"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Difficile de parler de cet album sans divulgâcher une partie de l’intrigue. Tentons donc l’exercice : cet album signé Appollo et Gaultier ouvre sur l’embarquement d’Évariste – qui s’appelle en réalité Jean-Louis Payet – à bord du Marion Dufresne. Au départ de La Réunion, le bateau, reliant habituellement les terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour des expéditions scientifiques, accueille également à son bord quelques « touristes » en quête d’aventure extrême. Mais Evariste, lui, que vient-il chercher ? Ou peut-être est-il plus juste de demander ce qu’il cherche à fuir avec tant de conviction, se choisissant même un prénom d’emprunt comme pour mieux s’effacer.
Le temps de la traversée, notre héros va partager quelques ivresses avec les touristes et scientifiques embarqués avant que le froid de l’air qui entoure l’archipel des Kerguelen annonce l’arrivée sur ces terres préservées. C’est dans ce paysage hostile qui ne se laisse pas facilement apprivoiser, sur l’île de la Désolation, que la vie d’Évariste va basculer.
Le dessin aux contours sombres de Christophe Gaultier soutient un scénario entouré de mystères. Les paysages escarpés aux pointes acérées semblent, dès la première apparition, une menace, accentuant la tension jusqu’à la dernière vignette.
Tout·e Réunionnais·e a entendu parler du Marion Dufresne et ses missions au bout du monde et, en mêlant ici fiction et réel, La Désolation ouvre à tou·te·s les portes de ce navire qui mouille régulièrement dans un port de La Réunion. Et malgré le froid et l’effroi qui saisissent en feuilletant l’album, cette lecture agite aussi l’appel de la grande aventure, titillant la curiosité pour ces terres du bout du monde.
Abrupt.
C'est le premier mot qui me vient à l'esprit alors que je referme à peine cette bande-dessinée.
"La désolation" est un titre que je ne cessais de voir circuler, mais, j'avoue que la couverture, ainsi que le dessin, ne m'attiraient pas spécialement : je trouvais qu'il s'en dégageait une certaine raideur, voire une certaine froideur - ce qui, tout compte fait, se révèle très approprié au vu du cadre glacial des Îles Kerguelen où se déroule l'intrigue...
Néanmoins, à force d'avoir lu d'excellentes critiques et ayant eu l'occasion de me retrouver avec cet ouvrage entre les mains, je me suis donc lancée dans ce périple littéraire.
Le récit est conté par Jean-Louis Payet, qui se fait communément appeler Évariste par son entourage. Visiblement désireux de mettre le plus de distance possible entre lui et Amandine, après que leur relation a mal tourné, Évariste fuit l'île de La Réunion sans prévenir personne, et embarque sur un bateau à destination des Îles Kerguelen, dans l'espoir de recommencer à zéro en se confrontant à la nature vierge - ou presque.
A priori, tout commence donc comme une sorte de croisière vers de nouveaux horizons, rythmée par les rencontres diverses qu’Évariste a l'occasion de faire sur le navire.
Une fois débarqué sur les Îles Kerguelen, Évariste prend conscience de l'immensité de cet environnement sauvage, au sein duquel l'homme est insignifiant.
Alors qu'il se prépare à partir en randonnée pour explorer les environs, Évariste, ainsi qu'un touriste amateur de selfies et le scientifique censé leur servir de guide, sont attaqués par de mystérieux individus... Des individus qui survivent comme une tribu en marge du monde, de façon totalement autosuffisante.
Faut-il y voir là une tribu alliant à la fois "origine et avenir de l'humanité", comme le présente le touriste Jonathan, qui voit en eux des êtres fascinants ?
Ou bien faut-il les considérer des "dégénérés d'un autre temps" comme les perçoit plutôt Évariste, qui peine à s'intégrer dans ce groupe aux mœurs atypiques ?
Il est difficile de percevoir ne serait-ce qu'une touche d'optimisme dans "La désolation", tout comme il est difficile de se prendre de sympathie pour les personnages, qui sont tous marqués par l’hostilité de la terre qui les entoure. Chacune de leur décision est mue par un pragmatisme qui ne laisse que peu de place - si ce n'est aucune - à quelque forme de sentimentalisme que ce soit.
Le dénouement final se révèle à l'image de cet album : dur, immoral et violent.
Voire "désolant", si l'on se penche de plus près sur le portrait qui est dressé de l'humanité et des soi-disant "civilisations" qui peuplent le monde...
Ce moment de lecture nous transporte donc dans un périple âpre et déroutant, qui a le mérite de poser de nombreuses réflexions très intéressantes dans un cadre extrême et presque apocalyptique, tant les conditions y sont rudes.
"La désolation" se lit comme on reçoit une bourrasque d'air frais en pleine figure, en plein cœur de l'hiver.
Qu'on adhère à l'ambiance générale ou pas, elle ne laissera probablement pas beaucoup de lecteurs indifférents.
De la chaleur tropicale de la Réunion au froid austral des Îles de la Désolation
Les histoires d’amour finissent mal en général … et ce n’est pas Évariste qui vous dira le contraire.
