Marcello ! Non, ce n’est pas celui qu’Anita Ekberg poursuivait de ses pulpeux atours autour de la fontaine de Trévi, aux grandes heures du cinéma italien. Ce Marcello-là, n’a aucune disposition pour la Dolce Vita. Enfant, il a été persécuté par ses camarades d’école qui le trouvait efféminé. Il...
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Marcello ! Non, ce n’est pas celui qu’Anita Ekberg poursuivait de ses pulpeux atours autour de la fontaine de Trévi, aux grandes heures du cinéma italien. Ce Marcello-là, n’a aucune disposition pour la Dolce Vita. Enfant, il a été persécuté par ses camarades d’école qui le trouvait efféminé. Il se sent différent, fait preuve de cruauté vis-à-vis des animaux et échappe de peu à un pédophile. Quand on se sent différent, que les autres vous le font méchamment comprendre, il est très difficile d’accepter sa différence. Marcello aspire à rentrer dans le rang et à la normalité la plus banale. Il fera tout pour se conformer à la norme, sociale, sexuelle, affective, politique. Et lorsqu’il devient un obscur mais ordinaire fonctionnaire, dans cette Italie de la fin des années trente, cela signifie aussi se compromettre et prêter main forte (ou faible) aux basses besognes d’un régime dictatorial.
« Dans son désir de se soumettre à une norme quelconque, il n’avait pas choisi celle de la religion chrétienne qui défend de tuer, mais bien une autre, toute différente, politique celle-là et de fondation récente, à laquelle le sang ne répugnait pas. »
C’est glaçant, d’autant que le personnage n’éprouve en général, aucune émotion, n’a d’empathie pour rien ni personne, même pas pour le fascisme et ses dirigeants sur lesquels il ne se fait aucune illusion. Il est fasciste parce que c’est la norme et parce qu’il éprouve… «Une aspiration à être normal; une volonté d'adaptation à une règle reconnue et générale; un désir de ressembler à tous les autres puisque, être différent signifiait être coupable. »
Et si nous tentions, cinq minutes, de quitter le conformisme qui cantonnerait ce roman à une énième condamnation du fascisme. Oublions un peu le fascisme, il appartient au passé, même s’il renaît perpétuellement sous d’autres formes, dans d’autres lieux, en se drapant d’autres oripeaux, avec la même bêtise, la même lâcheté et les mêmes bassesses. Ce serait, à mon sens, particulièrement réducteur pour ce roman, à l’écriture fluide et à la lecture facile, qui mérite mieux que quelques larmes de crocodile à verser sur un passé tragique : «C’était donc cela le passé : ce vacarme devenu silence, cette ardeur désormais éteinte auxquels la matière même du journal, ce papier jauni qui, avec les années, s’effrite et tombe en poussière, prêtait un caractère vulgaire et médiocre. Le passé était fait de violences, d’erreurs, de duperies, de futilités, extravagantes et qui assourdissent… seules choses que, jour par jour, les hommes trouvaient dignes d’être publiées et transmises à la postérité. La vie normale et profonde était absente de ces feuillets… »
C’est avant tout un roman sur la différence, la culpabilité, le refoulement, le besoin d’être accepté, d’être considéré comme normal, d’appartenir au groupe et, pour finir, sur le manque d’empathie.
« Et se découvrir insensible, c'était se découvrir guéri. » C’est bien souvent, ce manque d’imagination et d’empathie, qui conduit des individus ordinaires, assurés qu’ils sont d’être en conformité avec les autorités ou l’air du temps, à se conduire, vis-à-vis de ceux qu’on leur a désigné comme différents, comme la lie de l’humanité. C’est autant valable pour les sicaires nazis ou mussoliniens, que pour les nervis des goulags soviétiques et les égorgeurs d’otages ou les crucificateurs d’aujourd’hui.
Mais quid de l’homo occidentalus qui écrit ce billet ou qui le lit en cet instant ? Il n’a pas de sang sur les mains, mais est-il, pour autant, prêt à accepter ou à cultiver sa différence. Ne ressent-il pas le même besoin de se conformer ? N’est-il pas ravi de penser ce que la majorité pense (les médias sont là pour penser à votre place), sans s’être trop documenté ni interrogé ? N’est-il pas ravi de porter les mêmes vêtements, de manger les mêmes repas que ses voisins ou de faire un cadeau à son conjoint le 14 février en même temps que tout le monde ? N’est-il pas heureux de s’en aller chanter, hurler, conspuer et insulter dans un stade, qui l’arbitre, qui l’adversaire, qui le joueur qui ne se conforme pas à ce qu’on attend de lui ? Aussi anonyme qu’on peut l’être, perdu dans une foule, ne se sent-il pas assez fort et invulnérable pour ne pas résister à la tentation de se montrer sous un jour dont il aurait honte s’il était tout seul ?
N’accablons pas (trop) le vulgum pecus car l’Epoque est, elle-aussi, à la conformité, si ce n’est au conformisme. Ces normes énormes dont on finirait par se demander si le seul but n’est pas d’assurer la subsistance d’une armée de normeurs s’acharnant sur le dos de normés redoutant tous de ne plus être conformes. Tout cela est-il bien normal ? Attention, car, dans l’industrie, les produits non conformes vont au rebus. Le Conformisme n’est-il pas un des symptômes d’une société totalitaire ?
Allez, je dois vous quitter, on m’attend pour le Contrôle technique. Pourvu qu’ils ne trouvent rien d’anormal.