"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le nez, le cœur et l'âme
Dans ce court roman Franck Maubert met en scène une femme dont le nez fait le bonheur des parfumeurs et à qui on demande de venir sentir une relique, le cœur d'une Sainte. Cette étrange mission va la bouleverser au point de vouloir tout savoir sur la mystérieuse Émérence Denosse.
Jeanne Doucet vient de se séparer de son mari. Et si la solitude lui pèse un peu, elle entend tout de même profiter de cette nouvelle liberté. Par exemple pour répondre favorablement à une demande qui semble incongrue. Elle est en effet contactée par Alexandre Bonnencontre, professeur à la faculté de médecine, qui connait sa réputation de nez au service des parfumeurs et lui propose un rendez-vous à la demande des autorités ecclésiastiques. Il s’agit de venir sentir une relique, le cœur d’Émérence Denosse, en vue de sa canonisation. Elle devra simplement dire ce qu’elle sent afin que ses remarques complètent le dossier en préparation.
Accueillie à la faculté par le professeur et le Diacre Caposi, on lui confie la relique retirée d’un coffret en bois puis d’un cardiotaphe en argent.
«J’inscris sur la feuille quadrillée mon tout premier sentiment: Un cœur plein de nuit. Je pourrais m’y arrêter mais je poursuis: Odeur somnolente, complexe de chaleur et de mousse, suavité et douceur. Oubli, espérance antique. Et toujours, comme sous une dictée automatique, je tisse un ramage de baumes, de préparations d’apothicaires: Aloès, traces de substances diverses, alun, fruits, pomme probablement, absinthe, menthes, myrrhe, sauge, benjoin peut-être, minéral éventé, roches brûlées. Ma langue se tarit dans la confusion. Je conclus simplement : Une senteur ténue mais voluptueuse caractérise ce petit cœur.»
Cette mission très particulière va marquer durablement Jeanne. Sans vraiment comprendre pourquoi, elle brûle d'envie d’en savoir plus sur cette Émérence «de retrouver celle qui venait de m’offrir ce qu’elle avait de plus intime: le parfum de son cœur, ce cœur qui m’a imprégnée. Est-ce cela ce qu'on appelle l'odeur de sainteté, ce sentiment qui vous entraîne dans l'au-delà?» Mais les informations sont sommaires. On peut tout juste lui indiquer où a vécu la Sainte.
Jeanne s’octroie alors quelques jours de congé et prend la direction de l’Indre-et-Loire. Après Pont-de-Ruan, que Balzac décrivait ainsi dans Le Lys dans la vallée: «joli village surmonté d'une vieille église pleine de caractère, une église du temps des croisades, et comme les peintres en cherchent pour leurs tableaux», la voici à Saché, autre terre balzacienne, pour retrouver les traces d’Émérence.
Keiko, la tenancière du petit hôtel dont aucune des chambres n’est occupée, ne va pas beaucoup l’aider, même si elle semble s’intéresser à sa quête. En revanche, le vieil Hurteau, qui la croise sur la route et lui propose de la ramener, sera capable de remonter un peu le temps et de lui parler de la famille Denosse, de la mener jusqu’au moulin où étaient organisées des parties fines pour les notables du coin.
Si le libraire Grémille ne pourra confirmer ces rumeurs, il possède en revanche un document étonnant, un cahier noir dans lequel Émérence disait sa peine et sa souffrance. On l’aura compris, c’est par bribes que Jeanne se rapproche de son but. Mais chacune de ses rencontres vient aussi ajouter au mystère, car Keiko, Hurteau et Grémille semblent conserver une part de leurs secrets.
L’enquête va alors prendre une dimension mystique. «J'ai rencontré un cœur qui ne s'accommode pas d'être mort, un cœur qui a traversé toutes les douleurs, un cœur qui désormais appartient à ma vie. Et c'est comme si je me dédoublais, il s’ouvre et se ferme comme une fleur à la tombée du jour. Il me paralyse, me presse la poitrine, quand je le sens prendre de l'assurance, mes artères se rétractent. J'entends sa révolte et je puise en lui toutes mes forces. Il m'aide à lutter centre l'étouffement. Aucune supplication ne peut m'inciter à ouvrir la bouche. Puis tout revient, tout frémit et se ranime. Il est doux de rejoindre Émérence.»
Franck Maubert joue à la perfection le registre du trouble, passant de la science à la quête spirituelle, du rationnel à l’irrationnel, le tout par petites touches impressionnistes, mais qui créent une ambiance forte en sensations et en émotions. Alors, avec Jeanne, le lecteur a la sensation de «glisser dans un autre monde».
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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Depuis Jean-Baptiste Grenouille, héros du roman de Patrick Suskind Le Parfum, je n’avais pas croisé de personnage au nez aussi performant. Au point d’en souffrir :
Au quotidien, posséder un nez puissant est, en fait, un handicap plus qu'une qualité
puisque cela signifie être agressé en permanence par les odeurs de pollution ou les émanations corporelles, d’autant plus que l’on vit à Paris et que l’on utilise les transports en commun.
Cette faculté particulière que la narratrice met au service d’un laboratoire de cosmétique, est repérée par un duo original : un diacre et un médecin légiste, qui la sollicitent pour « faire parler » le coeur momifié d’une candidate à la béatification !
C’est alors une déflagration spirituelle qui bouleverse la jeune femme. Elle n’aura de cesse de comprendre l’histoire d’Émérence Denosse.
