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Portrait d'Emilie Frèche, auteure et jurée du Prix Orange du Livre 2014

Portrait d'Emilie Frèche, auteure et jurée du Prix Orange du Livre 2014

Elle est la lauréate du prix Orange 2013 pour Deux étrangers (Actes Sud). Cette année, elle fait partie d’un jury acéré, passionné, composé de 14 lecteurs insatiables.

 

« A l’issue de la première réunion du jury, je me suis vraiment demandé comment j’avais réussi à avoir le prix l’année dernière, tant il est difficile de faire l’unanimité », confie Emilie Frèche, visiblement impressionnée par le sérieux et l’investissement des jurés.

« Ils ont de vrais points de vue, nous avons de vrais échanges, des désaccords, ça bouge ! Heureusement Erik Orsenna temporise tout ce mouvement avec beaucoup de savoir-faire. Mais je suis à la fois bluffée et très honorée d’avoir eu le prix, de faire partie du jury et de voir que mon avis peut compter ». Elle se sent gâtée, Emilie Frèche, et la grande lectrice qu’elle est se trouve comblée : « Je crois que je n’avais jamais reçu autant de livres à la fois chez moi ! ».

 

Comme le dit l’adage, c’est la lecture qui fait l’écrivain. Emilie Frèche a très jeune adoré lire. « Mon premier grand souvenir de lecture remonte à mes dix ans, avec Au bonheur des dames. J’ai compris à ce moment-là que les mots mis bout à bout formaient des images, et que la lecture était un endroit où je pouvais vivre en dehors de mon cercle familial. Un monde à part, qui serait le mien ». Mais comment un écrivain peut-il être un grand lecteur quand il écrit lui-même, avec la musique de sa propre langue dans sa tête ? « Ce n’est pas simple, en convient Emilie Frèche. Je lis pourtant tous les jours même quand j’écris. Et quand j’écris, beaucoup de textes sur l’écriture. Duras, Ernaux, Dillard, Plath, Woolf, Thomas Bernhard – bref, des gens qui vont bien ! Je me balade aussi toujours avec mes contemporains. Eux, je les lis entre deux rendez-vous, dans ma voiture, à la terrasse d’un café… Sinon pour les classiques, il faut du temps devant soi. C’est comme faire un grand voyage à l’étranger, alors je les lis surtout l’été ».

 

Quand Emilie Frèche a reçu le 5e Prix Orange du Livre, elle s’était déjà remis au travail avec un roman dont le sujet traite, en partie, de la perversité de l’écriture. 

« Un an plus tard, dit-elle, j’ai cent pages de plus, mais au niveau de l’intrigue, je n’ai pas avancé d’un iota – je prends du plaisir à rester dans ce texte, à chercher le mot juste, à travailler la phrase… Quelle perversité, c’est vraiment le mot ! A bien y réfléchir, je crois que j’aime la gratuité de l’écriture romanesque, parce que c’est la plus haute forme de liberté. On crée un monde, des personnages et des destins pour rien, pour personne, dont nul n’a besoin, simplement parce qu’on pense qu’on est incapable de faire autre chose. J’ai entendu cette phrase grotesque mille fois dans le bouche des écrivains, et je l’ai dite aussi bien sûr, je l’ai pensé dur comme fer, sinon comment aller au bout d’un roman ? C’est tellement difficile… C’est un marathon, un roman, une épreuve physique qui, d’année en année, me paraît de plus en plus difficile. Peut-être parce qu’on perd de sa folie en vieillissant, de son audace, or ce sont là deux ingrédients essentiels à l’écriture qui est le seul endroit où l’on peut/doit être impudique. C’est-à-dire vrai. Mais c’est un risque à prendre. Et ce risque est gigantesque quand on se sert de sa propre vie comme matériau, car l’écriture n’est plus une arme qu’on maîtrise, mais quelque chose qui, à l’endroit où vous vous y attendez le moins, se retourne contre vous. Pourtant, c’est là qu’est ma place ; là où je me sens à la fois vraiment vivante et en paix – dans l’écriture romanesque ».

 

Après la sortie du film 24 jours d’Alexandre Arcady, adapté de son livre éponyme et consacré au supplice d’Ilan Halimi, Emilie boucle l’écriture du nouveau film d’Yvan Attal, prépare la lecture d’ « Un prince », son premier monologue avec Sami Bouajila qui sera mis en scène par Simon Abkarian, puis part en vacances avec une valise pleine des romans en lice pour le Prix. « Je n’ai pas encore tout lu, mais j’avance. Mes préférences du début se confirment. Pour l’instant, mon grand coup de cœur c’est Buvard de Julia Kerninon (éd. du Rouergue). L’auteure a 27 ans, c’est son premier roman et il est grandiose ».

 

Karine Papillaud

 

Crédit photo : Melania Avanzato

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