"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Sulyvane et Malone : deux frères aux prénoms irlandais, à cause d'un ancêtre de leur mère.
Le plus jeune, c'est Malone. Né en 1981. Enfin c'était. Hémophile, transfusé, contaminé, puis sidéen et mort à 17 ans.
Il rêvait dans les derniers mois de Barcelone. Pourquoi ? Que voulait-il y trouver ? Sulyvane ne sait pas. Il a décidé d'y aller, fuir la maison et la chambre vide, fuir la tombe récente, fuir le désespoir de ses parents. le sien est déjà difficile à supporter. Il a de l'argent, l'argent de la honte, honte de ceux qui savaient mais n'ont pas empêché cette tragédie, versé en prix de ces existences massacrées, comme si on pouvait payer pour cela.
Son père sombre dans la dépression et dans l'alcool. Sa mère se juge deux fois coupable, coupable d'avoir transmis le mauvais gène , coupable d'avoir injecté elle-même le sang contaminé dans les veines de son fils. Elle avait suivi un stage Elle voulait lui éviter l'hôpital. Elle a injecté ce sang extrait de poches dont l'étiquette mentionne « non chauffé ». Elle choisira de se battre, d'être de tous les procès, de tous les combats.
Le récit alterne entre l'enfance des frères, puis les procès d'un coté et de l'autre les mois passés à Barcelone par Sulyvane
Sulyvane est en colère. Il ne sait pas vivre sans son frère, il en veut à la terre entière et pourtant petit à petit, il saura apprivoiser à nouveau la vie.
J'ai lu quelques livres sur le Sida, ceux-ci parlaient des homosexuels ou des drogués. Je n'avais jamais rien lu sur ces hommes, ces enfants souvent, atteints parce qu'ils ne pouvaient vivre sans recevoir du sang.
J'ai beaucoup aimé cette histoire, même si les premières semaines avec Sulyvane à Barcelone m'ont un peu désarçonnée tant sa colère est grande, tant il parait difficile de pourvoir l'atteindre, de pouvoir vivre avec lui. Et puis l'empathie, l'émotion ont pris la place de ce sentiment de presque malaise et j'ai aimé le suivre.
La description de la vie de la famille avant le drame sonne très juste : la découverte de l'hémophilie, les contraintes de la vie avec, les piqures et puis en 1985 un courrier, résultat d'analyses, qui mentionne « anti-LAV+. (LAV premier acronyme pour SIDA). L'autrice raconte avec beaucoup de sensibilité la détresse, l'incompréhension, la recherche d'informations, le comportement quelquefois inhumain des médecins, les traitements à l'AZT, et puis la maladie. Comment survivre à cela ? Comment ?
Chaque membre de la famille réagira différemment. Ce sera difficile, mais l'espoir est là.
Un roman difficile, bouleversant, à l'écriture nerveuse, aux mots qui marquent.
Merci à NetGalley et aux éditions Fayard pour cet envoi #Loindunoirocéan #NetGalleyFrance
Malone est né le 11 mai 1981, le lendemain de l’élection de François Mitterrand. C’était un évènement joyeux pour ses parents Caroline et Philippe, et son grand frère Sulyvane. Pourtant, le repas en famille chez les beaux-parents va mal finir, non seulement une roturière a pris leur fils, en plus elle vote à gauche !
Mais, au bout de quelques années, un premier bleu, et c’est forcément de la faute de Sulyvane qui a dû pousser son frère, lais, très vite, les bleus sur le corps au moindre choc ont fini par alerter tout le monde. Il ne s’agissait pas de maltraitance, mais d’une anomalie génétique : Malone était hémophile.
Le diagnostic a causé un premier électrochoc : cette maladie étant transmise par la mère, porteuse saine, mais la maladie chez Malone, apportant le premier combat pour la mère : déjà la famille aristocratique côté du père avait accueilli les dents serrées leur belle-fille, issus d’un milieu ouvrier alors quand le diagnostic est tombé, ils se sont déchaînés : c’était la belle-fille qui avait apporté cette gêne débile voire débilitant, alors ils n’ont plus retenu leurs mépris, les piques…
On suit donc le parcours de la famille pendant cette première phase de la maladie, alors que la mère, rongée par la culpabilité, se met à surprotéger Malone, et à s’éloigner de Sulyvane : c’est l’aîné, il n’est pas malade, donc n’a pas besoin d’elle en gros. Heureusement les deux frères s’tendent très bien, sont très soudés. La mère s’investit à fond, apprend à faire les transfusions, veille à ce qu’il ne lui arrive rien, mais en l’étouffant.
Deuxième coup du sort : un jour, elle remarque pour la première fois, que sur la poche de transfusion figure la mention « sang non chauffé », mais le CTS la rassure, il n’y a pas de danger. Or, nous sommes en 1985, une nouvelle maladie fait son apparition : le SIDA et on connaît tous l’affaire du sang contaminé.