Etonnant roman autour d’une expérience mystique originale, qui établit un lien entre les sens et le spirituel. Le voyage sur les traces de la future sainte devient une quête, une analyse introspective pour se perdre ou se trouver.
L’écriture, caractérisée par un phrasé élégant , décline tout le lexique de l’olfaction et c’est ce qui évoque le roman de Suskind.
115 pages Mercure de France Août 2023
C' est le grand coup de coeur de mon confinement. Dès la deuxième page ma gorge se noue, l’émotion m’étreint me submerge, Pierre est malade, un cancer. Pour rompre leurs rites de déjeuner semi hebdomadaire à Paris à la recherche de l’objet fou et obsédant Franck Maubert l’auteur de « Avec Bacon », et du « Dernier modèle » nous emmène à nouveau dans sa voiture, pour un voyage le long des côtes de l’Ouest en arrière saison. Il s’élance en solitaire à la poursuite de l’éternel infini .
Comme un prélude au deuil. Fuir le Ressac du spleen, une saison comme Rimbaud les semelles de vent et la poésie qui estampille tout sur son passage, avec pour seul témoin la mer, capricieuse, et pas si silencieuse. La mer un personnage à part entière. entre les pages sensibles et délicates, les plages au coeur de l’hiver propagent les émotions et nous giflent c’est le vent d’hiver. Dans son périple, Franck Maubert rencontre des autochtones bigarés, qui auraient pu s’échapper du « Petit prince ». Ils gravitent, antilopes au milieu de ces monuments historiques, immortels, châteaux... qu’il peint, décrit et, essaime délicieusement sa géographie historique, artistique et littéraire, l’irrigue de citations. C’est un récit passionnant et éblouissant au milieu de la brume: Une hôtesse décrite en modèle Russ Meyer me fait sourire en lisant. Toujours cet humour. Nous sommes en Janvier dans le Nord, Boulogne, une femme ravagée, abîmée par le départ de son mari égraine désormais son temps devant une machine à sous, et boit comme « le buveur lugubre ». On tourne la page et les vallées peintes par Nicolas de Staël apparaissent comme une réminiscence. Février aux Roches Noires un appel téléphonique ravive le souvenir de Duras omniprésente. Il esquisse la Normandie de Sagan, Baudelaire, et Monet.
A Biscarosse, il accoste le mythe de Sisyphe, illustré par cet homme qui construit chaque jour un nouveau château englouti par les flots. Un allumeur de réverbère. En Mars, Pierre est encore plus affaibli. En Avril la Côte Basque où repose Paul-Jean Toulet. A saint Jean-de-Luz c’est moi qui pense à mon amie, ma Jany Marin partit trop vite, elle qui me manque tant. L’écriture est iodée, délicate, gracieuse, bercée par ce vague à l’âme, larmes au goût de sel, et toute la nostalgie de l’écume qui caresse ses mots vertigineux. Volent des corbeaux blancs. L’encre marine encore humide est vibrante. Ce récit est une invitation au voyage. Paru en plein confinement il m’a fait voyager de mon appartement, et m’a tellement touchée. Pierre s’en est allé, il est parti. La couverture illustrée par Pierre Le Tan séduit comme un chant de sirène, un appel à le lire très vite!!!!
« La première fois que j’ai vu une de ses oeuvres, j’ai tout de suite su que j’aimerais Bacon. » Profondément bouleversé Franck Maubert jeune journaliste à l’Express, va s’obstiner à obtenir un rendez-vous avec Francis Bacon jusqu’à y parvenir. Son oeuvre tourmentée est une énigme un peu comme celles du Sphynx. Ces tableaux sibyllins, cette détresse humaine avec cette force hypnotique, perturbante qui s’agrippe à nous. L’horreur en chair et en peinture. Troublant. Touchant. Dans ce roman Franck Maubert scelle sa rencontre privilégiée avec le peintre de la tragédie et de la condition humaine éphémère, et distille un portrait vivant et intime de Bacon.
Dès leur première rencontre à South Kensington à Londres le jeune journaliste fasciné embarque comme sur un navire et consigne leurs discussions. Ils parlent de la littérature qui l’inspire lui le grand lecteur d’Eschyle, de Proust. Il lui offre cette chance inouie de pénétrer dans son atelier, l’antre de l’artiste. Personne ne l’a jamais vu en pleine création à part peut-être le peintre Marocain Yacoubi. Ils croisent David Hockney aux chaussettes dépareillées. Presque vinqt-quatre heures dans la vie de Bacon…
Il l’entraine dans ses fulgurances de noctambule, l’ivresse tenace, du matin jusqu’au bout de la nuit dans les clubs Londoniens, les cercles de jeu, puis plus tard dans les bars à Paris. Enivrant. La conversation se poursuit par des appels téléphoniques matinaux. Jusqu’à ce fameux 28 avril 1992 où Franck Maubert fait cuire des oeufs au bacon dans son appartement Parisien et le téléphone sonne… funeste et drôle comme une prémonition.
Entre les pages de ce petit opuscule addictif où souffle un zéphyr d’humour, et toujours cette sensibilité à fleur de mots, Franck Maubert confie son immense admiration, et éclaire l’oeuvre magistrale et mystérieuse de ce génie novateur dans la lignée de Picasso, pour mieux le comprendre. Une quintessence à lire très vite
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