Elle ne s’appelle pas Hélène mais Amandine et ce n’est pas elle qui est partie aux Kerguelen mais lui, Jean-Louis Payet ou plutôt Évariste comme il se fait appeler. Et c’est justement pour l’oublier que, sur un coup de tête, sans prévenir personne, il a tout plaqué, revendu sa voiture et a embarqué à bord du mythique Marion Dufresne, le seul bateau à effectuer des rotations entre La Réunion et Les îles Kerguelen, (Ker pour les initiés), direction Port-aux-Français. En route pour l’aventure, à lui la liberté ! Il effectuera la traversée en compagnie d’une majorité de scientifiques, quelques « happy few » amateurs de tourisme extrême et chose plus étonnante deux chasseurs. Ce sera l’occasion pour lui de se rendre compte à son grand dam qu’une micro société s’est recréée à bord, régie par les mêmes règles de celle qu’il cherche à fuir. « L’aventure, c’est fumer une clope dans un salon cossu en regardant les icebergs à travers le hublot ». O tempora, o mores … Il leur faudra un mois pour atteindre l’île de Grande terre et la base logistique, technique et scientifique de Port-aux Français. Pas le temps de souffler. Le lendemain de son arrivée, il part à la découverte de l’île avec un biologiste et Jonathan, touriste très bavard qui lui tape un tantinet sur le système. Lors de leur progression dans une nature de plus en plus hostile, il lui semble apercevoir quelqu’un sur les hauteurs et puis, c’est l’accident … un éboulement … Trou noir.
De la déception amoureuse à la robinsonnade dramatique
Cette bande dessinée offre plusieurs niveaux de lecture : l’intrigue en elle-même adaptée d’une nouvelle de l’auteur, le récit documentaire ainsi qu’un questionnement, une réflexion sur la place et l’action de l’homme sur la planète et les dérives qui en découlent. Ces trois axes s’entremêlent judicieusement grâce à la parfaite maîtrise de la narration d’Olivier Appollodorus, dit Appollo, scénariste de bandes dessinées et historien réunionnais. Le tout est écrit dans une langue dont il faut souligner la qualité.
Le récit est structuré en 8 chapitres. Les 3 premiers consacrés à l’embarquement sur le Dufresne, la traversée, puis l’arrivée à la base et la randonnée sont ponctués de références documentaires glanées par Évariste dans une revue, lors des conférences à bord ou de l’installation à la base et sont de ce fait parfaitement intégrées au récit. A la fin du troisième chapitre, juste après l’éboulement, case noire et on va basculer dans la seconde partie constituée elle de 5 chapitres et là, évitant le spoil de la quatrième de couverture, je n’en dirai pas plus si ce n’est qu’aux côtés d’Évariste confronté à des conditions extrêmes où sa survie même est en jeu, on va aller de surprise en surprise jusqu’au dénouement proprement hallucinant !
Une illustration à la hauteur de la narration
Le trait épais de Christophe Gaultier qui évoque la xylogravure colle parfaitement au récit faisant preuve d’une grande rigueur dans la partie documentaire et les paysages et d’une grande expressivité révélant la peur qui va crescendo dans la seconde partie. Le paysage apaisé et coloré du début de la randonnée va peu à peu s’assombrir, les reliefs devenir plus abrupts, menaçants, étouffants et le trait de plus en plus tortueux exprimant bien la tension et le climat anxiogène de la seconde partie. Les coloristes ont fait un travail tout à fait remarquable que ce soit pour souligner la beauté des paysages ou au contraire l’aridité et l’austérité de l’île.
Cet album original est une réussite totale tant scénaristiquement que graphiquement.
A découvrir absolument si vous aimez que, par des chemins inattendus, on vous emmène en terre inconnue ou les rêves se terminent en horribles cauchemars.
Merci à NetGalley et aux éditions Dargaud pour cette belle découverte.
Cette couv est intrigante, ce personnage étrange … je me demandais bien ce qu’elle cachait…
Ce personnage, c’est Evariste… il part direction les Kerguelen… il fait le choix de disparaître, de fuir, loin d’Amandine, loin d’une humanité sclérosée… vers les terres gelées du bout du monde.
Puis c’est le débarquement à Port-aux-français….
Le récit bascule alors dans un guet-apens surréaliste, Evariste est capturé par une tribu de gaillards indéterminés, peuplade descendante des derniers norvégiens de l’île.
Le graphisme est très sombre, épais et puissant. Un peu décontenancé au départ, je l’ai très vite adopté… contrairement au scénario qui, sensé nous faire réfléchir sur la présence envahissante de l’homme, son impact sur l’environnement, m’a perdu en route…
Au final, un album contrasté au dessin puissant … un récit d’abord intéressant puis franchement déroutant... j’ai peur d’être passé à côté !
Tu l’as lu ? Tu peux me remettre dans le droit chemin ? N’hésite pas !
Merci @netgalley et @dargaud pour cette lecture.
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