Lors du premier test de dépistage, on n’explique même pas à Caroline, ce qu’est la séropositivité ! Elle est obligée de demander, et on lui affirme que ce n’est pas grave…
La famille va vivre au rythme des dépistages, des informations erronées (à l’époque on sait tellement peut de choses sur ce virus) mais, comment peut réagir une mère qui se culpabilisait déjà d’avoir transmis l’hémophilie ? en se sentant en plus coupable d’avoir contaminé son enfant, car c’était elle qui mettait la transfusion en route…
Au décès de Malone, tout va exploser : Sulyvane s’exile à Barcelone, car Malone avait des brochures sur la ville, pensant peut-être y aller un jour, s’il veut survivre il faut partir, se trouver, tenter de se construire une vie loin de la cellule familiale.
J’ai beaucoup aimé ce livre, car Astrid Monet renvoie le lecteur à une période sombre de notre histoire, avec les procès pour savoir, comprendre, les politiques responsables mais pas coupables (cette phrase m’a fait entrer dans des rages folles à l’époque, il aurait été si simple d’appliquer le processus de précaution !) et qui ne se remettront jamais en question, il y a eu un fusible pour eux : les médecins des CTS, mais eux ? A quoi pensaient -ils ? On délègue… et puis les tests cela coûte cher, c’est connu. Et la vie humaine alors ?
L’auteure parle très bien de la culpabilité qui emprisonne la mère, et exclut plus ou moins les autres de son combat, sans s’en rendre vraiment compte, mais son acharnement suscite l’admiration, alors que le père est sous l’influence de ses propres parents.
J’ai beaucoup aimé le parcours de Sulyvane, plus réaliste, moins obnubilé que sa mère sur le combat dont il comprend assez vite qu’il n’obtiendra pas les réponses. Après une période d’excès de toute sorte, dans un appartement en colocation avec des Hongrois un peu space, il finit par prendre conscience du chagrin qu’il a enfoui, et de la culpabilité du survivant qu’il éprouve. Il s’accroche dans une nouvelle vie, de nouveaux amis, un nouveau métier, car plus rien ne sera comme avant.
Astrid Monet a su trouver le ton juste, elle n’essaie pas de faire pleurer dans les chaumières, mais analyse la tragédie, à travers les réactions de la famille, la solidarité entre les familles d’enfants contaminés, décédés ou encore en vie, et elle cite aussi des documents de l’époque sur le VIH. Elle évoque aussi les douleurs souvent atroces de ces enfants hémophiles, car le sang s’accumule dans les articulations les empêchant de marcher.
Clin d’œil : Caroline a choisi les prénoms de ses enfants, Malone et Sulyvane car elle a un lointain ancêtre irlandais, entré sans la légende familiale et celui-ci va passer brutalement du statut de légende, à celui de transmetteur de l’anomalie génétique.
https://leslivresdeve.wordpress.com/2024/03/23/loin-du-noir-ocean-dastrid-monet/
Un court roman très fort et dense sur la force de l'amour maternel et des émotions. Dans une atmosphère étouffante et apocalyptique lors d'un été caniculaire et meurtrier à Berlin, une histoire haletante sur 3 jours, portée par une belle écriture qui aborde les enjeux climatiques de notre société. Marika revient à Berlin après 6 ans d'absence afin que son fils puisse faire la connaissance de son père biologique Thomas. Le lendemain alors que l'enfant est resté chez ce dernier, une catastrophe s'abat sur la ville. Marika va tout faire pour retrouver son fils dans le chaos.
Astrid Monet connaît bien Berlin puisqu'elle y a vécu une douzaine d'années. Son roman s'y déroule entièrement, mais dans un Berlin défiguré par un séisme et un nuages de cendres qui se dépose dans le moindre recoin de la ville et sur ses habitants. Pas mal de thèmes sont abordés dans ce roman, deux sont prégnants : l'amour filial, l'attachement d'une mère pour son fils et vice-versa et le dérèglement climatique, ce dernier -avec ses conséquences- jouant le contexte pendant que le premier s'exprime à travers les personnages. Ceux-ci, qu'ils soient principaux comme Marika et Solal ou secondaires sont très réalistes et attachants. Ils ont leurs fêlures, leurs forces et leurs faiblesses, leurs doutes. Astrid Monet décrivant en avance ce qui nous attend sans doute : des températures caniculaires quasi insupportables, un manque d'eau, des conditions de vie difficiles et un avenir pas enthousiasmant, ses personnages ne sont pas très optimistes. Ils se questionnent beaucoup sur leurs actes, sur leurs relations, sur le mal qu'on se fait parfois sans intention. C'est l'apocalypse mais les humains veulent toujours y croire.
Le roman est oppressant tant par le monde qu'il décrit que par l'écriture d'Astrid Monet, intense : tout est dit en un minimum de mots et d'effets. C'est un concentré, pas besoin de lire un roman-catastrophe de cinq ou six cents pages lorsqu'une autrice -j'ai tendance à dire auteure, mais beaucoup d'éditrices et d'autrices disent autrice, comme Agullo, alors, je respecte- peut vous le faire en 200 pages sans superflu ni manque. Phrases plutôt courtes -mais pas toujours-, rythme enlevé, un peu de dialogue pour alléger, Astrid Monet a su construire et écrire un roman d'une densité et d'une force incroyables. Noir, évidemment, la cendre est omniprésente, mais des lueurs parviennent à la transpercer, on les sent, on les lit entre les lignes.
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