deux êtres passionnés et passionnants qui se sont beaucoup aimés et déchirés. Je t’aime moi non plus.
Octobre 1910. L’album s’ouvre sur une énième dispute, la dispute de trop, celle qui causera le départ en catimini au petit matin de Léon à 82 ans au bout de 48 ans de mariage. Après avoir croisé et chassé des inopportuns qui ces derniers temps envahissent lasnaïa Poliana, le vaste domaine des Tolstoï situé dans la campagne au sud de Moscou, Sofia, hors d’elle, pénètre, une feuille à la main dans l’atelier où son époux s’adonne à des travaux de réparation. Ce document découvert dans un tiroir suite à une fouille méticuleuse n’est autre qu’un testament consignant la cessation des droits d’auteur de Tolstoï au profit du peuple russe. Ayant toujours mis sa famille au-dessus de tout, ne pouvant accepter que les siens soient spoliés, elle est la lionne qui défend ses petits. Le ton monte, les noms d’oiseaux fusent, l’incompréhension est totale. Le marteau est là, à portée de main … quand Léon tombe aux genoux de sa femme : «Pardon ! Pardon, Sofia Andreïevna, Je vais partir avant l’un de nous deux ne détruise l’autre pour de bon. » La rupture est consommée. Elle tentera de le retenir. En vain. Dès potron-minet, accompagné de son médecin, Léon prend le train, direction un couvent où vit sa sœur avant de rejoindre le Caucase, région dont il garde un excellent souvenir de jeunesse. C’est dans un modeste wagon 3ème classe, parmi ces gens du peuple auxquels il aspire à ressembler, que ce géant de la littérature russe va commencer à raconter son histoire faisant du docteur, et à travers lui, du lecteur, son interlocuteur. Il n’atteindra pas le Caucase. Après avoir quitté le couvent, il sera emporté par une pneumonie en novembre 1910 dans la maison du chef de gare d'Astapovo, au sud-est de Moscou.
Tout au long de sa vie, du dandy hédoniste de sa jeunesse au gourou prônant le dépouillement, la chasteté, la non-violence, adepte du végétarisme de ses vieux jours, il sera hanté par le néant et toujours en quête du sens de l’existence, à la recherche de la baguette verte sur laquelle son frère Nicolas a gravé le secret qui rendra tous les hommes heureux. La mort de ses parents alors qu’il n’était qu’un enfant ainsi que celle plus tard de ses deux frères, le souvenir des morts de la bataille de Sébastopol à laquelle il a participé y sont sûrement pour quelque chose.
Quant à ses rapports avec Sofia, fille d’un médecin du Kremlin … Elle aimait Moscou, lui ne jurait que par la campagne. Les premières années furent sereines et prolifiques avec l’écriture et la parution de Guerre et Paix et Anna Karénine. Tolstoï, n’écrira-t-il pas dans son journal: « J’ai vécu jusqu’à 34 ans sans savoir qu’on pouvait aimer autant et être aussi heureux.» Cependant, la très belle couverture de l’album représentant le couple jeune sur fond de domaine campagnard laisse présager la rupture à venir. Alors que Sofia nous regarde bien en face, le regard de Léon est absent et fuit vers le lointain. Cela fait résonance avec la dernière photo du couple Tolstoï prise peu de temps avant la mort de l’écrivain sur laquelle on peut voir Sofia penchée vers son époux qui demeure droit et distant.
La narration
L’autrice Chantal Van den Heuvel a plusieurs cordes à son arc. Journaliste belge, outre les scénarios de bande dessinée, elle a également écrit pour le cinéma et la télévision, publié un roman et des contes pour enfant.
Doté d’un souffle romanesque, le récit richement documenté est passionnant tout en faisant preuve d’une grande clarté. Le choix narratif de Léon racontant son histoire dans un train n’est pas anodin. Ce procédé maintes fois utilisé qui pourrait paraître éculé au premier abord fait en réalité subtilement écho à un autre récit, celui de la confession lors d'un voyage en train, d'un aristocrate russe qui s'avoue le meurtrier de sa femme dans la Sonate à Kreutzer, nouvelle profondément misogyne contre le mariage, « prostitution légalisée » publiée en 1889. Sofia en fut profondément blessée et répondit par roman interposé A qui la faute? «Ce récit me portait une blessure directe, me rabaissait aux yeux du monde entier et détruisait les restes de notre amour mutuel», écrira-t-elle dans son journal.
Curieusement, en 2010, lors de la célébration de la mort de l’écrivain, c’est surtout sa femme qu’on édita : le roman A qui la faute ? bien sûr, suivi de La Sonate à Kreutzer mais aussi son autobiographie Ma vie. La scénariste, elle, n’a aucun parti pris et réussit la prouesse de nous faire ressentir de l’empathie pour les deux protagonistes.
L’illustration
Henrik Rehr, dessinateur danois vivant à New York, publié en France pour ses œuvres traitant du terrorisme ou de la révolution, Mardi 11 septembre (2003), La chute de Cuba (2017), David Crook, souvenirs d’une révolution (2018) est principalement connu pour Gavrilo Princip : L’homme qui changea le siècle paru en 2014. Si je mets ce titre en exergue, c’est que la technique utilisée et la mise en scène sont identiques dans les deux albums. Une différence toutefois : Alors que Gavrilo Princip est réalisé en noir et blanc, Sofia & Léon Tolstoï bénéficie de bichromies utilisant différents tons de gris et nuances d’ocre, marquant les différentes ambiances et mettant ainsi le récit sous tension.
Le trait est réaliste. Les planches aux intercases réduits voire inexistants nous font pénétrer au cœur de la narration. Ayant pour toile de fond les somptueux paysages de la Grande Russie ou les intérieurs, elles sont d’une extrême précision et fourmillent de détails et d’incrustations qui aident à la lisibilité.
Certaines planches, par leur structure même cassant le rythme, nous arrêtent sur les moments forts de l’intrigue. Comme la souffrance de Sofia relative aux propos de à La Sonate à Kreutzer est admirablement bien retranscrite par l’image ! Quant à l’évocation d’Anna Karénine, elle est de toute beauté...
Un petit bémol toutefois qui concerne l’éditeur : L’album aurait gagné à être publié dans un plus grand format.
Après la mise à la diète du confinement, en cette rentrée, nous croulons sous une pléthore d’albums. Certains à juste titre sont constamment mis en avant. Je ne voudrais pas pour autant qu’on en oublie Léon & Sofia Tolstoï, superbe et captivante biographie. Laissez parler l‘âme slave qui sommeille en vous et comme moi, partez sur les pas de Léon, de ses paradoxes et de celle qui fut sa femme, sa secrétaire, son intendante, la mère de ses 13 enfants, autrement dit Sofia.
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