"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La maison d’enfance vient d’être vendue : la narratrice, Lise, doit venir récupérer quelques souvenirs, objets et meubles.
Elle aurait aimé dire adieu d’une certaine façon, regarder le passé de loin, en passant, en se disant avec nostalgie « Tiens avant, j’habitais là… », oui, c’est ce qu’elle aurait aimé faire si l’acheteur de la maison n’était autre que son ex-meilleur ami, Franck.
Leur histoire est ancienne, une histoire d’amitié faite « d’une sérénité tranquille », non d’amour. Une amitié de jeunesse qui s’est éteinte un jour…
En tout cas, ce Franck, qui a toujours eu beaucoup d’admiration pour le père de Lise, s’est peu à peu immiscé dans cette famille, a discuté, écouté, puis dîné avec Georges, le père, est allé avec lui sur la tombe de sa femme. Puis, il a acheté la maison de famille, laissant à Georges sa place à table et lui promettant d’entretenir la tombe de sa femme qui se trouve sur le terrain près de la maison. Il compte s’installer dans la chambre de Lise, a-t-il jugé bon de préciser à cette dernière, pense ne pas trop déranger les meubles et bibelots restants et veut replanter l’allée de rosiers telle que l’aurait souhaitée la mère de Lise…
« Tu devrais venir voir, la maison est exactement comme quand nous l’habitions. Mieux même… » s’est exclamé naïvement le père.
Lise n’a plus sa place : « J’ai laissé la place sans rien dire. J’ai tout de suite compris le mouvement de poussée. Je ne peux pas dire que je n’ai rien vu. Que j’ai été prise au dépourvu. Franck avançait à découvert. C’est moi qui me suis repliée. Au début, j’ai dû penser qu’on pouvait partager. Qu’il y avait de la place pour deux. Mais ça ne marche pas comme ça. On ne cohabite pas avec la perte. Ça prend trop de place. Alors j’ai déserté. »
Que s’est-il passé ?
Quelles ont été les motivations de Franck ? Un désir de vengeance par rapport à Lise ? Un amour si fort qu’il ne puisse imaginer s’éloigner d’elle ? Que veut-il dire en allant aussi loin ? Comment la narratrice a-t-elle vécu cette terrible et complète dépossession (père, mère d’une certaine façon, maison), cette intrusion dans son intimité ? Jusqu’où Franck va-t-il se permettre d’aller ? Que s’est-il passé entre eux ? Pourquoi ne sont-ils plus amis ? D’où vient cette fascination de Franck pour le père ? Est-elle réelle ou feinte, est-ce un moyen de se rapprocher de la fille ou bien, au contraire, est-ce fréquenter la fille qui lui permet de rester auprès du père : « Je crois qu’au début j’ai été son prétexte. Qu’avec mon père, il ne savait pas encore faire sans moi » ?
Qui est finalement ce Franck, cet homme qui « plante son drapeau » sur les gens et sur les lieux pour signifier qu’il les possède, qu’ils sont sa propriété ? J’imagine l’excellent roman que l’on aurait pu tirer de ce sujet avec en prime un peu de suspense, de terribles tensions, des secrets bien lourds révélés ou suggérés à la fin.
Eh bien là, hélas, rien de tout ça : le roman, très court, trop court certainement pour un tel sujet, fournit trop peu d’explications, pour ne pas dire quasiment aucune !
J’avoue avoir été extrêmement frustrée de m’être livrée à mille suppositions et de constater en voyant le nombre de pages diminuer à vive allure que rien de ce que j’avais imaginé ne serait abordé. Quelle déception ! Pourtant, il y avait vraiment matière à écrire quelque chose de passionnant d’un point de vue psychologique.
Au contraire, j’ai vraiment eu l’impression de rester à l’extrême surface des êtres et des événements, de glisser, de survoler sans cesse, de passer trop vite là où je ressentais le besoin d’une analyse, d’une explication, de quelques mots enfin pour comprendre les agissements des uns et des autres, leurs relations, leurs motivations réelles.
Y a-t-il finalement un lien entre cette perte de l’amitié et le rapprochement entre Franck et le père ? Encore une question restée sans réponse. Je sais, je peux faire l’effort d’imaginer mais pour ma part, j’ai besoin d’un minimum d’infos.
Et puis, pourquoi pas (mais là, je réécris le livre !) parvenir à un drame final, une révélation ?
Un livre qui m’a laissée un peu sur ma faim… Cela dit, je ne doute pas qu’il puisse nourrir l’imagination d’autres lecteurs….
Un autre livre que j’avais adoré sur le thème « Pousse toi d’ là que j’m’y mette » est Dernier désir d’Olivier Bordaçarre (chez Fayard mais il a dû sortir en poche depuis)… hum, le délicieux roman que voilà… j’en ai encore des frissons !
http://lireaulit.blogspot.fr/
Claire Huynen a déjà publié au Cherche Midi "Marie et le vin" (1998) et "Une rencontre" (2000). "Série grise" est son troisième roman.
Chronique cynique et acerbe, ce roman décrit, sous le regard d'un vieillard, le quotidien d'une maison de retraite.
Ce roman d'une centaine de pages séduit grâce à un humour caustique et à une réflexion juste et intelligente sur l'apprentissage de la vieillesse. En témoigne ces citations croustillantes tirées du roman : "La curiosité de voir mon corps ainsi vieillir (...) il n'y a dans mon regard nulle perversité […] Ma queue n'avait plus de queue que le nom […] Les vieux, ça dort mieux le jour que la nuit […] Ce qu'il y a de plus répugnant chez les vieux : l'odeur. Celle du cadavre qui s'installe. Dentifrice et grandes eaux n'y font rien C'est une odeur qui ne se lave pas."
Le titre du livre ("Série grise") est original et convient parfaitement aux chroniques contées par le personnage principal.
De même, le choix du nom de "la maison de retraite pour adultes valides" (Mathusalem) n'est pas innocent puisqu'il fait référence à un patriarche biblique antédiluvien qui aurait vécu 969 ans selon la Genèse. Voici ce qu'en pense le narrateur : "J'ai choisi Mathusalem pour son nom. Bien que je n'entretienne de fantasme de longévité, il m'a semblé que celui qui avait nommé ainsi une maison de retraite devait cultiver une manière d'idéalisme ou de cynisme."
Le style de Claire Huynen rappelle celui d'Amélie Nothomb tant au niveau de l'écriture que de la construction du livre.
Un roman sur la vieillesse drôle et intelligent qui met de bonne humeur ! On en redemande.
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